Le photographe Alain Ngann, à travers son exposition photos, écrit un nouveau narratif sur l’Afrique. Il veut permettre aux afrodescendants de se réapproprier une image forte du continent à transmettre fièrement aux générations à venir. Cette mission que s’est donné le photographe camerounais Alain Ngann transcende les frontières de l’image avec des compositions saisissantes. Pour présenter sa dernière exposition photos, visible jusqu’au 31 janvier 2024 dans les studios Dupont (à Neuilly-sur-Seine), il revient sur la genèse de son engagement et ses projets futurs.
Alain Ngann, qu’est-ce qui vous a poussé à faire des expositions photo ?
Alain Ngann ;j’ai toujours été passionné par tout ce qui est graphique, avec une grande attirance pour les publicités. J’y ai rapidement compris que pour un message impactant, il fallait une image forte. En 1998, j’ai monté un studio graphique (qui deviendra une agende de communication) au Cameroun, pour soutenir les entreprises locales dans la transmission de leurs messages.
Nous utilisions des photos libres de droits de plateformes étrangères, mais je ne trouvais pas toujours des images qui correspondent à l’environnement local. Le déclic a été en 2005, Madame le Consule Général du Sénégal à Douala, m’a prété son appareil photo en me demandant de lui créer une banque d’images. J’ai pris quelques clichés au hasard des rencontres et la magie a opérée.
J’ai donc décidé de créer moi-même les photos pour coller avec les messages que mes clients veulent véhiculer et organiser des expositions photos pour partager un nouveau narratif sur l’Afrique.
Quel est votre style photographique et les influences artistiques qui ont façonnées votre approche créative ?
Je me suis fait connaître avec une campagne à Libreville (Gabon), qui a été très controversée. Pour un opérateur mobile, j’avais créé, ce qui était à l’époque, la plus grande affiche d’Afrique subsaharienne : une publicité de 100m2 sur un immeuble abandonné. On pouvait y voir un visuel assez provocateur d’un homme, torse nu, un diadème sur la tête et un message qui disait que l’opérateur soutenait l’homosexualité.
Ce qui me guide pour mes clichés, c’est l’envie de faire passer l’émotion par la lumière et le contraste. Oliviero Toscani, le photographe italien des publicités de Benetton qui utilisaient des photos aux contrastes intenses est l’un des artistes qui m’a le plus influencé. J’ai toujours aimé le style épuré avec des contrastes flagrants ou des thématiques qui viennent capter l’attention. Que ce soit au sujet de religions, d’argent ou même de sexe, que les gens aiment ou pas, l’important c’est qu’ils en parlent de ce que vous faites ! À partir du moment où les gens en parlent, c’est gagné !
Dans mes portraits pour mes expositions photo, je travaille beaucoup sur l’immobilisme, avec une sensation « dé saturé » et la lumière qui prend le pas sur l’obscurité. Un peu à l’image du clair-obscur des tableaux hollandais de l’époque. C’est un procédé qui pousse à se focaliser sur le point central de l’émotion. Et si l’émotion est transmise, c’est que le message est bien passé.
Comment choisissez-vous les sujets que vous capturez et quels sont les messages que vous voulez transmettre ?
Nous, afrodescendants, ne devons pas subir notre histoire à travers la manière dont d’autres veulent la raconter. Je travaille à travers mes expositions photo, à construire un nouveau narratif de l’Afrique avec une vision positive de ce que nous sommes.
Au même titre qu’un Napoléon, Jules César, Henri IV, Charles de Gaulle, etc, sont exposés sur de grandes toiles avec tout un narratif autour, nos grands personnages africains méritent d’être vus. Nous devons changer ces clichés qui laissent entendre que les Africains n’ont jamais rien fait et raconter à notre tour les histoires de nos grands personnages. Notre histoire a été immense et très marquée, mais nous n’en contons même pas le dixième à travers la littérature.
Nous avons besoin de visualiser l’imaginaire de ces hommes et femmes qui ont fait l’histoire de l’Afrique. Même si à travers ces expositions photo, je le fais de manière utopique, je travaille à faire connaître des personnages africains, des rois, reines, des combattants, dont nous sommes les descendants. Mon objectif est de susciter une réelle fierté et élever notre dignité.
Pouvez-vous partager une anecdote de vos expositions photo ?
Pour mes expositions photos, je prends souvent des personnes qui ne sont pas des modèles, mais chez qui je vois un potentiel. Ce qui est intéressant, c’est de les voir se prêter au jeu jusqu’à finir par endosser le rôle du personnage qu’ils incarnent.
2019, j’ai photographié un homme d’un certain âge, général dans la garde d’un roi de l’ethnie Douala, un gardien de la tradition camerounaise avec une apparence plutôt conventionnelle. Après une accessoirisassions très simple, il était complètement métamorphosé. C’était intéressant de voir la transition de cette personne, de garant de la tradition vers un personnage plus moderne.
Nous avons pour beaucoup « les fesses entre les deux chaises », celles de la tradition et de la modernité. L’exercice n’est pas toujours simple d’intégrer nos traditions dans notre quotidien et nous pensons devoir faire un choix entre les deux. La transformation de cet homme montre à merveille que nous pouvons tout à fait nous baser sur nos traditions et les intégrer dans notre quotidien pour continuer à vivre en cohésion avec ces deux mondes.
Quel est le message de votre exposition photos en cours ?
Il est important pour moi de travailler sur la transmission, le savoir, la culture, pour permettre aux afrodescendants de mieux connaître notre histoire, pour changer l’image que nous avons de nous-mêmes et maîtriser celle que nous voulons laisser aux générations futures pour ne pas créer des africains de plus en plus déracinés.
Mon fils a neuf ans. Il est dans une école canadienne où chaque année ils doivent présenter leur culture à la classe. Ses camarades qui sont asiatiques, américains, etc., présentent fièrement leur nation, mais mon fils, lui, n’arrive pas à voir comment il pourrait présenter l’Afrique avec fierté. J’ai réalisé que c’est mon travail de lui transmettre cet héritage. À lui et toutes les générations à venir !
Cette exposition est une série de photos qui est dans l’observation. Elle invite à prendre le temps d’observer notre environnement, le connaître et l’appréhender. Elle va de la prise de conscience de ce que nous sommes, à savoir d’où nous venons pour mieux pouvoir nous projeter.
Quels sont vos projets photos et ambitions dans un futur proche ?
Cette année je prévois de faire un tour du Cameroun pour mieux connaître mon pays. Nous avons 250 ethnies différentes, une diversité traditionnelle incroyable que je veux découvrir et mettre en valeur à travers de nouvelles expositions photos.
Je veux ensuite aller vers l’Afrique en général pour me poser des questions sur plein d’autres choses ; aller interroger nos différentes régions pour voir quelles histoires elles ont à transmettre. Je veux participer à arrêter de transmettre ces images d’une Afrique misérabiliste, montrer une Afrique forte et positive !
Exposition Alain Ngann
jusqu’au 31 janvier 2024
Studios Dupont au 15 Av. de Madrid, 92200 Neuilly-sur-Seine
Entrée libre.