Soro Guillaume vit en exil depuis son retour manqué en Côte d’Ivoire, en décembre 2019. Prié de quitter la France après son appel à l’armée ivoirienne pour faire barrière au « troisième mandat anticonstitutionnel » du Président Alassane Ouattara, l’ancien chef du Parlement ivoirien vit dans la clandestinité sur le vieux continent, d’où il vient de donner une interview sur l’actualité politique ivoirienne.
Soro Guillaume à la tête d’une rébellion, une entrée en scène manquée dans la politique ivoirienne ?
Législatives 2001, Soro Guillaume est le colistier d’Henriette Dagri Diabaté dans la commune de Port-Bouët, avant que son parti d’alors, le Rassemblement des républicains (RDR), ne décide de boycotter ce scrutin. L’ancien Secrétaire général de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) disparaît de la scène, avant de réapparaître le 19 septembre 2002, à la tête de la rébellion du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), devenu par la suite Forces nouvelles (FN) après la coalition avec les autres mouvements rebelles du MJP (Mouvement pour la justice et la paix) et le MPIGO (Mouvement Populaire ivoirien du Grand Ouest).
Commençait alors la bataille contre son désormais ancien mentor, Laurent Gbagbo, président de la République (2000-2011). L’homme à la mamelle politique de qui il s’est nourri alors qu’il était encore leader syndical. La bataille fut âpre entre la rébellion et le pouvoir ivoirien d’alors, jusqu’à ce qu’en 2007, Guillaume Soro soit nommé Premier ministre à la suite du dialogue direct entre le gouvernement ivoirien et la rébellion, tenu au Burkina Faso, sous la conduite de Blaise Compaoré. Dialogue sanctionné par l’accord de Ouagadougou.
Cette cohabitation a duré jusqu’à l’élection présidentielle de 2010 qui a consacré de profondes dissensions entre les institutions ivoiriennes. Alors que la Commission électorale indépendante (CEI) proclamait Alassane Ouattara comme le vainqueur de ce scrutin de sortie de crise, le Conseil constitutionnel désignait Gbagbo Laurent (FPI, Front populaire ivoirien) comme celui qui a remporté cette élection.
Éclate donc la crise postélectorale entre le camp Gbagbo et le camp Ouattara. Soro Kigbafori Guillaume se retrouve du côté du Golf Hôtel où étaient établis les pro-Ouattara. La Communauté internationale ayant pris fait et cause pour le président Ouattara, c’est donc à coup de canon et de bombardement de la force Licorne agissant sous mandat onusien, que l’ancien président sera tiré de son bunker.
Soro Guillaume, le début de ses déboires avec le camp Ouattara
Après la chute de Laurent Gbagbo, le 11 avril 2011, l’ancien patron de Bouaké (2e ville de Côte d’Ivoire, au centre du pays et fief de l’ex-rébellion) est reconduit dans ses fonctions de Premier ministre, Chef de gouvernement, avec en sus le portefeuille de ministre de la Défense, par le président Alassane Ouattara. Le député de Ferkessédougou sera par la suite bombardé Président de l’Assemblée nationale. Il n’arrivera cependant pas au terme de son second mandat à la tête du Parlement, car prié de quitter le tabouret pour son refus d’adhérer au RHDP unifié.
Soro Guillaume rejoint ainsi l’opposition contre son mentor le Président Alassane Ouattara. Dès son éviction du sommet de l’Hémicycle, le natif de Kofiplé à Diawala (Ferkessédougou, dont il est le député) entreprend une grande tournée dans le Nord ivoirien pour s’expliquer sur sa nouvelle posture. Après quoi, il s’envole pour la France où il tient des conférences de presse et ses fameuses Crusch Party à travers les capitales européennes.
Vient alors le 23 décembre 2019, et Guillaume Soro décide de rentrer en Côte d’Ivoire. Et ce, après avoir annoncé sa candidature à l’élection présidentielle d’octobre 2020. Mais un impressionnant dispositif sécuritaire installé à l’aéroport international Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan obligera le bombardier Challenger 604 battant pavillon allemand, à dérouter pour atterrir précipitamment à Accra avant de repartir finalement vers l’Europe.
À Abidjan, des compagnons de Soro, qui animaient une conférence de presse pour expliquer les circonstances de ce retour manqué, ont été arrêtés au siège de Générations et peuples solidaires (GPS) à la Riviera Golf, commune de Cocody, et écroués dans diverses prisons à travers la Côte d’Ivoire.
Soro Guillaume : « Mes ennemis sont aux aguets et peuvent attenter à mon intégrité physique. »
Commence ainsi l’exil pour Soro Guillaume et certains de ses proches. Adhérent aux mots d’ordre de désobéissance civile et de boycott actif lancé par Henri Konan Bédié, chef de file de l’opposition ivoirienne, GKS s’active depuis Paris à travers de nombreuses actions et autres tweets hostiles au pouvoir d’Abidjan, répétant à qui veut l’entendre, qu’il n’y aura pas d’élection présidentielle en Côte d’Ivoire.
Avant d’appeler l’armée ivoirienne à prendre ses responsabilités pour sauver la paix en Côte d’Ivoire. C’est certainement la goutte d’eau qui fera déborder le vase, car le Président français, Emmanuel Macron, va déclarer, las : « Il n’a pas à créer le désordre et sa présence n’est pas souhaitée, sur notre territoire, tant qu’il se comportera de cette manière. »
Retranché quelque part en Europe, l’ex-président du Parlement ivoirien peut compter sur quelques amitiés, dont des Turcs. Se rendant à l’évidence que sa sécurité était fortement menacée dans l’Hexagone. « À partir du moment où Macron a changé d’avis sur la Côte d’Ivoire, j’ai eu des raisons de croire qu’il ne tenait plus à assurer ma sécurité en France. Quand vous avez de la jugeote, il vaut mieux ne pas insister. Et amicalement, je lui ai fait dire que je m’en allais. », a-t-il déclaré dans un tweet, avant d’ajouter : « J’ai quitté la France à la suite de ce changement de cap. Vous savez que mes ennemis sont aux aguets et peuvent attenter à mon intégrité physique. »
Soro Guillaume, une personnalité controversée de la scène politique ivoirienne ?
En Côte d’Ivoire, la justice ivoirienne a condamné par contumace Soro Guillaume à 20 ans d’emprisonnement pour recel de détournement de deniers publics. Son nom est cité par le Procureur de la République dans une autre affaire de déstabilisation des institutions de la république. Un mandat d’arrêt international a d’ailleurs été émis par les autorités ivoiriennes.
Pour les élections législatives du 6 mars 2021, Guillaume Soro a appelé ses compagnons de GPS à le boycotter. Cependant, le nombre de défections dans le camp des soroïstes ne se compte plus. Même l’inconditionnel ancien ministre des Sports, Alain Lobognon, en prison depuis ce fameux retour manqué de Soro, a décidé de fouler aux pieds ses recommandations en se portant candidat pour aller défendre son poste de député à Fresco.
Guillaume Soro apparaît à ce jour comme un homme isolé sur la scène politique ivoirienne. L’ancien chef rebelle a certes rencontré son ancien compagnon de lutte syndical, Charles Blé Goudé, à La Haye. Mais toutes ses tentatives pour aller rencontrer l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo sont jusque-là restées sans suite.
A noter par ailleurs que le nom de Guillaume Soro a été cité dans une affaire d’écoutes téléphoniques lors d’un coup d’Etat manqué contre les autorités de transition au Burkina Faso voisin. Mais les Présidents Alassane Ouattara et Roch Kaboré ont décidé de traiter cette autre affaire par la voie diplomatique.
C’est à croire que ces différentes prises de position politique l’ont conduit dans une voie sans issue. Il faudra toutefois relativiser, car, comme le disait un ancien dirigeant français : « Le politique est la saine appréciation des réalités du moment. » Tieni Gbanani qui dit être devenu, à 50 ans, « un autre homme », pourra certainement apprendre de ses erreurs afin de se relancer sur la scène politique ivoirienne.