Le M23 éprouve les autorités congolaises. L’escalade militaire dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) va-t-elle embraser toute l’Afrique australe et centrale ? Depuis des mois, les Forces armées congolaises (FARDC) affrontent dans le Kivu le M23, un groupe rebelle soutenu par Kigali. Refusant de négocier, la RDC mobilise non seulement milices locales et mercenaires étrangers, mais aussi les forces de la SADC et a récemment sollicité l’appui militaire du Tchad. Une stratégie bancale qui isole de plus en plus le pays.
Entre la guerre et la négociation, quelle option crédible de la RDC pour le Kivu ?
Malgré un arsenal renforcé – obusiers, lance-roquettes, systèmes anti-aériens, dont certains ont été filmés par des journalistes rwandais après la chute de Goma – l’armée congolaise peine à contenir l’offensive rebelle. Minée par des lacunes en formation et des problèmes structurels de corruption, elle enchaîne les revers. Après Goma, c’est Bukavu qui est tombée aux mains du M23, sans véritable résistance.
Face à ces échecs, Kinshasa s’accroche à une stratégie de confrontation directe, multipliant les appels à l’enrôlement des jeunes dans un climat de plus en plus militarisé. Une approche qui inquiète, alors que le nombre de déplacés explose et que la crise s’internationalise, avec l’implication grandissante d’autres nations africaines. Félix Tshisekedi s’efforce en effet de stimuler la belligérance régionale en présentant implicitement le Rwanda et le M23 comme les seuls vecteurs de crise dans le Kivu; quitte à faire oublier la criminalité et de la corruption endémique de la région, parcourue depuis des décennies par des centaines de groupes armés, dont certains sont liés à des membres du personnel politique congolais (provincial et national).
Sur le front diplomatique, la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) et la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), sous l’égide de l’Union africaine (UA), ont validé un plan de paix. Or, Félix Tshisekedi semble prendre ses distances avec les initiatives régionales, préférant défendre sa position sur la scène internationale et promouvoir une surenchère de la belligérance plutôt que de s’impliquer activement dans les grandes réunions diplomatiques africaines. La RDC s’enferme dans un jusqu’au boutisme qui pourrait bien, à terme, l’isole tout en précipitant l’Afrique centrale dans le chaos.
L’option militaire : coûteuse, inefficace et dangereuse
Depuis le début de la crise, Kinshasa mise ainsi sur la force. Le gouvernement amorce ainsi dés 2023 le retrait de l’EAC, la force régionale de l’AFrique de l’Est, puis celui de la MONUSCO, en 2024. En parallèle, Félix Tshisekedi, faute d’une armée nationale bien équipée, se tourne vers des sociétés militaires privées, dont des mercenaires roumains, pour renforcer ses troupes. Mais les résultats sont loin d’être à la hauteur. Fin janvier, plusieurs mercenaires ont abandonné le front, incapables de rivaliser avec le M23.
Le Congo s’efforce aussi d’impliquer d’autres États africains, sollicitant l’aide militaire du Burundi, de l’Afrique du Sud au sein de la SADC, et plus récemment du Tchad. Le 18 février, un émissaire de Tshisekedi s’est rendu à N’Djamena pour solliciter une aide tchadienne « sous toute forme ». Une posture qui fait écho à la 2ᵉ guerre du Congo, en 1999, qui avait déjà mobilisée N’Djamena en soutien à Laurent-Désiré Kabila alors dirigeant du pays. Officiellement, Mahamat Idriss Déby Itno a affiché son soutien diplomatique, mais aucune décision militaire n’a été annoncée.
L’option militaire s’avère également un fardeau économique colossal. En deux ans, plus de 1,5 milliard de dollars ont été engloutis dans la défense, aggravant la pression sur le franc congolais et détériorant un climat économique déjà fragile, dissuadant les investisseurs. Pendant ce temps, la crise humanitaire atteint des niveaux critiques. Selon l’ONU, plus de 7 millions de déplacés tentent de fuir les combats, tandis que l’accès aux biens de première nécessité devient de plus en plus difficile dans l’est du pays.
Fantôme diplomatique ?
Alors que ses partenaires privilégient l’option diplomatique, Félix Tshisekedi se détourne des initiatives africaines en ce sens. Le 29 janvier, il est absent du sommet virtuel de l’EAC présidé par William Ruto. Le 8 février, il ne participe pas non plus au sommet EAC-SADC en Tanzanie. Et le 13 février, alors que l’Union africaine réunie son Conseil de Paix et de Sécurité à Addis-Abeba, il préfère se rendre à la Conférence de Munich sur la Sécurité où le dossier congolais n’est pas prioritaire… .
Problème, Kinsasha pourrait bien en ressortir isolée, car le plan EAC-SADC, validé par l’Union africaine, représente aujourd’hui le seul cadre institutionnel africain reconnu pour tenter de résoudre la crise. En s’en écartant, le président congolais s’expose à un affaiblissement de sa position sur la scène internationale. Un risque qui motive probablement sa volonté d’impliquer militairement un maximum de pays voisins, indépendamment des résultats désastreux des FARDC sur le terrain.
Le plan conjoint EAC-SADC n’a rien d’une solution miracle, mais il pose les bases d’une désescalade : cessez-le-feu, redéploiement militaire encadré et dialogue inclusif. Son principal atout ? Éviter l’embrasement régional et une internationalisation du conflit. L’enjeu est de taille : prévenir un embrasement bourbier régional tout en garantissant une solution africaine au conflit, une approche qui permettrait d’éviter une ingérence accrue des puissances extérieures au continent.
En soutenant ce projet, l’Union africaine imprime indirectement une pression sur Kinshasa. La posture de la RDC est très mal perçue par l’organisation panafricaine. En témoigne la déclaration récente de son envoyé spécial, Adama Dieng, qui a exhorté Félix Tshisekedi à engager un dialogue direct avec le M23. Selon lui, toute tentative de paix durable passe par la reconnaissance de la complexité du conflit et l’abandon des alliances militaires congolaises avec des groupes armés tels que les FDLR. Dieng insiste sur le fait qu’il est impératif de mettre la partie rwandaise devant ses responsabilités et de briser le cycle de la guerre par des négociations courageuses. Un message qui tranche avec la posture de Kinshasa, réticente à toute concession politique face aux rebelles.
Un isolement grandissant et une remise en question nécessaire
La RDC se dirige-t-elle alors vers une impasse stratégique ? L’option militaire s’essouffle, le soutien international – matérialisé par la condamnation du Rwanda au Conseil de Sécurité des Nations-Unies – est timide et la résistance interne se fait de plus en plus audible. L’intervention du Tchad, bien que sollicitée, demeure hautement improbable. Mahamat Idriss Déby Itno hésite à s’engager dans un conflit long et complexe, dont les bénéfices pour N’Djamena restent incertains.
En interne, des voix critiques s’élèvent également. Le cardinal Fridolin Ambongo, trés influent, archevêque de Kinshasa, a dénoncé la mauvaise gouvernance et l’absence de vision stratégique des dirigeants congolais. Selon lui, la crise sécuritaire ne peut être réduite à une agression extérieure ; elle résulte aussi de décennies de mauvaise gestion et de choix politiques hasardeux. Dans son homélie de Noël, il qualifiait la RDC de “pays abandonné” où les dirigeants ont toujours privilégié leurs intérêts personnels au détriment du bien commun.
À ce stade, persister dans une logique de guerre totale sans stratégie diplomatique réaliste ne fera qu’aggraver l’isolement de Kinshasa et renforcer le poids du M23. La RDC doit impérativement reconsidérer son approche et s’engager dans un processus de négociation, avant que la défaite ne devienne inévitable.
Auteur : Elisé Rata.