Le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly est un acteur majeur dans les négociations entre le gouvernement de Côte d’Ivoire et la classe politique du même pays. L’homme en charge des négociations avec les mouvements politiques et de la société civile sur la réforme de la CEI est interpellé dans cette tribune par Pierre-André TOURE, un citoyen ivoirien particulièrement effrayé par les tensions naissantes autour de la question de la réforme de la CEI, institution qui va gérer la prochaine élection présidentielle de 2020.
Monsieur le Premier Ministre Amadou Gon Coulibaly
Le mercredi 19 juin 2019, lors des discussions entre le Gouvernement, les groupements de partis politiques et la Société civile sur la réforme de la Commission électorale indépendante, dite CEI, en forme de conclusion, vous avez déclaré et je cite « Il n’y a pas de commission électorale qui constitue une norme. Chaque pays développe son modèle selon sa propre histoire politique, son organisation institutionnelle et ses valeurs administratives ».
En ma qualité de citoyen ivoirien, je me permets de m’adresser à vous. Et mon intervention s’articule autour de deux points dont le premier porte sur l’inexistence, selon vous, de référence institutionnelle qui pourrait servir de modèle pour la réforme de la CEI. Le second volet de mon propos concernera votre affirmation selon laquelle chaque pays développe son modèle selon sa propre histoire politique, son organisation institutionnelle et ses valeurs administratives.
Monsieur le Premier Ministre Amadou Gon Coulibaly, l’actuelle Commission électorale indépendante (C.E.I) doit être complètement réformée dans la Forme et le Fond. Bien qu’il n’existe pas de Commission électorale qui constitue une norme, il existe bien au contraire des institutions électorales qui constituent des modèles de référence. Et la CEI de notre pays est une institution. À ce titre, et au regard du rejet total dont est l’objet cette institution de la part de la population ivoirienne, des partis politiques et des organisations de la société civile, la CEI doit fondamentalement être changée.
Cette réforme attendue doit se faire sur la base des réalités ivoiriennes, mais cette réforme doit également épouser le contour des institutions électorales étrangères qui constituent des modèles de transparence dans la gestion des opérations électorales. Et sur la base de ces références institutionnelles étrangères, les experts nationaux, qui auront été désignés dans le cadre de la réforme, travailleront sur le modèle institutionnel adéquat, et au besoin feront appel aux experts étrangers pour des avis extérieurs afin de valider leurs préférences.
Parce que la réforme attendue de la CEI est certes une question nationale, mais qui doit se servir des modèles de diffusion régionale (africaine). En d’autres termes, dans le cadre de la CEI, nous avons l’obligation de faire un choix institutionnel en imitant les modèles institutionnels des États aux modèles démocratiques approuvés en vue de réformer la CEI, une réforme qui s’apparente à un apprentissage de la démocratie en matière institutionnelle. Comme vous le voyez Monsieur le Premier Ministre (PM), il existe bien des institutions électorales qui constituent des normes, des modèles dont il est possible de s’inspirer.
Pour le PM Amadou Gon Coulibaly, chaque pays développe son modèle…
Par ailleurs, la démarche qui consiste a voir ce qui se passe a l’étranger réduit la pertinence de votre affirmation selon laquelle chaque pays développe son modèle selon sa propre histoire politique, son organisation institutionnelle et ses valeurs administratives, surtout si nous tentons d’observer notre pays de manière rétrospective au plan institutionnel. Dans une certaine mesure, oui Monsieur le PM vous semblez avoir raison puisque l’émergence des institutions politiques est un processus institutionnel abouti, en ce sens qu’il intègre à la fois les forces sociopolitiques et les facteurs géographiques (environnement international), culturels et coloniaux.
Sous ce rapport, le choix des institutions politiques dans une société obéit à des approches interactives, plutôt qu’aux besoins et problèmes spécifiques d’une société donnée. Selon vous, la réforme de la CEI doit se faire en s’appuyant sur l’histoire politique et l’organisation institutionnelle de la Côte d’Ivoire. Mais que nous apprennent les facteurs d’ordre historique et institutionnel de notre pays, notamment en ce qui concerne la CEI ? Sans prétention de vouloir rentrer dans le débat, les Ivoiriens sont presque unanimes sur la partition de la CEI dans la parenthèse négative qu’a connue la Côte d’Ivoire et les élections dont les résultats (législatives et municipales après 2011) sont très souvent contestés, de manières pacifiques dans un premier temps pour finir dans la violence physique et armée.
Dans ces conditions, réformer la CEI selon notre propre histoire politique et organisation institutionnelle constituerait un pari sciemment fait vers le chaos pour les élections a venir. En effet, lorsqu’un État, comme le nôtre, est dans une phase d’apprentissage de la démocratie, il s’appuie sur son héritage colonial ou sa tradition politique, ses expériences politiques et importent des modèles institutionnels étrangers lorsque ces ressorts sont jugés positifs et peuvent influencer positivement la construction de la démocratie.
Dans cette perspective, il s’agit d’établir des institutions politiques ( ici électorales) en conformité avec l’histoire politique et sociale du pays. Ainsi, les institutions antérieures ont une incidence selon la nature de l’expérience historique: si l’expérience est positive, les institutions antérieures sont adaptées et reproduites, mais si elles (les institutions antérieures) ont joué un rôle jugé négatif, elles sont alors rejetées lors de la transition démocratique.
L’exemple de la CEI ivoirienne est assimilable a la représentation proportionnelle qui a largement été jugée responsable des maux de la République de Weimar et facilitée la montée en puissance de Hilter. Cet exemple précis met en lumière une association négative qui permet de comprendre, après la 2e Guerre mondiale, l’adoption du système mixte en Allemagne, y compris un seuil de 5% (alors régional) pour contrer la fragmentation des partis.
Monsieur le PM Amadou Gon Coulibaly, a la suite de ces petits développements, vous comprenez bien que votre angle d’approche relativement a la réforme de la CEI est inadapté. Puisque vous observez avec nous que les traditions politiques sont plus susceptibles d’être pertinentes si l’expérience historique est perçue positivement. Pour mobiliser les expériences institutionnelles passées, il faut que celles-ci aient été positivement perçues; ce qui semble loin d’être le cas de notre CEI.
À titre subsidiaire, Monsieur le PM, tout citoyen ivoirien a du mal a comprendre le refus voilé du Gouvernement à reformer complètement la CEI, surtout dans un contexte de parti dominant qui est le RHDP et lorsqu’on constate par la même occasion que tous les partis politiques signifiants sont en train de se vider de leurs substances au profit du RHDP. Dans un tel contexte, sans même être contraint par la Cour africaine des droits de l’Homme, la réforme de la CEI devrait être une formalité pour le RHDP et le Gouvernement, convaincus de son bilan politique et rassurés par l’adhésion des citoyens autour de votre projet politique.
Amadou Gon Coulibaly invité à faire gagner la paix aux ivoiriens
Monsieur le PM, et au delà le Gouvernement, nous vous prions d’éviter d’adopter la posture du planteur de la mauvaise graine. Nous ne voulons plus de conflits armés dans notre pays. Pour rappel en 2010-2011, pendant que vous étiez sous protections de vos forces, de celles de la France et de l’ONU, et vos différents enfants convoyés à l’extérieur, nous, peuples ivoiriens, étions obligés de trouver refuge dans les forêts, les pays étrangers. Les bilans humains et physiques de cet exode, restent à ce jour, approximativement quantifiables.
Pour terminer, vous étiez au Village de la CAN 2019 pour assister au match des Éléphants Footballeurs, et les Éléphants ont gagné. Alors, faites aussi gagner la PAIX aux Ivoiriens. Réformez complètement la CEI, SANS PEUR.
Pierre-André TOURE
Citoyen Ivoirien, Passionné de paix entre les fils de la Côte d’Ivoire.