On est le 19 décembre 2018, il est 12h à Abidjan et Laurent Gbagbo est toujours en détention à Scheveningen où il est poursuivi par la CPI pour « crimes contre l’humanité ». Henri Konan Bédié qui a été un des fervents partisans à son extradition vers La Haye a affirmé à France 24, qu’il avait l’accord de ce dernier pour la mise en place d’une nouvelle plate-forme contre le Président Alassane Ouattara… Analyse.
Bédié croit s’offrir Gbagbo pour chasser Ouattara
Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé croupissent en prison à Scheveningen pour de supposés « crimes contre l’humanité ». Leur préoccupation première est bien évidemment de sortir de ce sinistre endroit où ils se sentent injustement incarcérés. La liberté provisoire espérée par eux depuis plus de 4 ans est en passe d’être acquise puisque les juges ont donné un avis favorable à leur sortie, mais tout cela reste à formaliser. Il ne resterait plus que les modalités pratiques à régler avec les autorités belges qui devraient les accueillir, selon leurs proches, au moins jusqu’en mars prochain pour le verdict de la cour sur leur demande d’acquittement.
C’est à la veille des premières informations sur la libération prochaine de Laurent Gbagbo que le Président Henri Konan Bédié du PDCI RDA a fait une déclaration des plus surprenante chez nos confrères de France 24. L’ancien président ivoirien a tout d’abord dit son regret « après coup » d’avoir aidé le Président Alassane Ouattara à arriver au pouvoir, donc de l’avoir aidé à prendre le dessus sur Laurent Gbagbo avec qui il compte s’allier contre le même Ouattara.
L’ insolite « Oui » de Laurent Gbagbo à Konan Bédié
Henri Konan Bédié a confié au journaliste que Laurent Gbagbo lui a donné son accord pour qu’il contacte le FPI pour la mise en place d’une nouvelle plate-forme politique. Le président du PDCI compte sur cette nouvelle coalition pour évincer du pouvoir Alassane Ouattara en 2020. C’est d’ailleurs son envie compulsive de voir le Président Ouattara passer la main, de préférence à un cadre du PDCI RDA, qui est à la base de leur divorce.
Sauf que Laurent Gbagbo n’a rien promis à Bédié et ce dernier ne devrait pas tarder à s’en rendre compte. L’ancien Président ivoirien enfermé à La Haye, souvenez-vous, a toujours été affublé du surnom de boulanger. C’est feu Guei Robert, étourdi par le Gbégbé dansé autour de lui par le Woody de Mama sous la transition militaire, qui l’avait rebaptisé ainsi. C’est donc une Pagnora ou un Agnèkouè qui guette le Phenix de Daoukro qui s’imagine que Scheveningen a fait du monument vivant de la politique ivoirienne un lapin de six semaines.
Il n’y a qu’à parcourir les mots confiés par Laurent Gbagbo à François Mattei dans son nouveau livre « Libre , pour la vérité et la justice » pour se rendre compte que LG n’a qu’une confiance très modérée en Henri Konan Bédié. Ce dernier ne lui avait pas pardonné d’avoir frontisé avec Ouattara contre lui par le passé. Même si Gbagbo avait fait le maximum pour se faire pardonner par Bédié en le faisant revenir au pays après avoir rénové à coup de centaines de nos millions de francs son palais, HKB fera tout pour lui rendre la pareille avec son alliance avec Ouattara.
Chuuut! C’est Laurent Gbagbo qui parle :
« En vérité, en octobre 2010, dès le premier tour, je savais que Ouattara était arrivé troisième . Et qu’il ne pourrait donc pas participer au second tour . Des gens du Pdci , le parti d’Henri Konan Bedié – qui était donc deuxième – venaient me voir et passaient des messages . J’ai appelé Bernard Ehui, un proche de Bédié , qui est devenu ambassadeur au Ghana. Il y avait eu beaucoup de fraudes et d’irrégularités. Ehui m’a dit :《 J’étais avec Bédié toute la soirée, on a travaillé. Je t’appelle demain.》Bien sûr, il était question que Bédié conteste officiellement. Il ne l’a fait que le cinquième jour . Trop tard, la réclamation n’était plus recevable. C’était volontaire, Bédié est non seulement économiste, mais il est aussi juriste. Il savait ce qu’il faisait. Il a cédé aux pressions de la France, et à son portefeuille … Après, tout n’a été qu’une mise en scène pour justifier mon éviction violente. »
Laurent Gbagbo peut-il encore faire confiance à Bédié ?
Laurent Gbagbo est convaincu de la faculté de Bédié à ruser pour préserver ses intérêts, ses seuls intérêts. LG n’est donc pas seul à aimer le pain en Côte d’Ivoire et il le sait. Il sait aussi bien que la lune de miel entre Bédié et Ouattara a pris fin sauf qu’il ignore peut-être encore les détails qui ont précipité la fin de leur union.
Bédié qui a en tout temps encouragé Alassane Ouattara à expédier Laurent Gbagbo à La Haye et qui a même assuré le service après-vente dans les médias européens se dit aujourd’hui favorable, lorsque c’est déjà acquis, à la libération de Laurent Gbagbo. Sauf que Bédié joue encore d’esprit à ce stade des choses puisqu’il continue d’accuser de « crimes » le patron du Front Populaire Ivoirien avec qui il rêve de pactiser pour faire partir Ouattara.
Son message sur France 24 a été « Cela fait 7 ans que Gbagbo est en prison à La Haye. Quelque soit les crimes qu’il a commis », dit-il presque convaincu que Gbagbo est un criminel puisqu’il ne dit pas《 qu’il aurait pu commettre 》, ce qui aurait laissé une place à un doute, « Je pense que 7 ans, ça suffi pour la justice. Je pense que comme son procès tire à sa fin, j’espère vivement qu’il soit libéré.»
Plus haut, Laurent Gbagbo a bien noté que Henri Konan Bédié, en plus d’être économiste, est un juriste de formation. Il sait donc que l’homme pèse la moindre phrase, le moindre mot qu’il utilise avant de le prononcer. En clair, Bédié est en train de ruser avec Laurent Gbagbo juste pour se débarrasser de Alassane Ouattara, celui avec qui il flirtait au moment où il déclarait sur la même chaine de télévision France 24, au même journaliste : « Le sort de Laurent Gbagbo dépendra des instances de la justice internationale, car ses détournements économiques, les atrocités dont il est l’auteur, les crimes de sang, ils sont nombreux… par conséquent, Laurent Gbagbo n’échappera pas à la justice», de graves accusations que même Alassane Ouattara a rarement portées contre son plus farouche adversaire.
La CPI a pourtant attendu en vain les preuves de ses assertions relayées par Bédié…
Donc hier comme aujourd’hui, malgré le changement de la situation, Bédié joue contre Laurent Gbagbo à qui il veut s’allier. Il prend naïvement pour acquis le fait que LG lui aurait dit, probablement par Jean-Louis Billon qui lui avait rendu visite à La Haye, de prendre contact avec le FPI pour étudier le projet d’alliance.
Comprendre le langage de Laurent Gbagbo
Laurent Gbagbo n’a pas à, et ne devrait pas, s’allier à Henri Konan Bédié et c’est très facile de le comprendre. Non seulement parce qu’il n’y est pour rien dans ce qui a fait capoter le deal entre le PDCI et le RDR, mais aussi parce qu’il est désormais au-dessus de ces querelles intestines de la politique ivoirienne où deux camps s’allient toujours pour dégommer un autre. Le résultat avec ces pitreries est que la Côte d’Ivoire instable ne fait que tourner en rond, une situation que Laurent Gbagbo rêve de dépasser.
En disant à Bédié de contacter le FPI, Laurent Gbagbo sort tout simplement au PDCI la calebasse dans laquelle il avait servi un peu de farine aux autorités françaises et le reste de la classe politique ivoirienne, ex-rebelles compris, qui croyaient lui avoir arraché les clés de son pouvoir à Linas-Marcoussis.
Quand Laurent Gbagbo dit d’accord, cela veut dire « OK, je vais aller réfléchir ». Et donc s’il donne l’autorisation à Bédié de contacter le FPI pour étudier la question, c’est tout simplement une façon pour lui d’envoyer HKB et ses émissaires sur les roses, poliment. Après tout, n’a-t-il pas autre chose à penser que de prendre pour ses problèmes les états d’âme de Bédié ???
Bédié et Ouattara surclassés par la popularité de Gbagbo
Pourquoi Laurent Gbagbo redescendrait-il plus bas alors que le piège dans lequel Bédié et Ouattara croyaient l’enfermer l’a propulsé au rang de leader panafricaniste du moment ?
Que penseraient ces nombreux leaders d’opinion camerounais qui ont combattu pour sa cause ses 7 dernières années de son alliance avec le PDCI ? Et les Ivoiriens de la diaspora alors ? Ceux-là mêmes qui ont battu le pavé toutes les semaines depuis son incarcération, sous la pluie comme sous la neige… Que diraient-ils de cette alliance qui à coup sûr ferait partir le RDR du pouvoir, mais qui pourrait aussi donner lieu à de nouvelles hostilités ?
Les ambitions du pro-Gbagboïsme de Bédié
Tous savons qu’ Henri Konan Bédié ne fait sa politique que pour ramener au pouvoir le PDCI, que dire – se ramener au pouvoir. Pourquoi Laurent Gbagbo, qui a en tout temps combattu le PDCI qui le lui a d’ailleurs bien rendu quand il était aux affaires, malgré ses largesses, viendrait-il remettre ce parti au pouvoir ?
Dans son esprit, Bédié et Ouattara ne sont de bons amis des pouvoirs français, gauche comme droite, que parce qu’ils ne leur disent jamais « non » à rien.
Je n’y crois donc pas en l’alliance FPI (Gor)-PDCI contre le RDR parce que Laurent Gbagbo n’a aujourd’hui pas besoin du PDCI pour envoyer dans les cordes le RDR.
Le parti d’ Alassane Ouattara ferait d’ailleurs mieux d’arrêter d’apeurer ses pauvres militants quant à une libération prochaine de Laurent Gbagbo au risque d’obliger ce dernier à céder à cette tentation de facilité d’une union avec le PDCI.
Depuis que l’information d’une prochaine libération de Laurent Gbagbo a filtré, des militants du RDR crient sur tous les toits qu’ils sont menacés de représailles par des militants de Gbagbo et que la CPI doit maintenir ce dernier en prison pour leur sécurité.
Ils auraient dû se faire expliquer que la CPI n’a pas le pouvoir ni le droit de retenir une personne parce que des individus en ont peur. Elle ne peut condamner une personne que sur la base de preuves de sa culpabilité et non de crimes qu’elle pourrait commettre si et si…
D’ailleurs la CPI attend toujours les preuves des crimes soi-disant commis par Gbagbo que chantent à longueur de journée sur les réseaux sociaux ces militants du RDR. Appareil d’État, militants téméraires et toutes autres personnes de bonne volonté mise à contribution pour coincer Laurent Gbagbo n’ont jamais pu convaincre de l’existence de ces crimes allégués.
Si les militants du RDR sont malgré tout si terrifiés par une sortie de Laurent Gbagbo de la prison de Scheveningen, alors qu’ils partent nombreux en asile comme l’ont fait ceux de Laurent Gbagbo qui craignaient le régime actuel. Ils pourront toujours revenir en 2028, à deux ans de l’élection présidentielle de 2030.