Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo se sont (enfin) rencontrés après plus d’une décennie de tensions juridico-politiques. Aussi fraternelle soit cette rencontre, les deux hommes d’État n’ont pas manqué de se lancer des messages hautement politiques qui ne sont nullement passés inaperçus pour des esprits avisés.
Laurent Gbagbo plaide auprès de Ouattara : « J’ai insisté sur les prisonniers »
À la suite de leur entretien en privé, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara se sont exprimés devant la presse nationale et internationale. Chacun y allant de son style et de ses sentiments pour lever un coin de voile sur les sujets abordés lors de leur tête-à-tête.
C’est le fondateur du Front populaire ivoirien (FPI), ancien pensionnaire de la prison de Scheveningen, qui a pris, le premier, la parole pour déclarer qu’ils se sont « parlé fraternellement et amicalement », et surtout dans une atmosphère « détendue ».
Mais là où l’ancien chef d’État ivoirien s’est voulu mordant, c’est bien à propos de la question des prisonniers militaires et autres civils détenus depuis la crise postélectorale. « J’ai surtout parlé avec le Président, j’ai insisté sur les prisonniers qui ont été arrêtés au moment de la crise de 2010-2011 et qui sont encore en prison. Alors j’ai dit au Président, et vous serez d’accord avec moi, que j’étais leur chef de file. Et moi, je suis dehors aujourd’hui, eux ils sont en prison », a déclaré le Woody de Mama.
Puis, il ajoute : « J’aimerais que le président fasse tout ce qu’il peut pour les libérer. Le président a les moyens et c’est lui qui juge l’opportunité des moyens et des moments pour ces libérations. Et donc, j’ai insisté sur ça. » Cette doléance faite en direct est d’autan plus d’actualité que Laurent Gbagbo s’était vu imposé une fin de non-recevoir à sa demande auprès de la justice ivoirienne, de passer rendre visite à ses proches détenus à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA).
Alassane Ouattara : « … Ce qui ne nous rend pas jeunes »
Le Président Ouattara, faut-il le rappeler, avait pris une ordonnance d’amnistie, le 6 août 2018, permettant la libération de 800 prisonniers liés à la crise postélectorale dont l’ancienne Première Dame Simone Gbagbo. La demande de Gbagbo à Ouattara pourrait donc s’apparenter à une pression sur le pouvoir d’Abidjan, d’autant plus que les Ivoiriens, dans leur grande majorité, appellent leurs leaders politiques à tourner la page de la crise pour s’inscrire dans l’élan de la réconciliation nationale.
De son côté, Alassane Ouattara a toujours exprimé sa volonté de passer la main à la jeune génération. Devant l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès à Yamoussoukro, le Président Ouattara avait annoncé sa retraite politique, à la fin de son second mandat, avant de revenir dans l’arène politique après le brusque décès de son dauphin désigné, le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly. Aussi, à sa prise de parole, le leader du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) n’a-t-il pas manqué d’en parler, à demi-mot, à son prédécesseur.
« Les gens ne savent pas que nous nous sommes parlé, que nous sommes des amis depuis des décennies, ce qui ne nous rend pas jeunes », a déclaré le Président Ouattara, avant d’ajouter : « Laurent est mon jeune frère et mon ami. Certes, il y a eu cette crise qui a créé des divergences, mais cela est derrière nous. Ce qui importe aujourd’hui, c’est la Côte d’Ivoire, c’est la paix pour notre pays. Et cela, c’est pour les nouvelles générations. »
Tout en présentant ses condoléances à son frère Laurent pour le décès de sa génitrice Gadô Marguerite et son compagnon de lutte politique, Aboudrahamane Sangaré, Alassane Ouattara a réitéré ses remerciements à Laurent Gbagbo pour les services à lui rendus par le passé. À les entendre, l’on pourrait bien dire que la réconciliation nationale se met bien en place.