« C’est bouclé, c’est géré! », avait laissé entendre le ministre de la Défense de Côte d’Ivoire, lors d’un meeting. Hamed Bakayoko avait ainsi rassuré les militants du RHDP unifié à quelques mois de l’élection présidentielle de 2020, de l’infaillibilité de l’administration Ouattara. L’ opposition ivoirienne qui avait vivement réagi à ce phrasé, semble croire à un simple slogan politique. Pourtant, loin d’être un effet d’annonce, cette phrase reflète une stratégie élaborée dont « l’opération Haoussa » représente un élément clé.
L’opération Haoussa « neutraliser les actions de l’ opposition ivoirienne
Le 19 Juillet 2017, Hamed Bakayoko, ancien ministre de l’Intérieur, est nommé ministre de la Défense, avec le titre de ministre d’État, en remplacement d’Alain-Richard Donwahi. Le gouvernement avait fait face a des mutineries dans l’armée entre Janvier et Février de la même année. Conscient de la volatilité de la situation, après une médiation du ministre Donwahi aux résultats mitigés, l’urgence d’une solution durable était d’actualité.
En outre, il y avait en filigrane un Guillaume Soro encore puissant du fait de ses soutiens dans l’armée. Il était plus qu’urgent de « boucler ». Ce qui a été fait, dès la prise de fonction du nouveau ministre de la Défense. Des départs volontaires contre de fortes sommes ont été suscités chez les militaires. Opération plutôt réussie.
Certains anciens combattants ( et les plus nombreux ) ont été démobilisés, puis récupérés pour servir dans l’opération « Haoussa ». C’est sur ce contingent de démobilisés que le génie des services du pouvoir en place s’est exprimé. Certains ex-chefs de guerre proches de Ouattara avaient déjà offert le modèle primaire de l’opération sans peut-être le savoir: les sociétés de sécurité.
Les salaires y sont moins élevés par rapport au solde des militaires de l’armée. Ainsi plus de 150 sociétés de sécurité privée ont été mises en place pour accueillir ces réservistes. L’une des plus célèbres est la société Puissance 6 sise à la 7e Tranche dans le quartier des 2 plateaux.
Abidjan est donc bouclé par des milices d’un nouveau genre, mis en place par le pouvoir. Les élections pourront être « sécurisées » en dehors des forces de défense et de sécurité officielles de la République. De plus, la nomination du bras droit du président Ivoirien, le Général Diomandé Vagondo, est intervenue pour que ce dispositif n’échappe pas au contrôle du président, avec un Hamed Bakayoko devenu un peu « trop puissant ».
Casser l’élan de regroupement de l’opposition emmenée par le PDCI, pour gérer
Les affaires judiciaires s’inscrivent dans la même dynamique de déstabilisation de l’opposition. Dès les dernières élections législatives en Côte d’Ivoire, les signes d’un divorce étaient visibles dans les relations entre Ouattara et ses ex alliés. La question de l’alternance à la tête de l’Etat en 2020 était le cordon qui liait Bédié à Ouattara. Des proches collaborateurs du président Henri Konan Bédié, et cadres du PDCI RDA, en parlaient de plus en plus. Ils y avaient cru depuis la signature de la plateforme des houphouëtistes à Paris en 2005.
Mais cette pomme de discorde avait depuis, motivé le président Bédié à marquer son refus d’un parti unifié qui le phagocyterait. Il dira lors d’une conférence de presse tenue le 14 Avril 2018 à Daoukro que » Désormais, au lieu de parler de parti unifié, il conviendrait de dire maintenant Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP). Par ailleurs le PDCI présentera, en RHDP, un candidat en 2020. Un candidat à l’élection présidentielle de 2020 en souhaitant l’appui de ses Alliés compte tenu des sacrifices qu’il a consentis pour les uns en 2010 et 2015 ; mais cela est en discussion avec les alliés ».
Et les discussions n’ont pas abouti à un résultat épousant les positions du PDCI. Tout s’est accéléré par la suite dans les deux sens. Le RDR a concrétisé son projet du RHDP unifié sans le PDCI ni Guillaume Soro, qui ont par ailleurs affiché leur opposition au gouvernement qu’ils ont cogéré pendant 8 ans. Le pouvoir a donc manœuvré pour fragiliser la concurrence: Poursuite contre Akossi Bendjo, en exil en France, sur fond de conquête de la mairie du Plateau, procédure judiciaire à l’encontre de Ehouo Jacques, neveu et successeur de Bendjo à la candidature du PDCI pour la mairie du Plateau.
Au passage, le député Alain Lobognon, proche de Soro, écope de quelques mois de prison en violation de la constituion et des règlements de l’Assemblée nationale. Comme ce fut le cas de la « démission forcée » de Guillaume Soro lui-même, de la présidence du parlement ivoirien. Il était temps de gérer l’opposition!
Une technologie électorale maîtrisée, comme phase d’achèvement du dispositif
Les récentes nominations à la Commission électorale indépendante (CEI), étaient la dernière phase d’un processus rondement mené par les services du parti au pouvoir depuis 2015. La majorité au parlement et la gestion de plusieurs villes et communes du pays par les cadres du RHDP passaient par là. Sinon pourquoi le pouvoir a-t-il ignoré l’arrêt de la Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples, au sujet de la composition de la CEI en novembre 2016? Les élections municipales qui ont porté sur la place publique les règlements de compte politiques entre ex alliés, ont été conduites par une institution décriée. Le résultat était prévisible.
A la solde de l’Etat, la CEI a été incapable d’anticiper les violences qui ont suivi les votes du 13 Octobre 2018. Les contentieux politiques des communes du Plateau, de Grand-Bassam ou de Port-Bouët ont été résolus par des arrangements politiques et non selon l’application objective des lois électorales par la CEI. La passion qui a entouré les élections municipales d’Octobre 2018 montre en réalité, la violence avec laquelle les prochaines batailles politiques vont se dérouler. Mais avec un adversaire sans soutien, une opposition amorphe, le jeu peut être dilué.
Le report de l’examen du cas Gbagbo et Blé Goudé par la Cour pénale internationale coupe le PDCI d’un appui essentiel. Le rapprochement avec le parti de Laurent Gbagbo avait ravivé les énergies du PDCI-RDA. Mais ce n’est pas encore gagné. Comment achever le PDCI et Bédié? Pas bien complexe comme question. Le cas Mangoua Jacques est un cas d’école qui éclaire sur la prochaine phase de la stratégie du RHDP. Couper aux partis de l’opposition, tous leurs soutiens financiers et poids lourds politiques dans des régions essentielles du pays.
Même s’il faut pour cela tordre le cou au droit, la terreur est productive. Désormais, pour « boucler et gérer » 2020, le pouvoir ne ménagerait aucun effort pour bisser ADO ou son système via un autre candidat. Mais passer la main, n’est pas à l’ordre du jour au RHDP.