De Bedié à Ouattara, en passant par Guéï et Gbagbo, aucune solution pérenne n’a été trouvée pour rendre compétitif l’enseignement supérieur ivoirien, analyse Jean Bonin KOUADIO. Dans la chonique ci-dessous, le Juriste Membre du cabinet international d’avocats Serres, Paris, dénonce l’impact négatif du désengagement de l’Etat du secteur de l’enseignement supérieur.
Enseignement supérieur ivoirien: Business au sommet de l’Etat (Par Jean Bonin KOUADIO)
De fait, le désengagement de l’Etat du secteur de l’enseignement supérieur (1) a eu un impact négatif sur le niveau général des études et cela a perverti le système éducatif ; ce qui met en évidence la corrélation entre pauvreté et chômage (2).
1 – L’impact négatif du désengagement de l’Etat du secteur de l’enseignement supérieur. Le désengagement a donné lieu à l’éclosion d’une multitude de « grandes » écoles qui sont en réalité de véritables usines à fabriquer des chômeurs, étant donné que la plupart des diplômes qui y sont délivrés ne sont pas adaptés aux besoins du marché de l’emploi (a). Par ailleurs, certains acteurs majeurs dans le système éducatif supérieur profitent de ce retrait de l’Etat pour s’enrichir (b).
a) – Des formations diplomantes non adaptées au marché de l’emploi.
Chaque année des milliers de diplômés du type BTS en ressources humaines, communication, gestion commerciales, comptabilité… sont déversés sur le marché de l’emploi. Au final, très peu auront la chance de trouver le St Graal ; un emploi. Et pour cause, ces formations générales n’ont plus la côte auprès des entreprises qui elles préfèrent recruter des diplômés d’un niveau maîtrise, ingénieur ou plus. Encore que même à ce niveau, rien n’est gagné d’avance. En son temps, Houphouët-Boigny qui avait compris que nous sommes un pays en développement, a été bien inspiré de créer un institut national polytechnique qui regrouperait plusieurs écoles spécialisées : l’INPHB. Ainsi ont été créés :
– l’École Supérieure d’Agronomie (ESA),
– l’École Supérieure d’Industrie (ESI),
– l’École Supérieure de Commerce et d’Administration des Entreprises (ESCAE),
– l’École Supérieure des Mines et de Géologie (ESMG),
– l’École Supérieure des Travaux Publics (ESTP),
– l’École de Formation Continue et de Perfectionnement des Cadres (EFCPC).
Plus de trois (3) décennies après son décès, les choses sont restées en l’état. La dernière fois que je m’étais rendu à l’INPHB de Yakro, en 2014, j’avais eu droit à un spectacle de désolation en constatant la dégradation des infrastructures et l’obsolescence des équipements didactiques. J’espère que depuis lors les choses se sont arrangées.
b) – Le désengagement de l’Etat a ouvert la porte à la corruption dans le secteur de l’enseignement supérieur.
Ce désengagement, en réalité, cache un sordide business où sont en jeu de très gros sous. C’est ce qui explique que l’Etat, où du moins certains décideurs, n’aient aucun intérêt personnel à ce que les pouvoirs publics reprennent en main les choses. À l’exception des nouvelles universités qui ont été récemment construites par le président Ouattara, toutes les grandes écoles et universités qui voient le jour aujourd’hui sont presqu’exclusivement d’initiative privée. Elles appartiennent le plus souvent à de hauts dignitaires politiques, maires ou anciens maires, hauts cadres du ministère de l’enseignement supérieur ou du ministère de l’économie et des finances. De fait, cette floraison d’établissements supérieurs dissimule un business peu avouable ; celui des autorisations d’exploitation des grandes écoles et de l’affectation des boursiers de l’Etat.
Le fait est que certains de ceux qui délivrent les autorisations d’ouverture et d’exploitation des grandes écoles et qui sont souvent juge et partie, monnaient la délivrance de ces actes administratifs. Il en est de même pour ceux qui ont le pouvoir de décider du nombre de boursiers que l’Etat, par leur truchement, affectera dans une école donnée. Il faut donc être dans le bon réseau pour espérer recevoir le plus grand nombre d’étudiants boursiers. En contrepartie de la délivrance de ces autorisations, les personnes concernées perçoivent de l’argent. Ainsi, plus ils affectent des boursiers de l’Etat dans telle grande école, plus ils perçoivent des rétro commissions. Ce sont des milliards de FCFA qui sont en jeu chaque année.
Dans un tel système éducatif, le destin du pauvre c’est de rester pauvre… si les choses restent en l’état
Dès lors que ceux qui devraient travailler à ce que l’Etat reprenne la main sont eux-mêmes les plus grands bénéficiaires du système actuel, ils n’ont aucun intérêt à ce que l’Etat y investisse au risque de scier la juteuse branche sur laquelle ils sont assis. Comment comprendre que M. Loko, un investisseur privé, puisse disposer de plus de moyens qu’un État tout entier au point qu’il possède des écoles dans pratiquement tous les quartiers d’Abidjan. Peut-être serait-il opportun de confier au groupe Loko la gestion du ministère de l’enseignement supérieur, vu qu’il semble plus puissant, à lui tout seul, que l’Etat de Côte d’Ivoire. L’octroi des bourses de l’enseignement supérieur qui devraient permettre d’équilibrer un peu les choses en permettant aux plus méritants, dont de nombreux démunis, d’accéder aux hautes études supérieures est lui-même sujet à caution.
2 – L’évidence de la corrélation entre pauvreté et chômage.
Les conditions et les critères d’octroi des bourses par l’Etat sont opaques. Cependant, aussi paradoxal que cela puisse être, d’un régime à un autre, ce sont très souvent les fils des hauts dignitaires du pays et ceux des plus riches qui en bénéficient. Surtout quand il s’agit de bourses d’études à l’étranger. Révoltant ! En réalité, dans notre système éducatif, le fils de l’ivoirien moyen est condamné, avec son salaire de 200 000 F par mois, à rester au bas de l’échelle alors que ceux des hauts dignitaires qui, eux, étudient presque tous à l’étranger sont prédestinés à trôner au plus haut de l’échelle sociale.
Dès lors, l’enfant du riche, qui lui peut s’offrir de longues et coûteuses études à l’étranger, a toutes les chances d’être le chef du fils du pauvre, lequel ne peut que se contenter d’un BTS (inadapté) obtenu en Côte d’Ivoire. Les dés sont donc pipés dès le départ. Le fils du pauvre sera dans la grande majorité des cas sous les ordres du fils du riche vu que les entreprises recrutent et paient en fonction du diplôme et non de l’intelligence. Dans un tel système éducatif, le destin du pauvre c’est de rester pauvre… si les choses restent en l’état.