Dans le cadre de la lutte contre la pandémie du Covid-19, le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly a annoncé plusieurs mesures en faveur des populations et des opérateurs économiques. Toutefois, le fait que des dons soient effectués au nom du chef du gouvernement, et non pas au nom de l’Etat de Côte d’Ivoire, pose problème, comme le relève Augustin Komoé, Vice-président du FPI, dans la contribution ci-dessous.
Covid-19: Augustin Komoé, Vice-président du FPI, décrypte les mesures prises par le gouvernement en faveur des entreprises et des populations
Le mardi 31 mars dernier, suite au message à la nation du Chef de l’Etat et en application de ses instructions, le 1er ministre a, par visioconférence, fait l’état actuel de la situation sanitaire liée à la pandémie du coronavirus et annoncé deux plans distincts, à savoir: un plan de riposte sanitaire de 95,88 milliards FCFA et un plan de soutien économique social et humanitaire de 1700 milliards FCFA.
Le sujet de notre préoccupation de ce jour porte sur le plan de soutien économique social et humanitaire avec sa série de mesures économiques et sociales en faveur des entreprises et des ménages. Je voudrais remercier le 1er ministre pour ces mesures qui, je l’espère, porteront des fruits pour le bonheur des populations ivoiriennes.
Toutefois, nous savons que l’atteinte de cet idéal dépend de l’efficacité et de la pertinence des mesures prises. Malheureusement, une analyse du plan de soutien économique, social et humanitaire de 1700 milliards de FCFA présenté par le Premier ministre laisse dubitatif sur l’efficacité des mesures préconisées en raison du déficit de précision dont souffrent certaines de ces mesures; ce qui pourrait en limiter la portée. Pour l’essentiel, ce plan prévoit trois (3) types de mesures :
•les mesures de soutien aux entreprises, •les mesures d’appui à l’économie et, •les mesures sociales en faveur des populations. *Les mesures de soutien aux entreprises* visent globalement à soulager la trésorerie des entreprises et à préserver l’emploi par: •la suspension des contrôles fiscaux pour une période de trois mois ; •le report de trois mois du paiement des taxes forfaitaires pour les petits commerçants et artisans ;
•le différemment pour une période de trois mois du paiement des impôts, taxes et versements assimilés dus à l’État ainsi que des charges sociales du fait des difficultés de trésorerie des entreprises ; •la réduction de 25% de la patente de transport ; •le différemment pour une période de trois (3) mois du paiement de l’impôt sur les revenus de capitaux (IRC) aux entreprises du tourisme et de l’hôtellerie qui éprouvent des difficultés ;
•l’exonération des droits et taxes de porte sur les équipements de santé, matériels et autres intrants sanitaires entrant dans le cadre de la lutte contre le COVID-19 ; •l’annulation des pénalités de retard dans le cadre de l’exécution des marchés et commandes publics avec l’État et ses démembrements durant la période de crise ; •le remboursement des crédits de TVA dans un délai de deux (2) semaines, grâce à un allègement des contrôles à priori et le renforcement des contrôles à posteriori ;
•le paiement de la dette intérieure, notamment aux entreprises des sous-secteurs sinistrés du fait de la crise, en privilégiant les factures inférieures à 100 millions pour atteindre le maximum d’entreprises, en particulier les PME et les TPE. Hormis la promesse de paiement de la dette intérieure aux entreprises des sous-secteurs sinistrés du fait de la crise, ces dispositions se résument à un report des obligations fiscales et sociales des entreprises dont les activités souffrent des mesures de sauvegarde sanitaire.
Par ailleurs, pour des raisons qui nous échappent, le coût de ces mesures n’a pas été précisé. C’est le lieu de rappeler que ces mesures sont du même ordre que celles que le président du FPI, le 1er ministre Pascal Affi N’Guessan, avait proposé dans son message du 28 mars dernier. Nous nous en réjouissons. *Les mesures d’appui à l’économie,* d’un coût de 650 milliards de FCFA consistent notamment:
•à la mise en place d’un fonds de soutien au secteur privé pour un montant de 250 milliards de FCFA, prenant en compte le renforcement du soutien aux PME pour au moins 100 milliards de FCFA et la mise en place de fonds de garantie, afin d’avoir un effet de levier sur l’accès au crédit ; •à la mise en place d’un fonds spécifique d’appui aux entreprises du secteur informel touchées par la crise pour un montant de 100 milliards de FCFA
•au soutien aux principales filières de l’économie nationale, notamment l’anacarde, le coton, l’hévéa, le palmier à huile, le cacao, le café, pour un montant de 250 milliards de FCFA ; •au soutien à la production vivrière, maraichère et fruitière pour un montant de 50 milliards de FCFA, dont 20 milliards au titre des intrants. *Enfin en ce qui concerne les mesures sociales en faveur des populations*, le plan envisage de: •décaler, pour l’ensemble des abonnés, les dates limites de paiement des factures d’électricité et d’eau, d’avril à juillet 2020, et de mai à août 2020 ;
•prendre en charge les factures d’électricité et d’eau, devant être payées en avril et en mai 2020, des couches défavorisées c’est-à-dire des ménages abonnés au tarif social d’électricité, et des ménages facturés uniquement dans la tranche sociale pour l’eau. Cela concerne plus d’un million de ménages soit environ 6 millions de nos concitoyens ; •instaurer un fonds de solidarité pour un montant de 170 milliards de FCFA, en vue de financer les populations les plus vulnérables dans le cadre du soutien humanitaire d’urgence, à travers notamment l’élargissement du champ des filets sociaux ;
•renforcer le contrôle des produits de grande consommation et appliquer des sanctions aux contrevenants ; •inciter les propriétaires de logements à faire preuve de souplesse et à discuter avec leurs locataires. De toutes ces dispositions que je viens de citer, il convient de noter que la seule mesure chiffrée est celle relative à la création du fonds de solidarité pour un montant de 170 milliards de FCFA pour l’élargissement des filets sociaux.
Par ailleurs, il ressort de l’analyse des principales mesures économiques et sociales que le report des échéances fiscales et sociales en vue de soulager la trésorerie des entreprises en difficulté n’entraine ni décaissement, ni abandon de ressources de la part de l’Etat. Il n’occasionne donc pas un financement quelconque par l’Etat.
Dès lors, il n’y a logiquement pas lieu de les comptabiliser dans le plan de riposte de 1 700 milliards de FCFA. Je note également que les conditions d’accès aux mesures d’appui à l’économie, estimées à 650 milliards de FCFA, ne sont pas précisées. Il en est de même des 150 milliards de FCFA destinés au secteur privé dont on ne sait s’ils seront distribués aux entreprises sous forme de prêts ou de remplacement du chiffre d’affaires perdu ou alors s’ils seront mis dans les caisses des organisations patronales?
Aujourd’hui, rien ne permet de savoir si les 100 milliards de FCFA prévus pour le fonds de garantie serviront à créer un établissement financier de garantie ou s’ils seront gérés par le gouvernement. De toute évidence le fonds de 100 milliards de FCFA prévus pour soulager et moderniser le secteur informel est totalement insuffisant. En effet, ce montant est largement en dessous des besoins réels de ce secteur qui, a lui seul, représente 80 % de l’essentiel de l’activité économique de notre pays.
Pour ce secteur il est nécessaire de mettre en place un écosystème constitué d’une banque dédiée, d’une fiscalité spécifique et d’un réseau d’infrastructures de production à travers tout le pays.
Les propositions du 1er ministre risquent de laisser pour compte le secteur informel, moteur de notre économie, et donc de ne pas prendre en compte de nombreux concitoyens, dès lors que, concrètement, rien n’a été spécifiquement prévu pour soutenir nos braves paysans, cultivateurs, pêcheurs qui voient leur chiffre d’affaires largement compromis avec la baisse des activités et donc des revenus de leurs clients.
La prise en charge par l’Etat des factures d’électricité et d’eau pour les ménages abonnés au tarif social d’électricité et facturés uniquement dans la tranche sociale pour l’eau n’a pas été chiffrée. Cependant, selon nos estimations, cela ne devrait pas coûter plus de 43 milliards de FCFA sur 3 mois pour environ 1 200 000 ménages.
En effet, en supposant que le nombre d’abonnées au tarif social soit passé de de1 060 860 personnes en 2018 à 1 200 000 en 2020, avec une facture d’électricité et d’eau combinée de 12 000 FCFA par mois. Cela fait 14.4 milliards par mois soit effectivement 43 milliards sur 3 mois.
En ce qui concerne les filets sociaux, et selon les derniers chiffres publiés par le gouvernement lui-même, ce programme nécessite un budget annuel de 18 milliards de FCFA pour 127 000 familles démunies, soit environ 142 000 FCFA par an et par famille démunie ou encore 11 811 FCFA par mois.
Sur cette base, si le gouvernement décidait d’étendre les filets sociaux aux 1 060 860 abonnés sociaux sur 12 mois, cela ne couterait à l’Etat que 150 milliards FCFA et non 175 milliards de FCFA. Au total, en faisant le compte des investissements prévus par le gouvernement au titre de son plan de riposte économique, il ressort concrètement à 968 milliards de FCFA, soit pratiquement la moitié des 1700 milliards de FCFA annoncés par le 1er ministre.
L’absence de précisions et d’éléments d’informations sur la source de financement de ce programme, contrairement aux propositions du président Affi Nguessan qui elles étaient chiffrées et détaillées, révèle la précipitation dans laquelle il a été préparé. De même, le recours à un décret instituant l’état d’urgence sur la base d’une loi désuète de 1959 explique en partie la faiblesse du cadre juridique et institutionnel servant de support aux des actions en faveur de la lutte contre la pandémie du covid-19.
C’est pourquoi, le président Affi Nguessan avait proposé au gouvernement de faire adopter par ordonnance une loi sur l’urgence sanitaire, adaptée à la circonstance. Pire, rien dans ce programme n’annonce de façon chiffrée un quelconque renforcement du dispositif des mesures sanitaires, notamment en ce qui concerne les achats d’équipements et de médicaments.
De même, aucune mesure concrète n’a été prise relativement aux baux d’habitation et professionnels. Pourtant tous, nous savons que le paiement des loyers sera un réel problème pour certaines entreprises qui ont été sommées d’arrêter leurs activités ou qui ne peuvent plus exercer à cause du couvre-feu. C’est aussi le cas pour la protection des salariés contre les licenciements abusifs dans cette période de crise.
En définitive, l’on est en droit de douter de la pertinence et de l’efficacité des mesures prises par le gouvernement tant elles sont imprécises, incertaines et en décalage avec les besoins réels des populations, des ménages et des entreprises, en cette période trouble.
La lutte contre le coronavirus doit être l’affaire de tous, loin de toute instrumentalisation de cette pandémie à des fins électoralistes comme malheureusement nous pouvons le constater avec des dons ciblés en faveur de certaines populations, au nom du 1er ministre et non en celui de l’Etat de Côte d’Ivoire.
A situation exceptionnelle, stratégie adaptée ! Les circonstances actuelles appellent au rassemblement de toutes les forces de la nation ivoirienne pour relever le défi de la pandémie du covid-19. Je vous remercie.
Augustin Komoé, Vice-président du FPI.