De retour en Côte d’Ivoire depuis le 17 juin dernier, après une décennie passée loin des frontières ivoiriennes, Laurent Gbagbo s’est rendu, jeudi 1er juillet au domicile du défunt Aboudrahame Sangaré, son compagnon de lutte décédé alors qu’il était encore dans les mailles de la Cour pénale internationale (CPI). Après les présentations des condoléances à la famille du disparu, l’illustre hôte s’est prêté à un émouvant témoignage à celui qui fut, durant de longues années, l’un, sinon le plus fidèle de ses compagnons.
Comment Gbagbo a appris le décès de son « frère et ami » Sangaré
» Quand je suis allé à Gbéléban, Touba, Madinani, c’est avec Sangaré que j’ai fait ces tournées. Quand on a fini ces visites-là, pour les autres localités, j’ai demandé à Sangaré de rester à Abidjan pour surveiller le parti. Comme s’il m’arrive quelque chose là-bas, il puisse prendre le relai. (…). Donc je suis venu pleurer Sangaré. Aujourd’hui on ne pleure pas. Parce qu’on a beaucoup pleuré. J’étais au téléphone avec Gnagne Adou qui suivait Sangaré. Je lui ai demandé, ‘’Gnagne comment ça va ? Est-ce que vous avez trouvé les moyens pour l’envoyer en Tunisie ?
’’ Il m’a dit ‘’Président on cherche’’. Et c’est pendant qu’il me disait on cherche que quelqu’un est venu lui dire que Sangaré est mort. Mais il ne savait pas comment me dire ça. Et je lui dis, mais Gnagne ‘’j’ai compris ce qu’on t’a dit’’. Ce qui me choque, c’est que c’est lui qui a enterré ma mère. Et je ne lui ai même pas dis merci et il est mort. Enfin, je tenais à vous présenter mes condoléances. Je suis heureux d’être là, mais je suis triste de ne pas trouver Sangaré.
Gbagbo à propos de Sangaré : » Il y en a qui parlent mais ils ne savent pas d’où on vient ! »
Avec Sangaré on a fait beaucoup de choses ensemble. Quand je suis arrivé d’exil, tous les soirs, je venais ici chez lui et on causait de tout. C’était encore le parti unique hein. Il y en a qui parlent, mais ils ne savent pas d’où on vient ! On se retrouvait et on causait. Or on nous surveillait (le régime d’alors). Un matin, je me réveille, ma maison est encerclée. On m’envoie à la présidence. Et je trouve Sangaré là-bas. On était déjà venu le prendre. Je ne le savais pas. Depuis ce jour-là, selon moi, que le FPI est devenu légal. Parce que quand on est sorti de là-bas, je n’avais plus peur de quelque chose.
Parce que je me suis rendu compte que Houphouët savait qu’on faisait des réunions contre lui, de quoi aurions-nous peur alors ? Parfois je me réveillais et je trouvais des policiers dans mon jardin cachés dans les fleurs. Un jour, j’ai failli uriner sur la tête d’un policier. Je sors, je veux uriner et je vois un policier sortir des fleurs pour que je ne fasse pas ça sur lui. On a donc traversé vraiment des moments. En 2000, je dormais à mon QG de campagne parce que les soirs, j’avais peur d’aller à la maison pour qu’on ne m’agresse pas en route. Et quand on a gagné, je suis entré dans les toilettes. J’ai appelé Sangaré. Quand il est venu, il est entré et j’ai fermé la porte.
Gbagbo : » C’est Sangaré qui a désigné Affi N’guessan comme mon Premier ministre »
Je lui ai dit ‘’Sang, on a gagné, prend en même temps le poste de Premier ministre. Il a refusé. Si c’était aujourd’hui, les gens allaient sauter sur l’occasion. Il y a les jeunes cadres technocrates qui sont là, il faut prendre parmi eux. Le connaissant je savais qu’il allait refuser. Parce que je le connais. Mais il fallait que je lui fasse quand même la proposition. Je lui ai donc dit ‘’tu vois qui’’ ? Il me dit ‘’il y a Mamadou Koulibaly et Affi N’guessan. Je lui dis ‘’tu proposes qui entre les deux’’ ? Et il me dit ‘’Affi a été ton directeur de cabinet, ton directeur de campagne. Il connait bien ta vision, tes idées. Mieux vaut que tu le prennes’’.
Je lui ai dit OK et que si nous rentrons dans la salle, il faut lui annoncer ça toi-même. Quand nous sommes allés dans la salle, il a annoncé cela à Affi. Et Affi s’est mis à pleurer à chaudes larmes comme si on lui avait annoncé un deuil. Il dit ‘’pourquoi moi ? ’’. Je lui ai dit ‘’lève-toi, va t’habiller et va trouver Seydou Diarra vous allez faire la passation de charges. C’est donc Sangaré qui a désigné Affi N’guessan comme mon Premier ministre. Je suis très fier de Sangaré. Sa mort me rend triste. »