La révélation d’un accord d’un achat d’armement par le Sénégal auprès de la Turquie permet de réfléchir sur les relations entre la Russie et la Turquie sur le continent africain.
En effet, depuis 2016, la Turquie de l’AKP mène une politique étrangère ambiguë envers la Russie, oscillant entre coopération et confrontation. Malgré un rapprochement apparent, les deux puissances s’affrontent indirectement au Moyen-Orient et en Afrique, où leurs intérêts divergent fortement. Alors que la Russie, affaiblie par la guerre en Ukraine, tente de préserver son influence, la Turquie accélère son expansion militaire et économique. Retour sur les principaux terrains de cette rivalité en mars 2025.
Syrie : Un champ de bataille stratégique Russie-Turquie
La Syrie reste un point de friction majeur entre Moscou et Ankara. La chute du régime de Bachar al-Assad fin 2024 a marqué un revers pour la Russie, qui n’a pas pu empêcher la prise de pouvoir par Hayat Tahrir al-Cham (HTS). La perte des bases stratégiques de Hmeimim et Tartous a affaibli son ancrage militaire.
En revanche, la Turquie a consolidé son influence en soutenant les rebelles, suscitant la colère des cercles pro-Kremlin. Alexandre Douguine, idéologue russe, a accusé Ankara de « trahison » dans un post du 10 décembre 2024. Les tensions se sont manifestées lors de l’exercice naval turc Mavi Vatan, auquel Moscou a répondu en déployant un navire espion pour surveiller les manœuvres.
Libye : Une guerre par procuration
La Libye incarne parfaitement la rivalité indirecte entre Russie et Turquie. Le maréchal Khalifa Haftar, soutenu par les mercenaires de Wagner, s’oppose au Gouvernement d’accord national (GAN), appuyé par Ankara.
La Russie cherche à sécuriser son accès aux hydrocarbures et à maintenir une base d’influence en Méditerranée. Depuis décembre 2024, elle a intensifié les transferts d’armes de la Syrie vers la Libye, malgré les restrictions turques sur son espace aérien.
• La Turquie déploie des mercenaires syriens et des drones Bayraktar TB2, renforçant le GAN.
Cette compétition a un coût humain élevé : des centaines de milliers de civils ont été déplacés, et les exactions se multiplient.
Afrique : Une course à l’influence militaire et économique
Stratégies militaires concurrentes
Russie : S’appuie sur Wagner (rebaptisé Africa Corps) pour des contrats sécuritaires au Mali, Burkina Faso et Centrafrique. Les exactions, comme le massacre de Moura (Mali, 2022), ont terni son image.
-Turquie : Utilise une « diplomatie des drones » et déploie des mercenaires via l’entreprise SADAT.
Des frappes controversées ont eu lieu en Somalie et au Mali.
Une rumeur persistante évoque une future base militaire turque à Abéché (Tchad),
ce qui pourrait exacerber les tensions avec Moscou.
B. La bataille pour les ressources naturelles
Les deux puissances cherchent à contrôler les richesses africaines :
• Russie : Exploite des mines d’or et de diamants ( Centrafrique, Mali, Soudan) pour financer ses opérations.
• Turquie: Signe des accords miniers au Niger (uranium, pétrole) et en RDC,
bien que certains contrats aient été annulés (ex. Afro Turk au Burkina Faso en 2024).
Une rivalité durable au détriment des populations locales
La compétition Russie-Turquie en Afrique et au Moyen-Orient n’est pas près de s’éteindre. Alors que Moscou tente de compenser son isolement post-Ukraine, Ankara capitalise sur son ascension militaire et économique.
Mais cette rivalité a un prix : instabilité régionale, violations des droits humains et exploitation des ressources au détriment des populations locales.
En mars 2025, aucun acteur ne semble prêt à renoncer à cette course à l’influence, laissant présager de nouveaux conflits par procuration.
Pour aller plus loin :
• Les rapports du SIPRI sur les transferts d’armes en Afrique.
• Les analyses de l’International Crisis Group sur la Libye.
• Les investigations de Bellingcat sur les activités de Wagner.
De : Alafé Assé Wakili,
Journaliste – Patron du média L’intelligent TV.