Après la réhabilitation de la clôture de l’Hôpital psychiatrique de Bingerville, Vincent Toh Bi Irié a entrepris de faire une visite aux pensionnaires. Au contact de ces malades mentaux, le Préfet d’Abidjan a bien vite réalisé que n’est pas fou, celui qu’on croit forcément, d’autant plus que ses hôtes l’ont agréablement surpris par leurs prouesses.
Vincent Toh Bi dans le merveilleux univers des « fous » de Bingerville
QUI EST VRAIMENT FOU À ABIDJAN ICI ?
Suite de mon post de lundi sur l’Hôpital Psychiatrique de Bingerville. Avant la réunion, je visite les différents services de l’Hôpital.
J’arrive au pavillon des femmes. Une jeune fille malade (photo) et tout en sourires se lève et se met au garde à vous : « Mes respects Mr le Préfet, je suis au serré !». « Où as-tu appris ça !», je lui demande. Réponse: « Je vous connais, c’est vous !». Elle dit quelque chose de très embarrassant sur mon avenir, tout en restant au garde à vous. Sa copine à côté, en camisole blanche, est toute hilare. Les mains pleines de salive, elle me salue chaleureusement.
J’avance dans une autre pièce. Je rencontre une jeune patiente en boubou (photo), que je n’ai jamais vue. Elle lance: « Hello daddy, how are you? You know I used to live in London ». (Salut papa, tu sais, je vivais à Londres). Moi : « Babe, you look good today ! A couple of years ago, I also relocated to Britain. I used to live with a friend in Hampton Court ». (Ma chérie, tu sembles en pleine forme aujourd’hui. Moi je vivais à Londres il y a quelques années). Et la jeune fille de me décrire dans un Anglais irréprochable Londres. Je lui parle de Peckham où nous allions acheter les aubergines, gombos, escargots. Elle en parle également et un moment, elle oublie une histoire qu’elle veut me raconter, elle éclate en sanglots et se jette dans mes bras.
Nous poursuivons la visite, une femme est assise à côté de son fils malade et amaigri (photo). Elle est épuisée par la peine. Je la reconnais, elle travaille dans un grand journal.
Je regarde une malade étreinte par un membre de famille et le regard dans le vide (photo). Elle tremble de tout son corps, l’image est insoutenable. Je touche sa tête, elle est chaude, fiévreuse.
Je sors du pavillon, je rencontre une autre jeune patiente dans l’allée (photo). Elle est toute belle. Elle tente de se lever et me dit : « Je viens de Dabou aussi ». Moi : « Aussi ? Comment tu sais que je viens de Dabou? ». Elle : « Tu connais Orbaff. Tu as été enfant de chœur ». Cette gamine a 16-18 ans. Comment sait-elle que j’ai été enfant de chœur à l’Eglise de Dabou il y a 35 ans et que je partais avec les Prêtres à Orbaff ? Peut-être que son père n’était même pas né, à plus forte raison elle, et cette information n’était écrite nulle part avant sur un document officieux ou officiel.
Je sors du pavillon des femmes. Avec tous les médecins et des membres du Conseil, je me dirige vers le pavillon des hommes.
A l’entrée, un patient, un homme grand et impressionnant est assis avec des cheveux tressés au milieu de sa tête très propre. Il a de la peine à tenir sa belle canne en bois noir ciré. Ses mains tremblent. Il y a un contraste entre ses mains qui tremblent sans cesse et le reste de son corps et de son visage qui sont stables. Moi : « Salut l’artiste. Avec tes tresses, tu dois faire partie d’un grand groupe artistique comme Kiyi Mbock ? ». Lui, d’une voix sereine et gutturale : « Non. Je fais du rap. ». Moi : « Hé mon frère, faut pas me distraire. Ce n’est pas cheveux de rappeur ça. C’est quel rappeur qui a cheveux comme pour toi Abidjan ici !! ». Il éclate de rire.
Nous retournons en salle pour tenir notre conseil et je vois écrit sur le mur « Salle d’Ergothérapie » (photo). Je demande au Dr Gbaé : « ça veut dire quoi Ergothérapie ? ».
Il me regarde dans les yeux et me répond : « C’est ce que vous êtes en train de faire. L’ergothérapie, c’est une autre approche dans les soins pour maladies mentales. C’est l’amour qu’on apporte aux autres. C’est l’occupation de leur corps et de leur esprit par des activités qui égaient”.
Nous ne sommes tous pas psychiatres. Mais nous pouvons faire de l’ergothérapie. Entourons nos malades mentaux d’amour et de proximité. ONG, venez organiser quelques activités ludiques ici. Artistes, venez nous faire de beaux dessins sur nos murs dont vous seuls avez le secret. Amis du monde, offrez nous des pots de peinture et du sandwich pour les artistes qui se rendront volontaires.
Derrière les baves gluantes des malades, derrière les corps décharnés, derrière les convulsions, derrière ces regards vides et sans expression, il y des esprits à aimer et des âmes à adorer.
L’Etat peut tout donner à cet hôpital comme il le fait déjà. Mais l’Amour, ce sont les Êtres Humains et les Êtres Humains seuls qui peuvent le procurer.
Fin de réunion. C’est toujours beaucoup d’émotion quand je sors de mes conseils de gestion des Hôpitaux. Je me dirige vers la voiture, au parking. La jeune « Londonienne » accourt vers moi : « Dad, dad ! Are you leaving? I want to play football » (papa, tu t’en vas?) Je veux jouer au football). Moi: « What’s wrong with you, my daughter? Don’t you see your feet ? You can’t play now. » (Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? Tu ne vois pas tes pieds ? Tu ne peux pas jouer aujourd’hui). Puis sans transition, elle pose les yeux sur une femme Officier de Police qui fait partie de ma délégation, elle la salue à distance. Et moi de lui demander: « Where do you know her ? »(Ou est-ce que tu la connais?). Elle de me répondre: « I don’t know her . I have never seen her before. But she is a good person. I can feel it ! » (Je ne la connais pas, je ne l’ai jamais vue. Mais je sens que c’est quelqu’un de bien).
03 heures plus tôt, le Commissaire de Police me présentant ses collaborateurs m’avaient glissé dans les oreilles au sujet de cette femme Officier : « C’est un de mes meilleurs agents ».
Comment une jeune fille en pleins troubles mentaux et enfermée à l’Hôpital Psychiatrique le sait que cet agent de Police qui n’est en poste ici que depuis 02 mois est une bonne personne ?
Finalement où suis-je ? N’est-ce pas nous, nos vantardises, nos lâchetés, nos manques de courage, notre insensibilité pour ceux qui souffrent, n’est-ce pas nous qui errons en ville avec nos égoïsmes qui sommes les vrais fous d’Abidjan ???