6 novembre 2004 – 6 novembre 2024, 20 ans jour pour jour que le camp de la force de paix française a été bombardé à Bouaké en Côte d’Ivoire, située dans dans le centre de la Côte d’Ivoire.
Pas d’hommage officiel, 20 ans après le bombardement de Bouaké
Le 6 novembre 2004, un épisode tragique frappe Bouaké, ville du centre de la Côte d’Ivoire plongée en pleine crise politico-militaire. Ce jour-là, un chasseur de l’aviation présidentielle effectue un bombardement surprise sur un camp de la force de paix française, tuant neuf soldats français et un civil américain. Cet événement marque un tournant décisif dans la crise ivoirienne des années 2000 et précipite le pays dans une spirale de violence et de tensions s’accumule avec la France.
Deux décennies plus tard, les jeux restent vives, et l’absence de commémoration officielle de cet anniversaire tragique suscitent incompréhension et frustration. Les autorités ivoiriennes, qui ont choisi de ne pas organiser de cérémonie, défendent cette position. Amadou Coulibaly, porte-parole du gouvernement, a ainsi déclaré : « Les évènements de Bouaké sont des évènements tristes. Ils ont engendré des morts d’hommes, 10 personnes dont 9 Français. Que la France organise des commémorations je peux le comprendre, mais je ne sais pas pourquoi la Côte d’Ivoire devrait organiser la commémoration de décès de personnes françaises ».
Le bombardement de Bouaké a laissé des séquelles profondes. En représailles à l’attaque, l’armée française a détruit presque toute l’aviation militaire ivoirienne, déclenchant une vague de colère populaire. Le chef des « Jeunes patriotes », Charles Blé Goudé, fidèle au président Laurent Gbagbo, appelle les Ivoiriens à manifester contre la France. Ce qui suit est une série d’émeutes d’une intensité inédite à Abidjan, où des dizaines de civils ivoiriens trouvent la mort. Des sources avancent un bilan de 57 morts et plus de 2000 blessés, bien que la France parle d’une vingtaine de victimes. Face au chaos, l’évacuation en urgence de quelque 8000 ressortissants français est ordonnée.
Réunies au sein du Collectif des patriotes victimes de la Licorne (Copavil), les victimes estiment que le bilan réel de cette tragédie est sous-évalué. Elles affirment qu’au moins 90 personnes ont perdu la vie et plus de 2000 ont été blessées. Ephrem Zedo, secrétaire général de Copavil, déplore que « la nation n’ait rien organisé en mémoire des victimes ivoiriennes », et envisage de poursuivre la France en justice.
Pour le gouvernement ivoirien, cependant, ces manifestations n’étaient pas sous la responsabilité de l’État. Amadou Coulibaly précise : « Ceux qui ont mis ces enfants dans la rue pourront certainement commémorer ces évènements mais ce n’était pas la responsabilité de l’État. Le gouvernement n’a pas envoyé des gens manifester contre les forces françaises », propos rapportés par TV5.
Malgré cela, une cérémonie discrète s’est tenue en octobre dernier en présence de rescapés et des familles des victimes françaises, sur le site même de l’attaque.
Une fracture historique toujours présente
Au-delà des pertes humaines, le bombardement de Bouaké et ses répercussions violentes constituent un point de non-retour dans la crise qui divise alors la Côte d’Ivoire. Après le coup d’État manqué de 2002, le pays est fragmenté : les rebelles ont pris le contrôle du Nord, tandis que le Sud reste sous l’autorité du gouvernement. La force française Licorne, déployée fin 2002 aux côtés des casques bleus de l’ONU, avait pour mission de servir de tampon entre les deux factions, un rôle perçu comme une « ingérence » par le pouvoir de Laurent Gbagbo.
Les événements de novembre 2004 exacerbent les tensions entre Paris et Abidjan. Ce n’est qu’en mars 2007, avec les accords de Ouagadougou, qu’un processus de paix est enclenché, conduisant à l’élection présidentielle de 2010. Cependant, cette élection débouche sur une nouvelle crise : le refus de Laurent Gbagbo de Reconnaître la victoire d’Alassane Ouattara précipiter le pays dans une autre guerre civile, qui fera plus de 3000 morts.
Les cicatrices d’une décennie noire
Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire a retrouvé une stabilité relative. Pourtant, les stigmates de cette période troublée restent bien présents. Le souvenir des événements du 6 novembre 2004 demeure un sujet sensible, et l’absence de commémoration témoigne de la complexité d’un passé encore douloureux.
Ce drame est l’un des nombreux épisodes tragiques de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire, où les violences politiques ont marqué plusieurs générations. Si les armes se sont tues, la mémoire collective reste vive, et le chemin vers une réconciliation nationale véritable reste difficile, avec de nombreuses étapes à franchir pour apaiser les différentes parties.