Les évènements du 23 décembre 2019 ont curieusement amplifié le passage d’Emmanuel Macron en Côte d’Ivoire. Le retardement de l’arrivée de Guillaume Soro en Côte d’Ivoire , puis finalement l’arrestation de ses proches lieutenants et le mandat d’arrêt émis contre lui.
Au pas de course, les évènements se sont accélérés de sorte à ne laisser aucune possibilité au camp de Guillaume Soro de réagir. Si ce n’est de donner quelques détails et les raisons du vol détourné au Ghana, par Alain Logbognon apeuré, en l’espace d’une conférence de presse laconique. Ces évènements sont une clé pour comprendre la vaste opération de repositionnement de la France en Afrique de l’Ouest, à partir de la Côte d’Ivoire. La crise au Sahel, le changement de monnaie dans l’espace CEDEAO et la crise du système de retraite en France, sont autant d’éléments qui ont scellé le sort de Guillaume Soro sur l’autel de la démocratie des marchés.
Protection de ses intérêts économiques en Afrique de l’Ouest, Emmanuel Macron opte pour Ouattara.
Depuis son engagement dans le Sahel, le commerce de la défense militaire française est en difficulté. Son influence s’effrite avec la soif des populations ouest africaines de s’émanciper du franc CFA et de l’emprise de la France sur l’économie de la région.
Les nouveaux mécanismes financiers et économiques qui accompagneront la nouvelle monnaie régionale, l’ECO, pourraient mettre en difficulté les entreprises et intérêts français dans l’espace UEMOA.
D’autant plus que le Nigeria et le Ghana, deux géants économiques de la région, aguerris aux challenges des économies de marché, portent les espoirs économiques de Londres qui, sortant bientôt de l’union européenne, entend consolider ses acquis sur le continent.
Comment cette France, consciente des enjeux actuels, pourrait-elle s’embarrasser de principes démocratiques en Côte d’Ivoire? L’engagement au sahel coûte énormément au contribuable français.
L’Uranium ne rapporte plus grand chose, et la fermeture prochaine des exploitations de ORANO (Areva) au Niger, annonce le peu d’intérêt de la France pour cette région où la vie de militaire ne mérite plus d’être risquée.
Alors qu’il subissait les pressions d’Alassane Ouattara qui voulait obtenir sa démission fin 2018, Guillaume Soro avait réussi à rencontrer de hauts responsables d’En Marche. Et même Gérard Colomb, puis Emmanuel Macron, par l’entremise d’Alexandre Benalla.
Il fallait à Guillaume, le soutien des autorités françaises pour éviter d’être inquiété à son arrivé à Abidjan, après deux mois de séjour hors du pays et de ses fonctions.
Les assurances données, l’ancien président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire avait regagné le pays et lancé une série de tournées politiques.
Qu’est-ce que Soro avait mis dans la balance? Difficile à dire. Mais une chose est sûre, Ouattara a été le plus offrant, et Guillaume, sacrifié.
Ouattara, l’homme clé de la France pour consolider les acquis dans une région en mutation
Le Terrorisme est désormais aux portes de la Côte d’Ivoire. Les attaques meurtrières et récurrentes au Mali et au Burkina Faso dénotent de l’inefficacité de la méthode française actuelle dans la région.
Si ce phénomène gagne la Côte d’Ivoire, les intérêts français seront les premières cibles. Il faut anticiper et savoir compter sur des fidèles parmi les chefs d’Etats Africains.
Et Alassane Ouattara est l’homme de la situation. Si la manœuvre avec le président ghanéen, reçu en été dernier par Macron est différente, la France semble plus à l’aise en Côte d’Ivoire.
La suppression des droits de douanes entre l’union européenne et la Côte d’Ivoire le 13 décembre dernier, dans le cadre des accords Ue-ACP, est un indice de la réorganisation du dispositif économique et militaire de la France à partir de la Côte d’Ivoire.
Emmanuel Macron a affirmé, lors de son discours à la base militaire de Port-Bouët à Abidjan, qu’il voulait donner « une nouvelle force » à la lutte contre le djihadisme au Sahel. Et ce, « pour gagner ce combat indispensable à la stabilité et à la sécurité » de la région.
Alors le nouveau centre des opérations pour cette mission est désormais le 43e BIMA. Dans le même contexte, le Nigeria a posé plusieurs conditions avant d’intégrer l’UEMOA et l’ECO.
Entre autres, il n’accepterait pas de prélèvements, ni de dépôts de devises au trésor français de la part des pays de la zone Eco. Ou encore la disparition des intermédiaires dans la convertibilité de l’ECO en d’autres devises.
Même si l’ensemble des conditions du Nigeria venaient à être acceptées, il faudrait garantir un marché en amont pour les entreprises françaises. Le gouverneur du district d’Abidjan en a donné l’assurance au président Macron.
Des intérêts économiques majeurs qui ont scellé le sort de Guillaume Soro.
Face à des enjeux économiques et militaires d’une telle envergure, il ne faut prendre aucun. Mieux, il est sage d’anticiper sur les événements.
Laisser Ouattara ou un candidat proche de lui affronter un Guillaume Soro à des élections, était beaucoup trop dangereux.
Surtout que l’opposition est prête à faire des concession dans l’optique de priver le RHDP du pouvoir en 2020. Protéger donc les intérêts à un coût.
Déjà engagé dans une dynamique de fragilisation de l’opposition, le président ivoirien avait besoin du parrainage français pour « nettoyer le terrain ».
Chose que la mission en Côte d’Ivoire d’Emmanuel Macron a résolue. S’embarrasser de principes démocratiques et de justice en Côte d’Ivoire et perdre la face dans le concert des puissances mondiale, n’est pas la bonne option dans le contexte géopolitique actuel.
Tant que la France n’agit pas directement, tout est susceptible d’être justifié plus tard. Alors il faut laisser Ouattara agir. Et détourner l’attention du monde par l’arrestation d’un candidat déclaré à des élections présidentielles en Côte d’ivoire, est bien mieux que de laisser l’opinion s’interroger sur l’essentiel.
En l’occurrence comprendre la coïncidence de la visite de Macron avec le carnage des militaires nigériens, le timing de suppression des barrières douanières entre l’UE et la Côte d’Ivoire, la « fin du CFA », du compte d’opération, la garantie de la parité fixe et le départ des fantômes des fonctionnaires du trésor français à l’UEMOA et à la BECEAO.
Soro Guillaume était donc la monnaie d’échange, et l’échange a bien eu lieu. La question reste cependant, Ouattara pour un troisième mandant? Ou le premier mandat d’un cadre du RHDP face à une opposition décimée? Demain nous le dira.