Le magistrat Ange Olivier Grah a évoqué dans une contribution, la sortie du procureur Kone Braman, dimanche 6 octobre 2019 sur les ondes de la RTI. Jugeant cette sortie du procureur Kone Braman, contraire à la déontologie de la corporation, le magistrat estime que cette attitude est susceptible de semer le doute sur l’impartialité des juges qui ont rendu la décision de la condamnation de l’accusé Jacques Mangoua. Qu’est-ce qui fait courir le procureur de la République de Bouaké ? Tente-t-il d’élucider dans cette analyse.
Le magistrat Ange Olivier Grah recadre le procureur Kone Braman
Nous constatons qu’après la décision du Tribunal correctionnel de Bouaké dans l’affaire Mangoua, le Procureur de la République près ce Tribunal a accordé deux interviews à la RTI dans lesquelles se substituant aux Juges de la formation qui a vidé son délibéré le 03 octobre, il a la prétention d’en donner les motivations à leur place. Cette attitude étrange et contraire à la déontologie puisque susceptible de semer le doute sur l’impartialité des juges, laisse entrevoir une connivence entre le Siège et le Parquet qui porte atteinte au droit de l’inculpé à un procès équitable.
Le Procureur de la République a droit à la parole en sa qualité d’initiateur des poursuites jusqu’à ce le Tribunal ne rende sa décision, laquelle va donner la position de la juridiction saisie sur la procédure introduite auprès d’elle. Par la suite, le Procureur a le choix entre faire appel s’il n’est pas satisfait du verdict ou s’en abstenir mais pas de faire des commentaires dont la teneur est susceptible de discréditer le jugement comme c’est le cas en l’espèce.
En effet ses propos laissent la très forte impression que la décision du Tribunal lui a été imposée par le Parquet qui fait curieux, a décidé seulement maintenant, de militer pour l’État de droit. Ils suscitent des polémiques inutiles relativement à sa référence à l’affaire Soul To Soul, surtout que même si les Juges sont entrés en condamnation comme il le demandait ce n’est pas forcement en se fondant sur les moyens qu’il a développés devant le Tribunal.
Celui relatif à la qualification d’infraction matérielle donnée à la détention d’armes et de munitions particulièrement n’est pas très exacte. Il est de jurisprudence constante, soutenu par une doctrine largement majoritaire que les crimes et les délits sont toujours des infractions intentionnelles, c’est-à-dire que l’infraction n’est pas seulement constituée par l’élément matériel, il faut aussi faire la preuve de l’élément intentionnel. Cette jurisprudence a été consacrée en France dans l’article 121-3 du Code pénal qui l’a cristallisé en disposant qu’ « il n’y a point de crime ou délit sans intention de la commettre ».
La faute délictuelle et la faute criminelle sont donc toujours une intentionnelle, seule la faute contraventionnelle est matérielle. La détention d’arme étant un délit et non une contravention, on ne peut la qualifier d’infraction matérielle. En plus, en l’espèce l’élément matériel n’est même pas établi puisque Monsieur Mangoua qui n’était pas sur place, n’a donc jamais été trouvé en situation de détention des armes et des munitions, détenir signifiant comme nous l’avons déjà souligné avoir les objets en sa possession c’est-à-dire à dire à sa portée de manière à pouvoir les manipuler ou en faire toute autre usage.
En tout état de cause ces interventions, par l’impression de complicité qu’ils donnent entre les juges et le Parquet, partant entre eux et la chancellerie, étant donné le lien de subordination entre le Parquet et le Ministère dont il reçoit les instructions, n’est pas de nature à améliorer l’image d’une justice ivoirienne aux ordres du politique. Ce soutien inapproprié à la décision des juges laissent transparaître l’ombre du politique surtout qu’il est difficile d’imaginer que le Procureur puisse faire ses interviews propio motu.
Il s’en suit que si l’infraction visée n’est pas politique, on peut aisément déduire que le procès l’est. On ne peut s’empêcher de se demander, après l’avoir vu s’entêter à engager cette procédure inique, ce qui fait courir le Procureur de Bouaké, même si en réalité, il paraît plus juste de se demander ce qui fait courir le Ministère de la Justice.