Dans une interview accordée à AFRUQUE SUR 7, Édouard Zotomou Kpoghomou, président du parti politique l’Union Démocratique pour le Renouveau et le progrès, opine sur les dernières actions des autorités de la Transition guinéenne, notamment dans le cadre de la réorganisation de l’espace politique, de la durée de la Transition et de l’organisation des élections. Notre invité est également le vice-président d’une coalition des partis politiques, l’Alliance nationale pour l’Alternance et la Démocratie (ANAD).
Que pensez-vous de la campagne de vulgarisation de l’avant-projet de la nouvelle constitution ?
Dr Édouard Zoutomou Kpoghomou : Nous avons dit dès le départ que cette campagne n’avait pas lieu d’être, parce que l’avant-projet de constitution autour duquel cette campagne de vulgarisation a été conçue, n’a pas été mis en place avec l’assentiment de tous ceux qui sont intéressés à la gestion de la transition.
Quand vous voulez faire un avant-projet de constitution, comme le Conseil National de la Transition l’avait fait, ils étaient allés de façon supposée dire qu’ils étaient allés justement recueillir l’avis des populations en ce qui concerne le contenu de cette constitution.
Ils sont revenus faire un avant-projet de constitution à l’élaboration duquel, même ceux qui sont au CNT, qui sont même de la commission de loi, n’ont pas su, n’ont pas été informés, n’ont pas été associés à la rédaction de cet avant-projet.
Dans l’élaboration, nous avons tenu à ce que les intangibilités qui avaient été effectivement consacrées dans les articles 46, 55 et 65 de la charte soient effectivement reconduites. Ces intangibilités faisaient en sorte que les membres du CNRD et le président de la transition ne devaient pas être des candidats à n’importe quel poste électif. Ça, ça a été dit dès le départ et ça, c’est consacré dans l’article 46.
Dans l’article 55, il y a le fait que le premier ministre lui-même et ses ministres ne peuvent pas candidater à des postes électifs non plus. Et il y a, disons, l’article 65 qui interdit aux membres du CNT de faire la même chose. Alors, si ces articles-là sont enlevés de l’avant-projet de la constitution, ça veut dire qu’on a laissé le boulevard ouvert à toutes ces entités, à tous ces organes, de pouvoir effectivement apporter, disons, à présenter des candidats.
Quand on veut vulgariser, on ne le fait pas avec des élèves qui n’ont pas l’âge de voter. Quand on va fermer des écoles où il y a des enfants d’une dizaine d’années qui ne sont pas habilités à voter, qu’est-ce qu’ils vont comprendre dans un avant-projet de constitution ? On peut leur expliquer que c’est dans le cadre de l’éducation et dans le cadre de l’éducation civique qu’on leur donne. Mais c’est des enfants qu’on vient prendre et on oblige les enseignants à fermer les écoles simplement pour qu’on dise qu’il y a du monde. Or, campagne de vulgarisation ou alors, comment dirais-je, référendum, ce sont les électeurs, effectivement, qui contribuent à ça. Mais quand on les laisse de côté, on prend les enfants, ça veut dire, encore une fois, qu’on a d’autres idées derrière la tête. C’est pour simplement montrer que nous sommes en train de faire un référendum.
Parlant des éléments constitutifs, dites-nous quels sont ces éléments, ce sur quoi devrait se reposer l’élaboration de cet avant-projet ?
C’est la participation de tous ceux qui prendront part à ce processus de transition dans lequel nous sommes. Les éléments constitutifs, ce sont les partis politiques, ce sont les syndicats, que ce soit des partis d’opposition. Il ne devrait même pas y avoir de partis d’opposition. Parce qu’une transition, c’est une anomalie au cours de laquelle il n’y a pas de parti au pouvoir en réalité. S’il n’y a pas de parti au pouvoir, ça veut dire qu’il n’y a pas de parti d’opposition. C’est la raison pour laquelle on dit que c’est une période exceptionnelle, une période de transition. Ceux qui sont au pouvoir sont supposés simplement gérer le pays par consensus avec tout le monde.
Mais aujourd’hui, on organise les choses avec les factions qui accommodent le CNRD et les factions que le CNRD accommode aussi. C’est ce qui est en train de se faire et pour cette raison-là, elle ne présentera pas quelque chose de cohérent, elle ne présentera pas quelque chose qui va vraiment faire les affaires. Le problème aussi, c’est que j’avais dit ça à un moment donné. On pervertit les termes, on pervertit les définitions pour leur donner un sens qu’il ne faut pas.
Quand on dit que la transition, c’est pour des projets de développement, c’est qu’on est en train de laisser carrément les objectifs de la transition qui aurait dû être le retour à l’ordre constitutionnel. Parce que quand le CNRD est venu, il a étalé toute une litanie de problèmes concernant les droits des hommes, les arrestations arbitraires, le fait qu’il n’y a pas de liberté d’expression et les partis politiques étaient mis sous scellé et barricadés. Ils ont dit qu’ils venaient corriger tout ça.
Quand on vient corriger, on n’a pas besoin donc de chercher une majorité absolue. Mais quand on vient déjà avec l’idée de rester au pouvoir et de faire en sorte qu’il y ait une certaine couverture pseudo-démocratique, on fait en sorte que l’on s’aligne carrément dans cette direction, en faisant croire que ce sont des approches démocratiques. Sinon, on n’a pas besoin de chercher à avoir une majorité pour les gens qui viennent effectivement résoudre des problèmes bien donnés et puis s’en aller.
Ils ont cherché la majorité même au moment où on élaborait la charte de la transition. La charte de la transition n’avait pas besoin de majorité. Bien sûr, il fallait l’apport de toutes les factions. Je l’ai dit à un moment donné, on avait invité toutes les formations politiques à aller donner leurs contributions.
Nous avons tous écrit des mémos qu’on devrait donner, mais nous avons des mémos au niveau de nos formations politiques et au niveau de notre coalition. Moi, je n’ai pas pu accéder à la salle. Je n’étais pas le seul. Il y a plein de présidents du parti politique qui ne l’ont pas eu parce que la salle a été envahie par beaucoup d’autres entités qui n’avaient absolument rien à voir avec la transition. Parce que nous disons qu’en fin de compte, la transition, quand elle finit, ce sont les formations politiques qui vont présenter des candidats parce que partout, c’est un processus politique. Si on accepte que cette transition est un phénomène politique, en fin de compte, ce sont eux qui vont présenter soit des candidats ou qui vont aller voter pour des candidats. Mais si on les met à l’écart, ça veut dire qu’on est en train de chercher autre chose. Et cette autre chose, c’est cette majorité. Donc, au niveau même de la confection de la charte, il y a eu ce dérapage.
À votre avis, le conseil national de la transition est-il légitime pour élaborer la constitution ?
Avec la mise en place du CNT, il y a eu aussi cet autre dérapage. Donc, nous avons compris que pour mettre en place le CNT, on aurait dû chercher des gens qui avaient une sorte de représentation au niveau du spectrum social, pour qu’il y ait toutes les couches représentées. Et d’ailleurs, c’est des éléments qui auraient dû être désignés par leur base, qu’on amène effectivement, on demande au CNRD de les conduire. Mais ça n’a pas été comme ça. Ce sont des gens qui ont été triés au volet par le CNRD. Et même la tête, le bureau exécutif du CNT a été nommé par décret. Mais malheureusement, le CNRD ne veut pas voir ces candidats, les candidats potentiels, parce que tous les présidents de partis politiques sont des candidats potentiels.
Selon Édouard Zotomou Kpoghomou, la campagne électorale en Guinée souffre d’un manque de transparence et d’organisation, notamment en raison de l’absence de fichiers électoraux et d’une date fixée pour les élections. Il dénonce une campagne déguisée visant à promouvoir la candidature du général Doumbouya sous prétexte de vulgarisation d’un avant-projet de constitution, jugé discriminatoire en raison de dispositions comme la limitation d’âge.
Le premier responsable de l’ANAD critique également la gestion inefficace des partis politiques par le CNRD, qui semble manipuler les coalitions pour maintenir son influence. Il a rappelé que la transition, initialement prévue sur 6 à 18 mois, a été prolongée à 24 mois sous la pression de la CEDEAO. Il estime que les autorités détournent l’attention des enjeux électoraux vers des projets économiques comme Simandou.
Les partisans du Général Doumbouya souhaitent sa candidature. Que pensez-vous de cela ?
Encore une fois, c’est l’un des problèmes. Même si la candidature du général Mamadi Doumbouya n’a pas été officiellement annoncée par lui-même, nous disons qu’il y a des signes qui ne trompent pas. J’avais parlé de l’article 65, de l’article 55 et de l’article 46. C’est une violation de l’article 46. Cette charte sur laquelle le général lui-même a juré de respecter et de faire respecter, et cette charte qui effectivement présente cette intangibilité en termes de sa candidature, lui-même l’a dit à tous les coups que ni lui ni aucun membre de son gouvernement ne serait candidat. Alors, si des gens font une campagne pour lui mettre la pression afin qu’il se présente, il devrait être le premier à dire non : « j’ai juré sur un document et je suis un soldat, je tiens ma parole ». Nous ne disons pas que Mamadi Doumbouya n’est pas Guinéen, qu’il ne peut pas être candidat, mais pas dans la foulée.
Nous disons qu’il doit respecter ce qu’il a dit. La transition, ce n’est pas pour qu’il vienne faire des travaux de développement partout, la transition, c’est créer les conditions pour un retour à l’ordre constitutionnel. Les autres efforts qui sont en train d’être additionnés, ça rentre dans le cadre de la continuité de l’État. Parce que l’État a des obligations.
La candidature de Mamadi Doumbouya, si elle arrivait, nous considérons que c’est un parjure. Parce que quand vous jurez, légalement parlant, vous avez déjà pris des engagements légaux. Ce sont des textes qui vous contraignent.
Quelle est la pertinence d’un référendum dans un contexte de régime de transition politique assez tendu ?
Nous nous sommes posés cette question. Mais puisqu’il fallait faire une constitution, c’est la raison pour laquelle on a trouvé qu’il faut faire, adopter ça par voie référendaire. C’est par comparaison à la transition passée. Puisqu’il y avait déjà des velléités de confiscations du pouvoir, des velléités de pouvoir se maintenir, on s’est dit qu’il faut tout faire pour habiller justement ces désirs par une sorte de couverture démocratique. Donc, en le faisant, il faut tout de suite créer une constitution. Et nous avons dit en fait qu’il n’y avait pas la nécessité d’une nouvelle constitution.
Pourquoi nous l’avons dit, la constitution de mai 2010 faisait effectivement la part des choses. Elle consacrait la séparation des pouvoirs, le pouvoir juridique, le pouvoir législatif, le pouvoir administratif, parce que ce sont les trois champs. Non seulement elle consacrait aussi le nombre et la durée des mandats, en précisant effectivement que le mandat de cinq ans ne pouvait être renouvelé qu’une seule fois.
Ça, c’était en mai 2010, et c’est sur cette base, sur la base de cette constitution de 2010, que le président Alpha Condé a été élu, même si son élection a été contestée. Mais il a été élu sur la base de cette constitution de 2010. Nous avons dit que, puisque la base existe déjà, on ne peut pas réinventer la roue. Chaque fois qu’il y a un nouveau gouvernement, on ne peut pas changer de constitution, parce qu’on veut simplement changer de constitution.
Pourquoi nous l’avons dit, la constitution de mai 2010 faisait effectivement la part des choses. Elle consacrait la séparation des pouvoirs, le pouvoir juridique, le pouvoir législatif, le pouvoir administratif, parce que ce sont les trois champs. Non seulement elle consacrait aussi le nombre et la durée des mandats, en précisant effectivement que le mandat de cinq ans ne pouvait être renouvelé qu’une seule fois.
Ça, c’était en mai 2010, et c’est sur cette base, sur la base de cette constitution de 2010, que le président Alpha Condé a été élu, même si son élection a été contestée. Mais il a été élu sur la base de cette constitution de 2010. Nous avons dit que, puisque la base existe déjà, on ne peut pas réinventer la roue. Chaque fois qu’il y a un nouveau gouvernement, on ne peut pas changer de constitution, parce qu’on veut simplement changer de constitution. Et nos constitutions sont des documents sacrés. Vous voyez, les États-Unis, ils ont une constitution depuis 1798, mais avec plus de 28 amendements.
« S’inspirer du passé pour construire le futur ensemble », en partant de la réalité actuelle de la Guinée, que pensez-vous de ce slogan de la transition ?
C’est un slogan populiste. On se réfère effectivement au passé. Nous ne sommes pas en train de dire que tous les maux de ce pays doivent tomber sur le CNRD. Ils l’ont hérité, c’est un passif. Ils l’ont hérité parce que c’est comme quand vous épousez quelqu’un qui a déjà été dans des relations. Donc, vous allez hériter. Si ce sont des enfants qui sont là, vous serez le père. Donc, tous les problèmes de la Guinée, pour le moment, ce sont eux qui doivent trouver des pistes de solution. Mais cela ne veut pas dire que c’est à eux que cela incombe. Ce n’est pas leur responsabilité.
Ils peuvent en discuter, mais ce n’est pas leur responsabilité de les résoudre. Puisqu’en venant aux affaires, il y a eu toute une litanie de questions qui avaient surgi là, sur la base desquelles on disait que les libertés individuelles n’étaient pas respectées, les droits de l’homme ne l’étaient pas, toute la litanie de raisons qu’on a données pour justifier le coup d’État. On dit que ce sont des raisons qui ont été mises en avant et ce sont ces raisons-là qui ont amené le CNRD à faire le coup d’État. Donc leur obligation première, leur obligation fondamentale, c’était une sorte d’anomalie qui devait être corrigée pour que le pays retourne en ordre constitutionnel. C’est ça leur objectif. Mais maintenant, parce qu’ils veulent rester, on a commencé à parler de projets.
Dernièrement, la Guinée s’est dotée d’équipement militaire de haute gamme. Y a-t-il urgence d’investir dans l’armement ?
La Guinée n’est pas en guerre. Pour nous, il n’y a aucune justification pour prendre les maigres ressources qui sont là, qui auraient dû servir pour autre priorité, et de les injecter dans l’achat d’armes. C’est comme si on était en train de normaliser l’utilisation d’armes létales, parce que c’est des instruments qu’on est en train de donner à la police et à la gendarmerie.
Moi, je crois que ce sont des mesures d’intimidation. Mais on peut intimider un homme, mais on ne peut pas intimider tout un peuple. Il suffit que la précarité soit généralisée, vous n’avez pas besoin de dire à quelqu’un de faire quelque chose.
Si dans une famille, les gens n’ont pas à manger, et ça se multiplie par autant de familles qu’il y a en Guinée, c’est un problème général. Et tout le monde va prendre la mesure de ce problème. C’est ce que nous sommes en train de dire. On ne peut pas intimider. On peut construire le pouvoir avec la force, mais on ne peut pas gérer le pouvoir avec la force.
Aujourd’hui, le CNRD considère le projet Simandou 2040 comme un pilier fondamental du développement de la Guinée. Que va-t-il rapporter aux Guinéens ?
Le projet Simandou a montré à la face du monde que les ressources existent effectivement. Les jugements sont réels. Le problème, ce n’est pas de venir dire que dans un temps comme 10 ans, 40 ans, 50 ans, nous allons prendre les dispositions pour que le projet soit une réalité. Le problème, c’est que même aujourd’hui, il y a certainement des retombées qui viendront. Mais l’opacité de la gestion autour du projet Simandou fait qu’il faut douter de beaucoup de choses.
La Guinée fait partie des signataires de cette instance qu’on appelle l’Initiative pour la transparence de l’industrie extractive. Cette initiative dit quoi ? Quand vous avez des gros projets comme ça, les conventions, les contrats, les études techniques doivent être portées à la connaissance de la population.
Nous, nous pensons que même si le projet présente de très bonnes opportunités de développement, il faut justement que ça soit cadré.
Quand on présente le projet de lancement de la compagnie de bauxite de Guinée, en 73, à Boké, on s’attendait à beaucoup de choses. Quel est l’impact de ces exportations de dizaines de millions de tonnes qu’on exporte sur la vie du Guinéen ? On ne le trouve pas, parce qu’on devait se servir de ce projet pour faire ce qu’on appelle une sorte d’intégration à l’environnement. L’intégration verticale, c’était pour qu’on puisse transformer la bauxite qui existe en aluminium pour augmenter, pour créer ce qu’on appelle la valeur ajoutée. Mais on ne l’a pas fait.
L’intégration horizontale permettrait aux ressources développées de pouvoir aider l’agriculture, l’artisanat, tout ce que vous voyez, qui reprennent, disons, les opportunités ou alors les zones d’influence de la population dans le sens large du terme. Tout cela, ce n’est pas fait.
On laissera le soin aux populations de pouvoir déterminer dans le cadre de la redistribution de ces retombées. Il sera donné à ces populations la chance de définir ce dont ils ont besoin pour que ces ressources réallouées soient justement mises à leur disposition. Donc, c’est un projet réel.
Mais la gestion est opaque. Si déjà, sur le plan de la conception, la gestion est opaque, on a de grosses inquiétudes lorsqu’il s’agira de pouvoir récolter quelque chose.
Un dernier message ?
Je lance personnellement un appel au Général Mamadi Doumbouya. La Guinée à l’heure actuelle peut paraître calme, mais le pays n’est pas calme. Je ne sais pas ce qu’il se fait, mais moi, je voulais lui dire simplement qu’on ne peut pas jouer avec les gens en prenant des risques qui ne sont pas nécessaires. Nous l’invitons à respecter son engagement.
Et vous savez, il y a eu une prolifération de mouvements de soutien. On en créait toutes les heures. Alors qu’eux-mêmes, ils avaient dit qu’ils n’auraient pas eu de mouvements de soutien ou de mouvements d’opposition.
Si ça ne marche pas, le général va endosser la responsabilité. Nous pensons qu’il est suffisamment jeune pour qu’on puisse l’induire en erreur.
On veut que l’histoire retienne sa contribution à cette fonction-là. Donc tous les choix sont à faire avec lui. Nous pensons qu’il va agir en véritable militaire, même si, à l’heure actuelle, il n’a encore pas dit aucun mot sur la possibilité de sa candidature. C’est à lui de dire à ces gens, écoutez, moi, je suis venu en mission, quand ma mission finira je vais m’en aller.
Fodé TOURE (Correspondant AFRIQUE SUR 7 à Conakry)