Dans moins de deux décennies, la Côte d’Ivoire ne sera plus un pays forestier ! Face à la situation de détresse de la forêt ivoirienne, il n’est guère exagéré de l’affirmer vu que notre couvert forestier a considérablement diminué, exposant le pays à d’énormes dangers au nombre desquels sont des prédateurs d’un nouveau type. A Danané, une mystérieuse société américaine est soupçonnée de vouloir acheter à coup de millions 6 mille hectares de terres.
Achat de forêts à 120 millions FCFA l’hectare: Qui veut arnaquer les populations de Danané ?
L’affaire fait des vagues dans le département de Danané. La seule rumeur suffit pour mettre déjà en conflit parents et enfants, résolus à s’offrir une vie de pacha dans laquelle, du café au beurre sera servi au petit déjeuner.
Dans cette partie Nord-Ouest du département de Danané, à partir de Dontro jusqu’au fin fond du canton Kalé, les populations paysannes n’ont pas la bouche fine quand elles parlent de ces personnes qui seraient désormais leur porte d’entrée au « paradis ».
A Dontro, à quelques 6 km de la ville de Danané, sur la route de la Guinée, le jeune Wonkato D. en parle d’ailleurs avec beaucoup d’agitation : « Vous ne reconnaîtrez pas Dontro ! Bientôt, nous aurons des immeubles partout ici. On détruira tout le village pour bâtir un plus beau. Notre avenir est déjà à portée de mains. J’ai dis à Papa qu’on vendra tout le patrimoine forestier y compris le campement pour une vie sans travaux champêtres ni piqûres d’insectes. »
Nous sommes Vendredi 3 Février 2023 quand nous prenons la route en direction du canton Kalé, dans la sous-préfecture de Gbon-houyé. Nous atteignons Gbantopleu aux environs de 20 heures. L’atmosphère y est pesante du fait d’un homme alité dont l’état de santé fait retentir du souffle. Le chef Mindé Beken nous reçoit en sa résidence. Il nous explique très rapidement : « Des gens sont effectivement venus ici nous présenter un projet alléchant dans lequel leurs amis blancs prétendent acheter des portions de terre à plusieurs millions. Ils avaient avec eux un jeune homme de Guian-Houyé. À la suite de l’entretien que nous avions eu, ils sont repartis nous promettant de revenir aussitôt. Depuis, nous les attendons. »
DEA Bernard, chef du village Dankouampleu, dans la sous-préfecture de Gbon-houyé, confirme la présence de tels individus prétextant être en mesure d’acheter des portions de terre à coup de millions. « Le Dimanche 29 janvier 2023, nous avons reçu la visite d’un groupe de personnes disant représenter une société américaine en quête de 3000 hectares de forêts à acheter dans le département de Danané. Ils ont même séjourné ici à Dankouampleu pendant 3 jours. Au cours de ce séjour, ils nous ont présenté ce projet fascinant. Avec les populations, nous avons ensemble délimité 100 hectares de forêts. Ensuite ils ont rebroussé chemin afin de rendre compte à leur hiérarchie. Une fois cela fait, l’équipe des blancs reviendrait pour les formalités pratiques d’achats. Ils disent que le prix normal à l’hectare est de 120 millions FCFA dont 90 millions FCFA revenant à l’État de Côte d’Ivoire, 3 millions FCFA au géomètre et enfin 27 millions remis au propriétaire terrien», a indiqué le chef DEA Bernard avant de souligner : « Nous ne sommes pas les premiers. Ils ont commencé par Dantro, Kouan-Houlé, Gopoupleu, Gbon-houyé et Gbêta. Avant de prendre congés de nous, nous leur avons demandé de prendre langue avec les autorités administratives en ville. »
Une affaire de dupes?
A Dankouampleu, le chef DEA Bernard reste convaincu d’une chose : « Seule l’administration préfectorale pourra nous faire signer tout document relatif à cette affaire. C’est seulement sous sa coupole que les paysans seront en sécurité». Puis l’homme nous tend des documents laissés par le nommé Kouamé Abel, représentant de ladite société américaine.
Nous lisons les entêtes et le contenu. Nous y trouvons un procès verbal du conseil de famille, une attestation villageoise et une Convention entre le géomètre et le propriétaire terrien. Lesdits documents sont à trous. Aucun nom ni logo de société n’y figurent. Mieux la convention censée convaincre et rassurer d’un degré de sérieux, comporte une faute flagrante : au lieu de Danané, il y est écrit DANAÉ. Une fois à Danané, nous joignons Kouamé Abel qui dit être en mission à Biankouma dans le même cadre. Il nous met en contact avec son adjoint, Mr Félix G.
Ce dernier explique : « Nous sommes une entreprise dénommée SÈGLA Groupe SARL. Nous opérons dans l’agro-industriel. Aussi faisons-nous tout ce qui est immobilier, BTP et des travaux lourds. Nous sommes à la phase d’une étude de fiabilité de toutes les villes. Danané a été retenu à cause de son port sec. Le présent projet vient de nos partenaires blancs qui sont à la recherche de dizaine de kilomètres de terres cultivables sur lesquelles seront bâties des usines de transformation. Toutes les denrées produites sur ces parcelles seront transformées dans les unités installées localement. »
Puis l’homme se veut persuasif : « A terme, le projet couvrira quelques 6 mille hectares de terres. L’hectare revient à 27 millions directement remis au propriétaire terrien. Cela suite à un procès-verbal de famille démontrant clairement que la parcelle proposée à la vente n’est pas litigieuse. A cette étape, s’ajoute la délivrance d’une attestation par le chef de village. Les transactions financières se feront via la banque BICICI. Notre organisation SÈGLA Groupe SARL a localement ses deux sièges à Danané et à Zouan-hounien. Le siège social est à Abidjan-Plateau Dokoui. Au niveau du ministère de l’intérieur, nous sommes bel et bien enregistrés; donc reconnus».
Bill Gates, parrain de l’organisation SÈGLA Groupe SARL?
Dans le reste de son exposé, Félix G. brandit le nom du parrain de leur action. « Le milliardaire du monde, Bill Gates, est derrière tous les achats de terre. Il souhaite s’approprier la quasi-totalité des terres d’Afrique pour du business d’agro-industrie», a-t-il indiqué. Quant à la question de savoir le rôle des autorités administratives, notre interlocuteur rétorque: » ils entreront en danse bientôt, à la phase finale. Pour l’heure, ils sont informés de façon officieuse ». Toute allégation que nie le corps préfectoral du département de Danané. « Nous ne sommes informés de rien ! », s’est exclamé un sous-préfet joint au téléphone.
Une correspondance de Sony WAGONDA