À l’ouverture de la deuxième session ordinaire de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro s’est adressé aux autorités ivoiriennes, aux députés, aux illustres invités ainsi qu’à toute la Côte d’Ivoire. Mme Donatille Mukabalisa, Présidente de la Chambre des Députés du Parlement du Rwanda, était l’invitée d’honneur du PAN.
Guillaume Soro s’adresse à la Nation ivoirienne
Chers Collègues Députés, Nous entamons ce jour, mardi 3 avril 2018, la deuxième Session ordinaire de la Première Législature de la Troisième République. Au moment de prononcer la traditionnelle allocution d’ouverture, je tiens à adresser, à nouveau, à chacun et à chacune d’entre vous, mes salutations les plus cordiales.
Une fois encore, nous bénéficions de la solidarité et du soutien de personnalités distinguées.
Aussi, voudrais-je vous inviter à vous joindre à moi pour remercier particulièrement Monsieur le Premier Ministre Amadou GON COULIBALY. Cher frère, nous n’ignorons pas les lourdes charges qui sont les vôtres à la tête du Gouvernement. Nous apprécions à sa juste valeur votre présence ici, vous et les ministres qui vous accompagnent.
J’associe à ces remerciements :
– Madame et Messieurs, les Présidents des Institutions de la République ;
– Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, les membres du corps diplomatique et les Représentants des Organisations internationales accréditées en Côte d’Ivoire ;
– toutes les personnalités administratives, politiques et militaires de même que les Chefs religieux.
– et pour finir, les chefs traditionnels, mes collègues, à qui je renouvèle ma sympathie et mon attachement.
Chers invités, recevez ici notre profonde gratitude pour cette marque de considération à l’endroit de la Représentation nationale.
Je me tourne maintenant vers notre invitée spéciale, Madame Donatille MUKABALISA, Présidente de la Chambre des Députés du Parlement du Rwanda, qui a bien voulu nous marquer son amitié et sa solidarité, en rehaussant de sa présence cette cérémonie.
Madame la Présidente,
Au nom de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, je vous souhaite la bienvenue. À travers vous, c’est tout le Peuple Rwandais et particulièrement l’ensemble de ses parlementaires que je salue ici. De même, je vous prierais de transmettre les chaleureuses salutations du Chef de l’Etat ivoirien, Son Excellence Alassane Ouattara, à son homologue et très cher frère, le Président Paul Kagamé.
La Côte d’Ivoire et le Rwanda ont tant de choses à partager. Et, il est de notre devoir en tant que députés, d’oeuvrer au rapprochement de nos deux Peuples et de nos deux institutions. Le Rwanda, assurément, est un cas d’école pour l’Afrique. En effet, comment ne pas être admiratif de ce Peuple qui a su trouver dans une des pires tragédies de notre temps, l’énergie et la pugnacité pour rebondir ? Comment ne pas s’enrichir de votre expérience en matière de Justice transitionnelle, qui a permis de passer rapidement de la haine au Pardon ?
En acceptant d’octroyer l’absolution des crimes contre le repentir et la contrition de leurs auteurs, les juridictions transitionnelles rwandaises ont prouvé, par cette originalité bien africaine, leur pertinence et leur efficacité. Par ailleurs, le monde entier, et nous avec, est émerveillé par les progrès spectaculaires réalisés par votre pays en matière de promotion du Genre, avec plus de 64% de femmes élues au Parlement, là où nous sommes encore, en ce qui concerne l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, à environ 10%. Nous nous impatientons donc de nous abreuver à la source de votre expérience.
Mais auparavant, Mesdames et Messieurs,
Chers invités,
Laissez-moi vous faire remarquer que notre session s’ouvre cette année avec un changement majeur.
En effet, pour la première fois depuis 1960, la Côte d’Ivoire expérimentera une pratique parlementaire bicamérale : Assemblée nationale et Sénat. Avec pour objectif de renforcer la pratique normative et d’ancrer la démocratie dans notre pays. C’est d’ailleurs l’occasion pour moi, de saluer et de féliciter tous ces citoyens nouvellement élus sénateurs et de demander aux députés de leur réserver le plus bel accueil.
Chers Collègues,
Pour ce qui nous concerne, nous reprendrons dans quelques jours, le cours de nos activités régaliennes de délibération sur les textes de lois qui seront présentés à notre Assemblée.
Je signale déjà une vingtaine de projets déposés sur la table du Bureau de l’Assemblée nationale et dont l’ordre d’examen fera l’objet d’un calendrier qui vous sera soumis incessamment pour adoption.
Je vous encourage à vous mettre à la tâche avec la plus grande ardeur, comme cela a toujours été le cas.
Mesdames et messieurs
Après ces quelques mots d’exorde, je vous invite à un exercice qui me semble d’intérêt : celui de dresser brièvement le bilan de l’année écoulée, en ce qui concerne la thématique sous laquelle nous l’avions placée qui, vous vous en souviendrez, était le Pardon et la Réconciliation.
Faut-il le rappeler, l’année dernière, nous avions un thème auquel nous avons essayé, pendant toute une année, de sensibiliser nos concitoyens. Hélas, certains de nos compatriotes y ont vu un appel opportuniste nourri d’arrière-pensées politiciennes. D’autres nous ont habillé du manteau de donneur de leçons, et tourné en dérision certaines de nos actions allant dans le sens de la promotion du Pardon et de la Réconciliation.
Notre initiative, rassurez-vous, n’avait nullement la prétention de solder un contentieux vieux de plusieurs décennies. Seulement, l’Histoire nous enseigne, qu’il n’y a d’issue que dans l’abnégation et la persévérance. Je vous affirme donc ma volonté immarcescible de continuer ce combat, pour le pardon et la réconciliation : voie qui nous conduira à la construction d’une véritable Nation ivoirienne.
Nation, le mot est lâché.
Chers Invités,
Honorables Députés,
Qu’est-ce que la Nation ?
Un concept, une idée, un idéal même, pour certains. Souvent galvaudée, incomprise, récupérée, au fil du temps, la notion de Nation est surtout mouvante selon les civilisations qui l’ont empruntée et l’empruntent encore aujourd’hui. La Nation, si l’on s’en tient à sa racine latine, dérive du mot nascere qui veut dire naître. De ce point de vue, elle serait donc le lieu où nous sommes nés. La terre de nos ancêtres, de nos parents, et dès lors, nous la recevrions comme un héritage.
Cette notion de Nation, qui dans la plupart des pays, occidentaux ou asiatiques notamment, a au fil des siècles évolué, prenant tour à tour une teinte plus politique, juridique, géographique ou même culturelle. Bref, la nation est une entité en perpétuelle construction.
Contrairement à bien d’idées reçues ou de préjugés, l’Afrique, elle aussi a toujours été dans cette construction perpétuelle de Nations. Et ce, bien avant la colonisation. Certes, le terme employé alors était-il évidemment bien différent. Mais nos peuples, royaumes, ont toujours su s’organiser, organiser leur pouvoir, leurs frontières, leurs relations entre eux. En un mot, leur « vouloir vivre collectif ».
Une démarche interrompue par la colonisation qui, en s’achevant, a laissé aux pères fondateurs de nos nouveaux Etats et à leurs successeurs, la tâche bien ardue de créer des Nations, à l’intérieur de ces frontières imposées, tracées arbitrairement, superficiellement.
Aujourd’hui, 50 ans après, le défi a-t-il été relevé ? La persistance des divisions dans de grandes régions d’Afrique, la déstabilisation de grands pays par le terrorisme au Sahel, ou encore l’exode de nombre de nos jeunes vers des nations plus prospères, au-delà de la méditerranée, rendent le constat bien amer.
La construction de la Nation, à l’intérieur de nos Etats postcoloniaux reste une oeuvre à accomplir. Alors, il nous faut prendre la relève, continuer ce chantier perpétuel. Dans un monde, qui aujourd’hui balance entre mondialisation exaltée et réaffirmation farouche de souverainetés nationales, l’Afrique doit faire entendre sa différence, son originalité, si elle veut compter.
Quel est l’avenir que notre génération veut offrir aux générations à venir ? Une Afrique plus intégrée, bâtie sur des fondations, qui seront des nations fortes, unies ? Ou des Nations faibles et une Afrique toujours aussi désintégrée, balkanisée ?
Voilà la vraie problématique qui doit requérir toute notre attention, toute notre énergie, aujourd’hui. Bâtir une nation dans des Etats blessés, fragilisés comme les nôtres, ne peut revêtir un sens que si nous sommes habités par le même rêve, portés par la même ambition.
Et c’est là que le pardon et la réconciliation, dont je parlais tantôt, chers collègues, prennent tout leur sens.
En effet, Comment pourrons-nous, nous Ivoiriens, participer à ces desseins au niveau régional et au niveau continental ? Comment pourrons-nous, contribuer à cette construction africaine, à l’image de bien de pays très en avance sur le sujet ? Comment pourrons-nous participer à cette compétition de plus en
plus accrue entre les continents si nous ne sommes pas déjà réconciliés entre nous ? Si nombre d’entre nous, Ivoiriens du Sud, de l’Est, de l’Ouest, du Centre, du Nord n’acceptent toujours pas de se pardonner, de se réconcilier et de vivre ensemble ?
Pour moi, la Nation ne saurait se résumer uniquement à la somme des individus ou groupes vivant sur un territoire hérité de la colonisation. La Nation a vocation à intégrer les communautés nationales et immigrées, les ethnies, les peuples, les cultures, les religions. La Nation est le produit d’un travail politique intense visant à construire ou renforcer une identité collective unifiée. Sa réussite suppose des coeurs apaisés, des esprits réconciliés, une culture du pardon. Mais aussi un leadership éclairé.
Avec des élites politiques soucieuses du long terme c’est-à-dire conscientes de ce que les générations présentes doivent toujours agir dans le sens de la préservation des intérêts des générations à venir. Alors, m’opposerez-vous : la classe politique doit elle-même en donner l’exemple.
Honorables Députés,
Chers invités,
À ce propos, parlons-nous donc franchement. L’effervescence et les surenchères verbales qui animent actuellement notre scène politique, ne sont pas à la hauteur des attentes de nos concitoyens. Loin de moi l’idée, du haut de cette tribune, de me lancer dans un débat amphigourique et partisan et d’ajouter ma voix à ce chapelet de petites phrases, mais il me semble que nous devons tous être interpellés quand la tranquillité du pays peut s’en trouver affectée.
À ce propos, la question de la création d’un parti unifié de la mouvance présidentielle fait partie du jeu politique. Tant que les désaccords à ce sujet s’expriment dans la courtoisie, tout ceci peut être considéré comme une joyeuse aventure et même une preuve de la vitalité de notre démocratie. Mais quand les débats tournent à la crispation, voire à l’hostilité, cela réveille de vieilles peurs enfouies.
C’est pourquoi, et c’est mon avis personnel, il convient de laisser la place au dialogue. Le dialogue, rien que le dialogue. Le dialogue, pour ma part, dans cette circonstance, doit demeurer le maître-mot. Le parti unifié, je l’espère aura à se construire inclusivement. Car la division, assurément, fera notre faiblesse. Laissons donc le temps aplanir les différends.
Toute théorie scientifique n’est science qu’à la lumière des critères d’universalité, de la critique et de la réfutabilité. Alors si ma posture est réfutable, on pourrait la mettre généreusement sur le compte de l’innocence.
Honorables Députés,
Nous autres, hommes politiques, avons avant tout vocation à créer les conditions de la coexistence pacifique. Cette année, les discours, mais surtout les actes, en faveur du pardon et de la réconciliation doivent donc être au coeur de notre activité. Que chacun, enfin, s’y mette, au-delà des postures et des tactiques purement politiciennes.
Je m’engage pour ma part à y consacrer toute mon énergie. Cette nation ivoirienne, sans égoïsme, sans discrimination, sans haine et rancoeur… Cette nation ivoirienne, pleine d’humanité, de solidarité, de fraternité, elle est en nous, en chacun de nous. Cette nation ivoirienne, c’est notre projet. Mais souvenez-vous, c’est un projet, perpétuel. Un projet que nous nous devons de servir avec dévouement, pour nous, mais surtout, pour nos enfants et pour tous ceux qui après eux, auront, je l’espère, l’immense fierté de le poursuivre.
Je vous remercie.