L’ancien chef de l’Etat ivoirien, Laurent Gbagbo, Président du PPA-CI, a craché ses vérités au président de la République, Alassane Ouattara, à la tête de la Côte d’Ivoire depuis 2011. C’était le samedi 05 février 2022 sur la Place Publique de Mama, à l’occasion d’une rencontre avec des femmes et jeunes de Côte d’Ivoire. Ci-dessous, de larges extraits de son discours-vérité.
Laurent Gbagbo assomme le président Ouattara: « Quand la Constitution dit qu’un homme ne peut faire que deux mandats présidentiels et qu’il en fait trois, c’est un coup d’Etat civil »
(…) Ces temps-ci on, se plaint beaucoup des coups d’Etats militaires en Afrique de l’ouest : deux coups d’État militaires au Mali, il y a eu un coup d’Etat militaire en Guinée il y a eu un coup d’Etat militaire au Burkina Faso. Je regardais la télévision, j’ai vu Hubert Oulaye qui avait été invité par une chaîne. Il s’en est très bien sorti. Félicitations. Mais Malicieusement, les gens lui disent qu’on dirait que vous vous réjouissez des coups d’Etat militaires. Il a répondu comme tous ceux qui ont répondu ici. Mais je voulais dire quand dans un pays on fait des coups d’Etats civil et que ces coups d’Etats ne sont pas condamnés mais applaudis, il ne faut pas s’étonner après que des militaires fassent des coups d’Etat militaires.
C’est ça je veux dire. Quand la Constitution dit qu’un homme ne peut faire que deux mandats présidentiels et qu’il en fait trois, c’est un coup d’Etat civil. Mais on ne le dit pas et on ne le condamne pas assez. Un coup d’Etat est un coup d’Etat. Vous voyez aux États-Unis si Joe Biden ou Donald Trump décidait, par exemple, de faire un troisième mandat mais ça serait la révolution dans tout le pays. Ils ne peuvent pas parce que ce qu’on écrit on doit le respecter. Ce qu’on met dans la Constitution, on doit le respecter. Quand tu as écrit qu’il faut 02 mandats et que tu te débrouilles pour en faire 03, le militaire avec son fusil se dit j’ai une arme, eh ben je fais un coup d’Etat. Voilà les conséquences des actes des politiques.
Après ce sont eux qui sont durs avec les militaires. Mais un coup d’Etat est un coup d’état. Un coup d’Etat, c’est la rupture de l’ordre normal des choses. Je voulais du haut de cette tribune dire à toute la classe politique ivoirienne de laisser tomber les coups d’Etat, d’oublier les coups d’Etat, de laisser ça, et comme on le dit chez nous à Yopougon, de quitter dedans. Un homme politique ne finit jamais un travail de refondation du pays. On ne finit pas. Même Napoléon qui a fait un coup d’Etat militaire, n’a pas terminé son travail. Il a fait beaucoup de choses mais il a terminé en prison. Quand on fait la politique, on n’a pas vocation à achever son programme. Un programme ne s’achève jamais. C’est pourquoi, il faut des jeunes derrière soi qui vont continuer le programme au lieu où vous avez laissé. C’est pourquoi il faut des jeunes générations pour prendre la relève. Ça c’est la première remarque.
« Si on m’avait jugé en Côte d’Ivoire, je ne sais pas mais peut-être que j’aurais déjà été condamné à 60 ans de prison »
La deuxième remarque concerne les prisonniers militaires. Mais tant qu’ils sont en prison, chaque fois que j’ai un micro, je parlerai d’eux. Pourquoi sont-ils en prison ? Pourquoi les militaires sont ils encore en prison aujourd’hui ? Et puis les gens disent « les militaires de Gbagbo ». Ce ne sont pas les militaires de Gbagbo, je n’ai pas une école de formation militaire. Ce sont les militaires de l’armée ivoirienne que j’ai trouvé là. Pourquoi sont-ils en prison encore aujourd’hui ? On a un conflit post-électoral sur le résultat des élections. Les rebelles attaquent en partant de Toulepleu, Duékoué, pour descendre sur Abidjan. Les militaires avancent pour les stopper, c’est une bagarre entre deux groupes armés. On vient, on arrête le Chef d’Etat, je peux comprendre que le Chef d’Etat est le chef des armées.
Heureusement qu’on m’a jugé à la Haye parce que si on m’avait jugé avec ceux que vous connaissez ici, je ne sais pas mais peut être que j’aurais déjà été condamné à 60 ans de prison. Alors, on arrête le Chef d’Etat qu’on juge en utilisant toutes les pièces, et en produisant 82 témoins. Au bout des 82 témoins à charge, les juges disent la défense ce n’est pas la peine que vous produisez vos témoins parce que les témoins à charge ont déjà déchargé l’accusé. Ce qu’ils ont dit étaient tellement, je ne veux pas être méchant, contradictoires. En plus simple, les juges ont dit que ça leur suffisait comme ça et que nous devions revenir la semaine prochaine pour le prononcé de la sentence. La semaine suivante, mon jeune collègue Blé Goudé et nous, on nous déclare acquittés. On nous déclare acquitté de toutes les charges qui étaient portées contre nous, de déclarations de guerre, d’assassinat, donc rien.
La plupart des Généraux sont passés à la barre pour témoigner. Alors, on nous relaxe, on nous acquitté et j’arrive en Côte d’Ivoire pour trouver que ceux qui obéissent à l’ordre du Président de la République, eux ils sont en prison. Mais ce n’est pas juste. L’armée n’a pas une décision propre pour déclarer la guerre. L’armée fait la guerre quand on lui ordonne de la faire. L’armée défend le pays quand on lui ordonne de défendre le pays. Le cerveau est innocent mais les bras sont en prison. Où est-ce que vous avez vu ça. La tête est innocente mais les bras sont en prison. Cela est injuste et inacceptable. Et il faut que pour qu’il ait un minimum de justice, qu’on libère sans plus tarder les militaires qui sont en prison. Partout où je passerai je dirai cela. Parce que c’est ça la vérité.
« Un troisième mandat est un coup d’Etat civil »
Chers amis, chers frères, chers jeunes, les temps sont durs. Et comme les temps sont durs, nous nous devons aussi d’être durs parce que les combats que nous avons commencé n’ont pas encore trouvé de solutions ? Est-ce que l’ivoirien mange ces trois repas par jour ? Non. Est-ce que chaque ivoirien mange trois repas par jour ? Est ce que les gens de la Bagoué ont l’eau tous les jours ? Eux, je les ai vu ramasser de l’eau dans les marées. J’étais en tournée là-bas, je me suis arrêté pour regarder cette misère. Et ça c’était au moment où la Côte d’Ivoire était un peu encore prospère. Mais aujourd’hui, c’est la catastrophe. Les gens ne voient pas cette catastrophe mais ce qui leur importent, c’est de faire des coups d’Etats civils. Je suis contre les coups d’Etats civils. Je suis contre ça.
Mais il faut dénoncer aussi les coups d’Etats civils. Un troisième mandat est un coup d’Etat civil. Un troisième mandat, alors que la constitution, ne le permet pas est un coup d’etat civil et je suis contre les coups d’Etats civils et les coups d’Etats militaires. Il faut établir le lien de causalité. Je suis contre les coups d’Etats militaires. Celui qui fait un coup d’Etat constitutionnel, je ne suis pas son ami et ça c’est évident. Mais comme on est des compatriotes on peut causer mais je ne suis pas son ami. On peut se trouver au maquis mais je ne suis pas son ami. Il faut que les lignes de démarcation soit tracées de façon claire. Si nous voulons que notre pays aille de l’avant, il faut que ce soit clair dans toutes les têtes. Les USA ont leur constitution depuis la fin du 18ème siècle. Ils ont traversé des crises graves, ils ont aboli l’esclavage.
« Il faut respecter les Constitutions que nous nous donnons »
Ils ont traversé la première et deuxième guerre mondiale et ils continuent d’avancer avec la même Constitution. Quand un article de la Constitution devient gênant à cause du temps, ils se réunissent en congrès et ils votent un amendement constitutionnel et l’article gênant n’est plus gênant. En France, la constitution de la 5ème République a été votée en 1958. Nos parents ont voté puisque nous étions encore colonie française. Depuis 1958 jusqu’à aujourd’hui, c’est encore la Constitution. Depuis 1960 jusqu’au aujourd’hui, nous sommes à la 3ème République. On change des constitutions comme on change les petits-déjeuner.
Le matin tu te lèves, tu dis aujourd’hui je ne veux plus d’omelettes, je veux des œufs bouillis. Aujourd’hui, je ne veux pas du café au lait mais du café noir. Ce n’est pas ça diriger et gouverner un pays. Ce n’est pas ça. Diriger un pays, c’est soumettre ceux qui refusent d’obéir aux règles mais c’est se soumettre soi-même aux règles. Moi j’ai été Président, pendant 10 ans, je n’ai jamais modifié un article de la Constitution parce qu’il y avait tout dans la Constitution pour avancer sans la modifier. Il y avait tout. Donc il faut respecter les Constitutions que nous nous donnons ».