Les relations entre la France et ses anciennes colonies africaines, autrefois empreintes de coopération et d’influence, sont aujourd’hui fragilisées. L’immigration, longtemps un vecteur de rapprochement, est désormais vu comme un facteur clé du désamour croissant entre les peuples africains et le pays d’Emmanuel Macron. Décryptage de Patrice Dama.
Un passé colonial au cœur des relations France-Afrique
Les liens entre la France et l’Afrique remontent à 1830, avec la prise d’Alger sous Charles X. Initialement motivée par le désir de stopper la piraterie barbaresque, cette intervention militaire est devenue le début de la colonisation française sur le continent. Napoléon III renforça cette emprise avec une attention particulière pour l’Algérie, qu’il qualifiait de “royaume arabe”, et posa les bases des protectorats en Afrique de l’Ouest dès 1852.
Après les indépendances des années 1960, les relations se sont complexifiées. La France, bien que retirée officiellement, a continué d’exercer une influence sur les politiques des États africains, souvent vue comme une ingérence. Le maintien de bases militaires et une intervention fréquente dans les affaires locales ont renforcé cette image de “la France gendarme de l’Afrique”.
L’immigration des africains en France, d’un pont à un mur
Jadis, l’immigration africaine en France était vue comme un vecteur de formation et d’opportunités. Les étudiants africains avaient un accès relativement facile aux universités françaises, où ils acquéraient des compétences qu’ils exportaient ensuite dans leurs pays d’origine. Ce système faisait de ces intellectuels des ambassadeurs naturels de la culture française et consolidait les relations bilatérales entre la France et chaque pays du continent.
Cependant, ce modèle s’est grippé avec la montée d’un discours politique stigmatisant l’immigration, notamment africaine. Ce glissement a débuté avec le Front national de Jean-Marie Le Pen, avant de s’étendre à d’autres partis politiques, y compris la droite républicaine. Le thème de l’immigration est devenu un levier électoral puissant, associé à des politiques restrictives et à une rhétorique accusatrice.
Des politiques d’immigration restrictives
Les nouvelles générations d’étudiants africains se heurtent à des obstacles croissants pour accéder aux universités françaises. Le coût élevé des études, les difficultés administratives, et un climat général de méfiance découragent les jeunes talents. Cette marginalisation a engendré une critique généralisée, où la France est accusée de rejeter les contributions africaines tout en continuant de bénéficier de leurs ressources naturelles.
En parallèle, l’immigration irrégulière, souvent à travers des traversées périlleuses de la Méditerranée, alimente les tensions. Ces arrivées sont utilisées comme prétexte pour des expulsions symboliques qui visent davantage à séduire une partie de l’électorat qu’à résoudre les causes profondes de ces migrations : la mauvaise gouvernance en Afrique et le soutien indirect de Paris à des régimes controversés.
L’émergence d’une génération critique en Afrique
Cette transformation des politiques d’immigration a eu un effet domino en Afrique. Les étudiants éconduits, devenus des élites intellectuelles, mènent aujourd’hui un travail de sape contre l’image de la France. Des pays comme le Mali, le Sénégal, le Burkina Faso et même la Côte d’Ivoire, jadis des alliés solides de la France, voient émerger des opinions publiques de plus en plus critiques.
Ce changement s’est traduit politiquement par l’émergence de leaders comme Assimi Goïta au Mali, Ibrahim Traoré au Burkina Faso, et Abdourahamane Tiani au Niger. Ces figures incarnent une défiance vis-à-vis de la France, nourrie par un soutien populaire significatif, notamment de la diaspora africaine en Europe. Ces populations dénoncent la présence militaire française et exigent une autonomie accrue de leurs pays.
Des opérations militaires controversées
Les opérations militaires françaises, telles que Serval, Barkhane, et Takuba, initialement saluées pour leur objectif de lutte contre le terrorisme, sont aujourd’hui critiquées. Le sentiment dominant est que la France a échoué à éradiquer la menace djihadiste tout en aggravant l’instabilité. Cette perception a alimenté un rejet populaire de la présence française et renforce la popularité de dirigeants opposés à Paris.
Les enjeux politiques en Afrique de l’Ouest en 2025
Dans des pays encore proches de la France, comme la Côte d’Ivoire et le Bénin, la situation reste fragile. Les présidents Alassane Ouattara et Patrice Talon sont accusés de manipuler les processus démocratiques pour prolonger leur pouvoir. Emmanuel Macron, qui avait qualifié le 3ᵉ mandat de Ouattara de “moindre mal”, est désormais sous pression pour adopter une position claire face aux violations constitutionnelles.
L’avenir de ces relations repose sur la capacité de la France à réinventer son approche. Un soutien aux transitions démocratiques crédibles et une coopération économique respectueuse des souverainetés locales pourraient redorer son image. À défaut, l’émergence de nouvelles alliances des dirigeants opposés à Paris, notamment avec des puissances comme la Russie ou la Chine, pourrait définitivement éclipser l’influence française.
Le désamour entre la France et l’Afrique trouve ses racines dans des politiques migratoires restrictives et un soutien jugé ambigu à des dirigeants contestés. Alors que des figures comme Assimi Goïta obligent à repenser les rapports de force, la France doit réagir. Les choix faits par Paris dans les années à venir, particulièrement lors de l’élection présidentielle de 2025, seront déterminants pour redéfinir ou enterrer pour toujours son rôle en Afrique.