Le procès pour complot contre l’autorité de l’État, tenu devant la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme (CRIET), restera dans les annales, non seulement en raison de la lourdeur des peines prononcées et des personnes impliquées, mais aussi en raison d’une anomalie majeure : l’absence totale de communication judiciaire structurée de la part des accusés. Ce vide a laissé place à un récit à sens unique, dominé par la version de l’accusation, avec des conséquences évidentes sur la perception de l’opinion publique.
Il ne s’agit pas ici de remettre en cause la décision de la Cour, qui a statué en toute souveraineté et au nom du peuple, mais d’analyser un paramètre souvent négligé dans ce type d’affaires : l’influence du débat public, notamment sur le web et les réseaux sociaux, et les répercussions qu’il peut engendrer bien au-delà de la sphère judiciaire.
Quand l’inaction médiatique en ligne scelle une perception publique définitive
Durant toute la durée du procès, les médias ont assuré un suivi régulier des audiences. Mais c’est surtout sur le web et les réseaux sociaux que la narration s’est construite et amplifiée, souvent sans contradiction. Les articles de presse partagés en masse, les discussions sur X ( ex Twitter), les publications commentées sur Facebook et TikTok, ainsi que les analyses spontanées sur WhatsApp, ont façonné une perception collective dominée par la version du parquet.
Dans une affaire aussi sensible, où l’image publique est un facteur déterminant, laisser le débat en ligne se structurer sans y apporter d’éclairage complémentaire crée un déséquilibre préjudiciable. Loin de remettre en cause le travail de la justice, cette analyse souligne l’importance, pour toute personnalité impliquée dans une telle procédure judiciaire, de comprendre que le procès ne se limite pas aux audiences physiques. Il se prolonge sur le terrain numérique, où l’opinion se forge et s’enracine.
Olivier Boko : une posture stratégique qui interroge
Un point reste particulièrement surprenant, le choix du silence total adopté par les principaux accusés, notamment Olivier Boko. Homme d’affaires averti et familier des rouages politiques, il a pourtant décidé de ne pas organiser sa défense médiatique et s’est séparé de ses avocats dès le premier jour.
Si l’on peut comprendre une volonté de ne pas alimenter le débat public, cette posture a eu pour effet de laisser libre cours à une seule version des faits. Dans des affaires politico-judiciaires de cette ampleur, où la bataille de l’image se joue en grande partie sur le digital, il est essentiel d’adopter une posture proactive, ne serait-ce que pour éviter que l’absence de réaction ne soit interprétée comme une forme de vulnérabilité.
Pourquoi n’a-t-il pas cherché à structurer un cadre narratif sur les réseaux sociaux ? Pourquoi n’a-t-il pas activé un canal de communication numérique, même minimal, pour donner sa version complète des faits ? Ce choix du mutisme a, de fait, laissé le champ libre à un récit univoque qui s’est imposé sur internet.
L’erreur classique de sous-estimer l’impact du web et des réseaux sociaux
L’histoire regorge d’exemples où une communication bien menée a contribué à façonner la perception d’une affaire judiciaire. Cela ne signifie pas qu’elle influence les juges, mais elle peut éviter qu’un accusé ne soit durablement assimilé à un verdict dans l’opinion publique.
Certains diront que, dans ce cas précis, la condamnation était inévitable. Peut-être. Mais en matière d’image et de positionnement stratégique, ce qui se joue dépasse largement l’issue judiciaire. L’empreinte laissée par une affaire ne se mesure pas seulement en années de réclusion, mais aussi en impact sur la réputation et la perception publique, qui se cristallisent aujourd’hui principalement sur le web et les réseaux sociaux.
Il y a deux ans, alors que j’effectuais une mission pour un cabinet de gestion d’E-réputation, un ministre impliqué dans une affaire sensible avait choisi de ne pas opter pour une communication stratégique. Je tiens à préciser que c’est à l’époque de cette affaire que le responsable du cabinet est entré en contact avec lui pour lui proposer nos services. Plus d’un an après, il a compris – non pas en raison de l’affaire elle-même, mais pour préserver son image – la nécessité d’avoir un stratège à ses côtés. Une fois le contrat signé, je me souviens bien de sa première demande : « Je veux que l’intégralité des sujets liés à cette affaire disparaisse du web. »
Autre cas emblématique, l’actuel chef de l’État, accusé en 2012 d’avoir voulu empoisonner celui qui est devenu plus tard son prédécesseur. Son contre-discours s’est résumé à une phrase mémorable qu’est « C’est un canular ! » Une punchline percutante qui a immédiatement déplacé le débat et imposé une autre lecture des faits dans l’opinion publique, notamment sur les plateformes numériques.
Olivier Boko, qui a suivi cette affaire de près, sait pourtant à quel point une communication maîtrisée peut peser dans la balance. S’il n’était pas en mesure de parler lui-même, un simple appel à un cabinet spécialisé aurait suffi pour orchestrer une riposte médiatique adaptée, notamment sur les réseaux sociaux.
Ce qui aurait pu (et dû) être fait
Sans dévoiler certaines pratiques professionnelles, évoquons deux stratégies de base qui auraient pu être mises en place.
La première aurait consisté à désigner un porte-parole officiel, en dehors des avocats, chargé de clarifier la position des accusés et de rééquilibrer le débat médiatique. Ce porte-parole aurait pu intervenir dans des médias stratégiques, mais surtout être actif sur les plateformes numériques où l’affaire était largement commentée.
La seconde aurait été d’activer, bien en amont, une équipe d’ambassadeurs en ligne pour maîtriser la perception publique. À travers des interventions bien calibrées sur les réseaux sociaux, des messages clés auraient pu être diffusés afin de nuancer certaines accusations et éviter que le récit dominant ne s’impose sans contrepoids.
Il ne s’agissait pas d’influencer le procès, mais de préserver l’image d’Olivier Boko, qui se retrouve aujourd’hui non seulement condamné juridiquement, mais aussi durablement affecté sur le web et les réseaux sociaux.
Une leçon à retenir pour l’avenir
Le verdict de ce procès – 20 ans de réclusion criminelle pour Olivier Boko et autres est sans appel. Mais au-delà de la décision de la Cour, cette affaire restera un cas d’école sur l’impact du digital dans les affaires judiciaires hautement médiatisées.
Dans un monde où justice et perception publique sont de plus en plus interconnectées, il est essentiel de comprendre que l’inaction numérique peut avoir des conséquences bien au-delà de l’enceinte judiciaire. Il ne s’agit pas de contester la décision des juges, mais de rappeler que l’opinion, elle, se forge désormais sur internet, dans un flux permanent d’informations et d’interprétations.
Si une chose doit être retenue de ce procès, c’est que la communication digitale n’est pas un luxe, mais une nécessité. Face à une crise – qu’elle soit judiciaire ou autre – elle est une arme aussi décisive que la défense juridique elle-même.
Par Thibaut Sena ZODEHOUGAN, Consultant en E-Réputation