Jean Bonin Kouadio est à nouveau sorti de son silence, un peu plus de deux mois après avoir claqué la porte du Front populaire ivoirien (FPI), tendance Pascal Affi N’guessan. Dans la déclaration ci-dessous, l’ancien vice-président du FPI apporte sa contribution au débat politique qui a lieu ces derniers jours autour de l’épineuse question de la réconciliation nationale en Côte d’Ivoire. Surtout après la rencontre des anciens présidents de la République, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo. L’ancien collaborateur de Pascal Affi N’Guessan « regrette que Gbagbo ne soit pas allé saluer Ouattara à son retour ».
Jean Bonin: « Qu’est-ce que cela coûtait au président Gbagbo d’aller saluer son aîné le président Ouattara, avant d’aller sceller une quelconque alliance politique avec Bedié ? »
Depuis quelques mois, j’ai pris du recul avec la politique politicienne. En conséquence, j’ai démissionné du poste de vice-président du FPI que j’occupais et quitté le parti. Cette décision était essentiellement motivée par la nécessité d’être utile au développement de mon pays. Or, dans la conscience collective de mes compatriotes, être utile au pays est incompatible avec toute négociation ou collaboration avec le pouvoir en place. Dans leur conception antédiluvienne, le bon opposant, c’est celui qui s’oppose à tout, y compris à ses propres intérêts. Le bon opposant, c’est celui qui obtient des avancées démocratiques dans le sang ou dans la « lutte » même lorsqu’il peut les obtenir par le dialogue républicain.
C’est une conception dépassée et contre-productive de ce qu’est un opposant. Le monde évolue, il ne s’est pas arrêté en 1990. À côté des marches et autres moyens légaux de contestation, l’opposant moderne participe aussi au jeu politique en faisant des propositions et des contrepropositions. Il s’appuie sur son programme de gouvernement pour agir et confondre le pouvoir. Bref ! Nonobstant ce recul assumé avec la politique, comme la plupart de mes concitoyens, je reste un observateur attentif de l’actualité politique, économique et sociale de mon pays. À cet égard, je me réjouis qu’après avoir été acquitté par la CPI, le président Ouattara ait permis à l’ex-président Gbagbo de revenir dans son pays le 17 juin dernier. C’est un acte de haute portée politique que je voudrais humblement saluer.
À contrario, je regrette que le président Gbagbo, une fois sur le territoire ivoirien ne soit pas allé saluer le Chef de l’État. Je peux comprendre qu’après 8 ans à la CPI il puisse nourrir des ressentiments. C’est humain. Cependant, ce qui distingue les Grands Hommes et fait d’eux des hommes d’État, des Hommes Exceptionnels et au-dessus du lot, c’est leur capacité à prendre de la hauteur et à pardonner. Nelson Mandela était de cette « race ». Et c’est à ce niveau que de nombreux africains souhaiteraient voir le président Gbagbo. Très peu de gens le savent, mais lorsque Mandela a été libéré, après 27 ans de prison, il s’est rendu à la présidence de la république Sud Africaine où il a pris le thé avec le couple présidentiel Pieter Botha. Tout un symbole ! Lors du discours qu’il prononcera au Cap après sa libération, Mandela se fera huer par de nombreux jeunes noirs venus l’écouter. En effet, alors qu’ils attendaient de lui un discours guerrier et revanchard, il leur a plutôt servi un discours de paix et de réconciliation nationale.
« N’est-ce pas la courtoisie élémentaire que de rendre visite au chef d’Etat en exercice, quand on a soi-même exercé le pouvoir d’Etat »
Mandela était conscient que s’ils appelaient la jeunesse à la confrontation, comme il aurait pu très bien le faire, il aurait fait basculer son pays dans la guerre civile. Ce n’était pas ce qu’il souhaitait pour les siens ni pour le pays en général. D’ailleurs, certains de ses héritiers politiques se demandent encore aujourd’hui s’il ne s’était pas trompé le 11 février 1990 en n’appelant pas les jeunes à poursuivre la « révolution ».
Que le président Gbagbo le veuille ou pas, Alassane Ouattara est le président de la république de Côte d’Ivoire. C’est lui qui lui a délivré un passeport diplomatique, autorisé son retour et mis à sa disposition le salon présidentiel de l’aéroport FHB, même s’il a finalement refusé de s’y rendre. Qu’il le veuille ou pas, Ouattara est jusqu’en 2025 le Chef du village. Or, nos traditions nous enseignent que lorsqu’on arrive au village on doit aller présenter ses civilités au Chef et l’informer qu’on est là. Ce n’est pas un signe de faiblesse, bien au contraire, car l’humilité précède la gloire.
En dehors de quelques revanchards qui rêvent d’un hypothétique match retour, qu’est-ce que cela coûtait au président Gbagbo d’aller saluer son aîné le président Ouattara, avant d’aller sceller une quelconque alliance politique avec Bedié ? Bedié n’était-il pas lui-même au Golf Hôtel aux côtés de Ouattara et de Guillaume Soro ?! N’est-il pas lui aussi comptable de la chute du pouvoir FPI et du transfèrement de Gbagbo à la CPI ? Quel est l’intérêt et le gain politique qu’il pourrait tirer de cet agissement sélectif ? Cette posture que le président Gbagbo a décidé d’adopter peut-elle plaider en faveur de la libération des prisonniers militaires, du retour de Charles Blé Goudé et de son amnistie pour les crimes économiques pour lesquels ils a été précédemment condamné ? Rien n’est moins sûr.
Il faut déplorer le fait que la réconciliation nationale soit devenue un simple slogan que chacun entonne pour se donner bonne conscience. Mais à l’épreuve des faits, on se rend bien compte qu’il y a un fossé abyssal entre les actes et les déclarations d’intention. Certaines attitudes trahissent toute aptitude des uns et des autres à aller à la réconciliation vraie. N’est-ce pas la courtoisie élémentaire que de rendre visite au chef d’Etat en exercice, quand on a soi-même exercé le pouvoir d’Etat. Rendre visite est un acte symbolique qui, plus que des mots, aurait, j’en suis persuadé, quelque peu brisé la glace et le mur de méfiance entre les protagonistes. Évidemment, il faudra d’autres symboles encore plus forts pour arriver à la réconciliation nationale. Mais le 1er pas d’une longue marche est toujours le plus important car il imprime la cadence par sa détermination.
« Gbagbo doit continuer à être l’homme de paix qu’il a toujours été »
En s’abstenant de le faire on peut observer par les levées de bois vert auxquelles on assiste actuellement que cela crée de la tension. Le pouvoir et ses partisans se demandent ce que sont les réelles intentions du président Laurent Gbagbo et de ses alliés circonstanciels. Le président Gbagbo a par le passé démontré qu’il pouvait faire preuve de tolérance et d’humilité en acceptant de discuter avec Soro Guillaume lors des accords de Ouagadougou. Il doit continuer à être l’homme de paix qu’il a toujours été. Les va-t-en-guerre qui pullulent dans tous les bords ne sont jamais de bons conseillers. Une des raisons pour lesquelles j’ai longtemps soutenu Affi Nguessan, c’est sa capacité à pardonner et à aller de l’avant, en cherchant en permanence le compromis. Qui ne se souvient qu’à sa sortie de la prison de Bouna, en 2013, il est allé saluer ses geôliers qui l’avaient durant trois ans humilié et rudoyé.
Il se raconte que Affi et Simone Gbagbo ne s’entendent pas. Et pourtant, dès qu’elle a été libérée en 2018 et qu’il en a eu l’occasion, il est allé lui dire le traditionnel Yako de compassion. Enfin, malgré l’artificiel «différend » qui l’opposerait au président Gbagbo, relativement à la présidence du FPI, il s’est rendu à l’aéroport pour l’accueillir. Autant de gestes qui montrent qu’il est Grand, dans la droite ligne idéologique du « asseyons-nous et discutons » qu’il n’a jamais renié. F. Houphouët-Boigny, le père de la nation, disait à juste titre que « la paix ce n’est pas un vain mot, c’est un comportement ». Il ne peut en être autrement en ce qui concerne la réconciliation vraie. Elle s’alimente d’attitudes et de comportements qui doivent rassurer la communauté, dans toute sa diversité politique, religieuse et ethnique.
« Je plaide pour que nos trois Grands mettent balle à terre »
À Daoukro, dans son allocution lors de la réception de Gbagbo, le président Henri Konan Bédié, a dit ceci « mon ambition pour la Côte d’Ivoire est d’apporter les forces qui me restent, pour la réconciliation vraie dans mon pays « . Je voudrais le saluer et le féliciter pour cet engagement qu’il a publiquement pris. Les actes doivent suivre. Je plaide pour que nos trois Grands mettent balle à terre. La belligérance ne saurait être une fatalité à laquelle nous sommes condamnés à vivre et à revivre. Tous, à un moment où un autre, nous avons expérimenté la méchanceté, la haine, la rancune et la rancœur. Ces ressentiments ne nous ont pas apporté le bonheur tant espéré.
Le temps n’est-il pas venu, humblement, que nous expérimentions l’amour du prochain, la fraternité et l’humilité. L’humilité, c’est malheureusement ce qui manque le plus à certains de nos hommes politiques dont l’ego surdimensionné et étriqué sapent toute velléité d’apaisement social. Or, il est évident qu’aucune réconciliation ne pourra se faire dans l’arrogance, la défiance et la méfiance des uns envers les autres. Le 7 août prochain, notre pays célèbrera son indépendance.
À l’instar de ce qui est devenu banal au Ghana, je formule le vœu que le Chef de l’Etat Alassane Ouattara convie à ses côtés ses prédécesseurs à assister aux festivités qui marqueront cette cérémonie. Ce serait un signal fort envoyé à tous nos compatriotes afin qu’ils empruntent les sillons de la réconciliation qu’ils auraient ainsi, ensemble, défrichés. Ils libèreraient le pays. Le génie créateur ivoirien pourrait alors s’exprimer pour la grandeur d’une Nation conquérante.