Depuis l’essor fulgurant de ChatGPT en 2023, l’intelligence artificielle semble monopoliser l’attention. Derrière chaque prouesse technologique se cache pourtant un élément déterminant : la contribution humaine, à travers la production et le partage de données. C’est précisément là que l’intelligence collective entre en jeu. Alors, faut-il vraiment choisir entre l’IA et l’intelligence collective, ou au contraire, considérer leur alliance comme la prochaine grande révolution ?
L’intelligence collective : une discipline encore méconnue
En 2020, lorsque la première promotion du tout premier Master en intelligence collective a débuté sa formation à l’Université Mohammed VI Polytechnique du Maroc, les étudiants – dont TOKO Abdoul Kafid – s’entendaient souvent poser des questions telles que : « Êtes-vous étudiants en intelligence artificielle ? Quel est le lien entre l’intelligence collective et l’intelligence artificielle ? » Malgré plusieurs années de promotion de l’intelligence collective en Afrique, cette confusion persiste, surtout depuis la prolifération massive de l’IA en 2023.
L’Intelligences artificielle, fruit et exemple de l’intelligence collective
Il peut sembler paradoxal de considérer l’Intelligence artificielle comme un produit de l’intelligence collective. Pourtant, l’intelligence collective est souvent définie comme la capacité d’un groupe à générer des résultats et des solutions supérieurs à ceux qu’un individu isolé pourrait atteindre. Or, cette synergie repose sur la mise en commun de données.
Aujourd’hui, lorsque l’on évoque l’Intelligence artificielle, on se focalise principalement sur les modèles mathématiques (machine learning, deep learning, etc.) et l’on oublie parfois la pièce maîtresse qui les nourrit : la donnée.
Des plateformes comme Wikipédia ou Google illustrent l’intelligence collective en action : elles collectent, organisent et rendent accessibles des informations produites par des millions de contributeurs à travers le monde. Prenons l’exemple de Google Maps : chaque utilisateur participe, en renseignant des lieux, à l’enrichissement d’une base de données collective. Individuellement, il aurait été impensable de cartographier toute la planète ; c’est la mobilisation coordonnée de nombreux utilisateurs qui rend possible une telle prouesse.
L’intelligence collective cumulative, clé de l’IA
Des outils comme ChatGPT s’appuient sur l’exploitation d’énormes volumes de données produites par l’humanité au fil du temps et dans des contextes variés. Le professeur Joseph Henrich qualifie de « Intelligence collective cumulative » la capacité qu’ont les sociétés humaines à accumuler et transmettre leurs savoirs génération après génération. Aujourd’hui, par exemple, la question « comment faire du feu » ne se pose plus, tant elle est acquise et intégrée dans notre patrimoine culturel.
L’IA n’est donc rien d’autre qu’une forme d’orchestration de cette intelligence collective distribuée. Les années de production de connaissances, organisées sous forme de données, ont permis l’émergence de modèles capables de reproduire certaines tâches humaines, voire de nous aider à aller plus loin.
Cependant, au même titre que nous, ces IA héritent de nos faiblesses. Les biais et les « hallucinations » qui apparaissent dans certains modèles témoignent des travers et des incohérences déjà présents dans nos données et dans nos modes de pensée.
Comment l’intelligence collective peut parfaire l’IA
L’intelligence collective favorise l’émergence d’idées et de solutions nouvelles grâce à la création d’un climat de confiance (sécurité psychologique) au sein des groupes. En contribuant à enrichir et à améliorer la qualité des données, elle nourrit indirectement les modèles d’Intelligence artificielle et en accroît la pertinence.
Au lieu d’opposer l’intelligence artificielle et l’intelligence collective, mieux vaut accélérer leur alliance. Les récents progrès des modèles de langage (LLM) permettent de traiter rapidement de grands volumes de textes issus de réflexions collectives. L’intelligence collective, de son côté, assure un apport constant de données de qualité, qui peuvent être exploitées pour entraîner des IA plus utiles à la résolution de problèmes publics.
Un duo prometteur pour l’éducation et l’innovation sociale
Prenons l’exemple de l’éducation : en recueillant l’expertise de nombreux enseignants (intelligence collective), il devient possible d’entraîner des modèles d’IA capables d’accompagner les élèves de manière personnalisée. Les meilleures méthodes pédagogiques peuvent ainsi être diffusées à plus grande échelle, renforçant l’équité et la qualité de l’enseignement.
C’est cette logique qui anime des initiatives comme Africitizen. L’organisation mise sur la production participative de données locales pour documenter les réalités de terrain et les exploiter au service du bien commun. Grâce à l’usage de LLM, l’analyse de ces données n’est plus réservée à une poignée d’experts. Les programmes de formation de « Citizen Data Scientist » démocratisent la maîtrise des outils d’analyse, rendant ainsi accessible la valorisation des données pour l’innovation sociale.
Intelligence artificielle VS Intelligence collective ?
La question n’est donc pas de savoir s’il faut choisir entre l’Intelligence artificielle et l’intelligence collective, mais plutôt comment organiser et renforcer leur complémentarité. À l’heure où les défis sociaux, économiques et environnementaux se multiplient, la synergie entre la collaboration humaine et la rapidité des machines apparaît comme l’une des clés de notre avenir. S’il est vrai que l’IA fascine par ses prouesses, c’est bien l’intelligence humaine, nourrie par la diversité et l’entraide, qui l’a rendue possible.
Et si la véritable révolution tenait non pas dans la seule sophistication d’algorithmes, mais dans la formidable alliance entre la créativité humaine et la puissance de calcul des machines ? À nous de cultiver cette coopération pour co-construire un futur où IA et intelligence collective œuvrent de concert, au profit d’une société plus équitable, plus innovante et plus inclusive.
Abdoul Kafid TOKO KOUTOGUI, Facilitateur en intelligence collective