Patrice Talon, dans le bras de fer qui le confronte à l’opposition de son pays, le président du Bénin, a usé de la force pour disperser une manifestation de l’opposition emmenée par deux anciens chefs d’État du pays et un ancien allié. Les manifestations qui ont précédé les élections législatives qui viennent d’enregistrer la non-participation de l’opposition ont eu pour corolaire la coupure d’internet dans le pays. De l’admiration à la déception, Nelson Zimin décrypte le parcours d’un homme.
Patrice Talon, la simplicité et l’élégance qui ont forcé l’admiration
Mon cher Kabako,
J’ai appris que Bédié serait hésitant à continuer dans sa fronde contre le président de votre pays. Je ne sais pas si cela est vrai, mais certains des hauts cadres de son parti ont choisi de rester au RHDP unifié, certes pour des raisons alimentaires, mais ils ont le mérite de nous démontrer qu’ils n’ont pas de convictions et c’est bien. Ce n’est pas notre problème pour le moment. Te souviens-tu de talon ? Non pas les chaussures…, le président ? Le type a réglé son thermostat sur « dictature » et il casse de l’opposant politique. Je t’en parle !
Au pays de Capo Chichi, votre grande gueule de Kémi Séba, Patrice Talon fait désormais dans les codes des chefs d’états africains. Béhanzin n’en serait pas moins fier, car le « fils » a compris que les dieux n’aiment pas la démocratie que les nouvelles générations africaines appellent de tous leurs vœux. Liberté ? Il n’y en a plus au Bénin, car l’homme a beaucoup changé. Pourtant, nombreux sont les jeunes béninois et africains qui avaient cru en la capacité de rupture de cet homme d’affaires dont le profil et le style BCBG tranchaient avec celui d’un très controversé Yayi Boni.
Nous sommes le 20 mars 2016 quand la coalition de la rupture barre la route du palais présidentiel à Lionel Zinsou au profit de Patrice Talon. Il avait reçu le soutien du 3e homme Sébastien Ajavon, dont le nombre de voix avait fait la différence. Mais il est à noter que la mobilisation du peuple dans cette élection au profit du candidat de l’opposition, Talon, était une réponse à un slogan du candidat Lionel Zinsou vu comme le candidat de la France, candidat de la continuité. Le « Après nous, c’est nous » avait été perçu par le peuple béninois comme un slogan consacrant la continuité du système Yayi Boni, très largement critiqué dans le pays à cette époque. C’est donc appelant à la rupture d’avec ce système que les candidats de l’opposition, avec Patrice Talon en tête, avaient trouvé le soutien du peuple. Mais une fois au pouvoir, le mannequin des hommes d’état béninois, enfilera le costume des banals dirigeants autocratiques africains.
Patrice Talon désormais très controversé et critiqué au Bénin
Costume sur mesure, traits soignés et cortège sobre avaient marqué l’opinion africaine. Toute la jeunesse du continent tombait littéralement amoureuse du style de l’homme, mais aussi de ses actions. Des effets d’annonce aux actions d’éclat, l’homme avait commencé à donner de l’espoir. Réduction des dotations des ministres et hauts fonctionnaires du pays, reformes spectaculaires dans les relations avec les multinationales étrangères. Mais très vite, l’ « Afrique politique » a pris le contrôle de l’homme de la rupture pour le ramener à la continuité de la mauvaise gouvernance. A peine deux années passées au pouvoir, Patrice Talon lance la justice aux trousses de ses anciens soutiens. Les Présidents Atao Hinnouho, Saliou Youssao et Sébastien Ajavon aujourd’hui en exile en France. Les Béninois, et les opposants au président Patrice Talon considèrent que les promesses électorales n’ont pas pris rendez-vous avec leur réalisation. « Les entreprises privées dans notre pays sont en difficultés, les femmes des marchés, les opérateurs touristiques, les artisans béninois et même les Béninois de la diaspora qui rêvaient pourtant de revenir investir massivement dans leur pays après l’élection présidentielle de 2016 sont surpris que les réformes du Président tardent encore à apporter le miracle nécessaire pour le porter en triomphe ».
L’homme d’affaires Patrice Talon a déçu. Mais l’homme politique qu’il est devenu n’a pas fait mieux non plus. L’opposition a été absente des élections législatives du 29 avril dernier, pour faire suite à la crise politique et sociale que la gouvernance de Patrice Talon a suscitée. « Il faut que monsieur Patrice Talon tire toutes les conséquences du rejet à plus de 96% de son projet néfaste, dictatorial, de nomination des députés à l’Assemblée nationale, qu’il renoue le dialogue avec l’ensemble de la classe politique ». Comme tu le vois, cher frère, la crise est donc profonde. Entre les règles du jeu démocratiques, et les bons procédés de management des entreprises, les bons hommes d’affaires ne font pas forcement de bons dirigeants politiques. Comme le dit André Suarès : « l’erreur des démocrates est de croire que leur vérité en soit une pour tout le monde, et force l’adhésion ».
À bientôt