Contrairement au célèbre musicien et arrangeur dominicain Johnny Pacheco, décédé en 2021, Johnny Patcheko, de son vrai nom Koukougnon Christ Yvon, est un ancien gendarme ivoirien devenu l’un des premiers véritables cyber-activistes du pays. Farouche supporter de Laurent Gbagbo, il a rejoint Alassane Ouattara, le camp opposé, avant de mettre une fin brutale à son flirt en se retournant de nouveau contre lui. Patrice Dama décrypte… !
Johnny Patcheko, un cyber-activiste en pleine lumière
En 2011, peu après la chute du régime du Président Laurent Gbagbo, Johnny Patcheko fait son apparition sur Facebook. À ce moment-là, la plupart des cadres du FPI (Front Populaire Ivoirien), aujourd’hui du Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI) se sont éclipsés de la scène publique face à l’ascension du tout-puissant Président Alassane Ouattara. C’est dans ce contexte que Patcheko émerge avec un discours incisif et particulièrement offensif à l’égard des nouvelles autorités.
À l’époque, nombreux sont ceux qui s’interrogent : “Qui est ce Johnny Patcheko et pourquoi semble-t-il défier le pouvoir en place sans crainte ?” Alors que certains s’attendent à ce qu’il soit rapidement réduit au silence, il gagne en popularité, aidé en cela par le statut de réfugié politique accordé par la Finlande, une sorte d’immunité.
Johnny Patcheko, éternel cauchemar du pouvoir Ouattara
Avec le temps, Koukougnon Christ Yvon devient une véritable épine dans le pied du gouvernement d’Alassane Ouattara, qu’il attaque sans relâche, un véritable poil à gratter qu’il vaut mieux ne pas avoir contre soi. Rapidement, un groupe de cyber-activistes se forme autour de lui et adopte le nom de “Djossi Gang”, composé notamment de Dessin Animé, Demezegnon, Vivi l’Amour, Yves Ahipo et de bien d’autres.
Ce collectif se distingue par une opposition féroce à la gouvernance d’Alassane Ouattara, utilisant des moyens de communication modernes pour diffuser ses messages. Leur activisme sur la toile contribue à redonner du courage aux opposants du régime et favorise ainsi une montée en puissance des mouvements contestataires sur les réseaux sociaux.
Une rupture brutale avec le camp Laurent Gbagbo
Il ne serait pas exagéré d’affirmer que Johnny Patcheko a joué un rôle clé dans la visibilité de l’opposition ivoirienne, incarnée à l’époque par le FPI. Avec son groupe, l’ancien membre de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) s’érige en porte-voix des pro-Gbagbo, soutenant sans relâche la cause de l’ancien président alors incarcéré à la Cour pénale internationale pratiquement jusqu’à sa libération.
Mais les choses prennent une autre tournure lorsque Johnny Patcheko s’attaque à des figures influentes du FPI très proche de l’ancien Président, notamment Stéphane Kipré (son ex-gendre) et Nady Bamba, son actuelle épouse.
Face à des attaques répétées de Johnny Patcheko, Stéphane Kipré finit par engager une action en justice dans l’indifférence totale de Laurent Gbagbo, que Johnny Patcheko avait pourtant toujours défendu. Se sentant trahi, il rompt avec le FPI et se rapproche du camp présidentiel, un revirement stratégique qui surprend autant qu’il alimente la polémique.
Un virage politique spectaculaire de Johnny Patcheko
Preuve qu’il était bien une menace pour la réputation du régime du Président Alassane Ouattara, Johnny Patcheko sera chouchouté par les cadres du parti au pouvoir. Son intégration au Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), parti au pouvoir, lui permet d’accéder à une reconnaissance publique inédite. Désormais mis en avant par des figures influentes du régime, il est reçu en grande pompe par différents patrons d’institutions de la république, fiers de s’afficher à ses côtés.
Dans son nouveau rôle, Johnny nourrit des ambitions électorales et se porte même candidat à Gagnoa. Mais la réalité du terrain est tout autre : malgré la mise en avant dont il bénéficie, il subit un revers cinglant dans les urnes. Cet échec électoral remet en question son poids réel dans la société ivoirienne et ébranle l’image que certains voulaient lui attribuer.
Une fin de parcours tumultueuse
Finalement, le rapprochement entre Koukougnon Christ Yvon et le RHDP tourne court. Il affirme que des membres influents du pouvoir auraient tenté de l’éliminer. Dès lors, il reprend son rôle de cyber-activiste contestataire avec une nouvelle stratégie, atteindre certains dirigeants en les opposant les uns aux autres.
Dans cette nouvelle dynamique, Johnny Patcheko n’hésite pas à divulguer des informations et rumeurs impliquant diverses personnalités. L’actrice et animatrice ivoirienne Kadhy Touré fait partie de ces “victimes collatérales”, comme il les nomme, dans son règlement de comptes avec le ministre Kobenan Kouassi Adjoumani, qui, selon lui, aurait offert un SUV Range Rover 2023 d’une valeur de 147 500 € (96 612 500 FCFA, hors frais de douane et de transport) à cette dernière.
Plus les victimes de l’activiste du web cherchent à contrer ses affirmations, plus Johnny alimente la controverse. Son objectif semble clair : semer le chaos au sein de l’appareil gouvernemental qui l’a stratégiquement réhabilité. Outre des rivalités entre cadres du même camp, il fait aussi croire que ces derniers partagent les mêmes maitresses.
Leçons et enjeux pour la communication politique
Cette affaire montre les dangers de l’instrumentalisation des cyber-activistes par les partis politiques. À plusieurs reprises, des acteurs politiques ont parié sur des figures populaires du web pour défendre leurs intérêts, sans mesurer les risques d’un tel engagement.
Désormais, les “communicants” encore affiliés au RHDP tentent par tous les moyens de minimiser l’impact des attaques de Johnny Patcheko. Cette situation montre que les dirigeants n’ont pas totalement tiré les leçons de leur mésaventure avec Johnny Patcheko. Ils confient de nouveau leur communication de crise à des activistes complètement désordonnés sur des panels bien plus répulsifs qu’attrayants.
Ces figures du web, souvent dépourvues de cadre éthique et de principes professionnels, voir de méthode, peuvent, elles aussi, se retourner opportunément contre leurs propres commanditaires, comme l’a fait Johnny Patcheko. Leur intégrité dépend généralement de celui qui les récompense le mieux, ce qui rend une fois de plus leur engagement fluctuant et imprévisible.
En définitive, les décideurs politiques doivent apprendre de cette expérience : la communication politique ne peut être confiée à des influenceurs, sous peine de se transformer en boomerang destructeur. Une communication n’est pas seulement une prise de parole devant un panel de followers. C’est avant tout un message stratégique à concevoir avant diffusion sur les canaux les mieux indiqués pour atteindre les cibles déterminées en amont.
Ce n’est pas parce que le nombre de followers est important que l’objectif peut être atteint. Le profil du panéliste et le canal qu’il utilise sont des éléments tout aussi importants pour atteindre les objectifs. Une utilisation professionnelle de KPI pour mesurer l’impact d’une communication est un élément non négligeable dans l’évaluation du process de construction d’une image de marque.
Le cas Johnny Patcheko, malgré le courage dont il a pu faire preuve dans les rudes moments d’adversité, montre les dérives du cyberactivisme en politique. Son passage d’opposant farouche à allié zélé du pouvoir, puis de nouveau adversaire, met en évidence le risque lié à la manipulation de figures populaires de tout genre pour des enjeux politiques.