Le visionnaire de la mode africaine, Alphadi, célébrait ce 22 novembre, à la Maison de l’Afrique à Paris, deux jalons importants de sa carrière : les 40 ans de sa marque éponyme, synonyme d’innovation et d’authenticité, ainsi que les 25 ans du Festival International de la Mode en Afrique (FIMA), une plateforme emblématique dédiée à la célébration des talents africains. Retour en quelques questions sur le parcours de ce « magicien du désert » qui forge l’admiration.
Quelle a été l’étincelle qui a lancé ce génie de la création que vous êtes ?
On ne le sait pas forcément, mais j’ai toujours voulu faire de la couture. À l’époque on me l’a interdit, car c’était un métier pour « les filles ». Alors j’ai fait du tourisme avec la bourse que j’ai obtenue pour aller à Paris. Tout en étudiant le tourisme, j’ai gravité dans le monde de la mode où j’ai rencontré rapidement des personnes importantes qui m’ont introduit dans un cercle assez privilégié de créateurs très connus.
Quand je suis rentré au Niger, le designer Malien Chris Seydou devait venir pour un défilé qu’il n’a malheureusement pas pu faire. Pour ne pas que le projet soit annulé, j’ai décidé de créer toute une collection avec les tissus qui était mis à disposition. Après le succès de cette expérience, je ne me suis plus jamais arrêté.
J’ai toujours été porté par le besoin profond de transmettre l’essence de ma terre natale à travers la mode. Je suis dans une fusion d’amour pour l’Afrique, un désir de préserver nos traditions vestimentaires, et de partager notre richesse culturelle avec le reste du monde. Cette petite étincelle s’est transformée en une flamme créative, me propulsant vers la création de ma propre marque et marquant le début d’un voyage extraordinaire qui m’a conduit, jusqu’à aujourd’hui, à fêter mes quarante ans de carrière et les vingt-cinq ans du FIMA.
Que ressentez-vous quand vous regardez ce parcours 40 ans après, pouviez-vous rêver d’une telle trajectoire ?
Observer mon parcours, 40 ans après avoir commencé cette aventure, est une expérience profondément émouvante. Jamais je n’aurais osé rêver d’une trajectoire aussi exceptionnelle. Chaque défilé, chaque collaboration avec des marques renommées, chaque moment où mes créations ont été portées sur des podiums internationaux représentent une réalisation incroyable pour moi. Cependant, derrière cette trajectoire se cachent des défis considérables que je tiens aussi à souligner. Rien ne se fait par magie, il est important que la jeunesse réalise cela également. Les moments difficiles ont été nombreux. Les obstacles économiques, sociaux et culturels ont parfois semblé insurmontables.
Combattre les stéréotypes et les préjugés qui entourent souvent la créativité africaine a été un défi de taille. La bataille pour la préservation et la promotion des savoir-faire locaux a également exigé une détermination inébranlable. Les moments de découragement étaient inévitables, mais chaque obstacle surmonté a renforcé ma conviction en la puissance transformatrice de la mode comme vecteur de changement social et culturel.
La passion pour mon travail, l’amour pour mon continent, et le désir de contribuer à l’évolution de la mode africaine m’ont toujours poussé à persévérer.
Vous avez construit une école de mode avec des connexions internationales pour former les jeunes et leur donner les moyens de rester sur le continent. Où en est ce projet aujourd’hui ?
La construction de mon école de mode avec des connexions internationales demeure un projet essentiel à mes yeux. Cette école vise à former les jeunes talents africains, à les armer des compétences nécessaires pour exceller dans l’industrie de la mode, tout en les encourageant à rester sur le continent et à contribuer à son essor.
Aujourd’hui, j’ai créé une école dans un bâtiment que j’ai construit. Nous allons accueillir dans quelques jours une centaine de jeunes filles qui seront formées dans un environnement d’apprentissage stimulant leur permettant de créer des opportunités de collaboration avec des experts de renommée mondiale.
Cette école représente pour moi une contribution durable à l’autonomisation des générations de futurs créateurs africains, nourrissant le rêve d’une industrie de la mode africaine florissante et influente à l’échelle internationale.
Pour aller plus loin dans votre investissement pour les peuples africains vivant dans l’insécurité, vous lancez une caravane de la paix. En quoi consiste ce projet ?
Quand j’ai lancé en 1998 le premier FIMA, Le Festival International de la Mode en Afrique (FIMA), en pleine période de guerre au Niger, il a été conçu comme un moyen de célébrer la diversité culturelle africaine et de promouvoir la paix à travers la mode. Cette initiative a été un défi audacieux, mais elle a porté ses fruits en renforçant la visibilité de la mode africaine à l’échelle internationale. Cette contribution à la culture et à l’art m’a valu l’honneur d’être nommé Ambassadeur de l’UNESCO pour la paix.
Pour aller plus loin dans mon engagement en faveur de la paix, j’ai initié la Caravane de la Paix. Ce projet vise à sensibiliser et à mobiliser les populations, en particulier les jeunes, sur les enjeux de la paix et de la stabilité en Afrique. À travers des actions éducatives, culturelles et artistiques, la Caravane de la Paix aspire à être un catalyseur d’espoir et de changement, renforçant les liens entre les communautés et œuvrant pour un avenir pacifique sur le continent.
Vous lancez une collaboration à quatre mains avec le peintre marocain Abderrahmane Ouardane. Comment est née cette collaboration et quel message voulez-vous transmettre ?
La collaboration artistique à quatre mains avec Abderrahmane Ouardane est née d’une rencontre artistique et humaine riche en échange. C’est par le biais d’un de ses stagiaires que nous nous sommes rencontrés et cela a tout de suite été une évidence.
Abderrahmane Ouardane et moi partageons une passion commune pour l’art et une profonde connexion avec l’Afrique. Notre collaboration a émergé naturellement de notre désir commun de créer des œuvres qui transcendent les frontières artistiques et culturelles. À travers cette collaboration, nous aspirons à transmettre un message d’unité, de diversité et de compréhension mutuelle. En combinant nos styles distincts, nous espérons inspirer le dialogue et stimuler la réflexion sur les thèmes culturels, sociaux et artistiques qui nous tiennent à cœur.
Créateur de génie, ambassadeur de la Paix, défenseur de la culture africaine, acteur social et économique impactant, que vous reste-t-il à accomplir après un tel parcours, à quoi aspirez-vous désormais ?
Je lance à Abidjan le premier café Alphadi pour permettre aux jeunes de se retrouver dans un lieu qui met en avant toute la richesse de l’Afrique ; la mode, le design, le café, le chocolat, la maroquinerie, etc. Ce sera également un lieu d’exposition pour faire découvrir les jeunes talents africains.
Après un parcours aussi riche et diversifié, mes aspirations futures restent ancrées dans la continuité de mon engagement envers l’Afrique et sa culture. Mon investissement pour la promotion de la mode africaine et la préservation de nos traditions reste inébranlable, je suis animé par le désir de voir l’impact positif de mes actions perdurer.
Je souhaite que mes projets éducatifs et sociaux, tels que l’école de mode et la Caravane de la Paix, continuent à prospérer, en formant de nouvelles générations de talents et en contribuant à la construction d’une Afrique pacifique et prospère.
Mon parcours n’est pas seulement un héritage artistique, mais aussi un témoignage de l’importance de l’unité, de la créativité et du partage culturel. J’espère vraiment inspirer les nouvelles générations pour les convaincre qu’il est possible d’élever encore plus haut le flambeau de la créativité africaine.
Pourquoi avoir choisi la Maison de l’Afrique pour cette célébration ?
La Maison de l’Afrique, en tant qu’institution dédiée à la valorisation et à la diffusion de l’art, de la culture et de l’économie africaine, partage des valeurs similaires aux miennes. Notre relation a commencé il y a trente ans autour des chocolats Angélina, la marque de ce célèbre salon de thé du même nom qui lui appartient.
Youssouf Camara, le Directeur Général et moi avons cette envie commune de créer des initiatives culturelles et artistiques qui mettent en lumière la diversité et la richesse du continent africain. En travaillant ensemble, nous voulons renforcer la présence de l’Afrique sur la scène mondiale, élargissant les horizons de la compréhension et de l’appréciation de sa culture.
Célébrer les quarante ans de ma maison avec cette structure africaine qui existe depuis cinquante ans est un réel bonheur pour moi.