Selon le bilan énergétique Côte d’Ivoire 2020, la production totale d’énergie primaire du pays en 2019 était de 10 697 kilo tonnes. Ce qui représente une croissance de 17 % par rapport à 2018. On note que cette production est fortement dominée par la biomasse, notamment le bois, le charbon de bois et les déchets végétaux à hauteur de 62 %. Malheureusement, la production de charbon de bois a de fortes conséquences sur la couverture forestière dans le pays.
Côte d’Ivoire : La couverture forestière en constante régression
En Côte d’Ivoire, la Loi n°2014-427 du 14 juillet 2014, portant Code forestier ivoirien, définit la forêt comme « toute terre constituant un milieu dynamique et hétérogène, à l’exclusion des formations végétales résultant des activités agricoles, d’une superficie minimale de 0,1 hectare portant des arbres dont le houppier couvre au moins 30 % de la surface et qui peuvent atteindre à maturité une hauteur minimale de 5 mètres ».
Si l’on s’appuie sur la cartographie récente des forêts en Côte d’Ivoire dressée par le Résumé d’information de la Côte d’Ivoire sur la prise en compte des garanties de la REDD+ sur la période 2015-2018, la couverture forestière du pays est « est passée de 7,85 millions d’hectares en 1986 à 5,09 millions d’hectares en 2000, puis à 3,4 millions d’hectares en 2015. Ceci correspond à̀ des taux de perte annuels respectifs de 3,04 % (238 812 hectares) et 2,66 % (135 392 hectares) ».
Source : Global Watch Forest
Toutefois, le rapport indique qu’entre 2000 et 2015, le rythme de la déforestation a connu un ralentissement. De l’autre côté, Global Forest Watch note qu’entre 2000 et 2020, la Côte d’Ivoire a fait face à un net changement de -1,65Mha. Ce chiffre représente une régression de -6,9 % en couverture végétale. La forêt stable représente 16, 8 Mha. Le pays a gagné 882kha après avoir perdu 2,53 Mha, précise Global Forest Watch. Cette même source rappelle qu’en 2000, la Côte d’Ivoire comptait 14,9Mha de couvert forestier, c’est-à-dire 46 % de superficie. Jusqu’en 2016, elle comptait 3,3 % de forêt intact.
Par ailleurs, de 2002 à 2021, la Côte d’Ivoire a perdu 354 kha de forêts primaires humides. Dans cette période, la superficie totale de forêts primaires a baissé de 26 %. Il ne faut pas oublier qu’Alain Richard Donwahi, ancien ministre ivoirien des Eaux et Forêts, dans le document de Stratégie nationale de préservation, de préservation, de réhabilitation et d’extension des forêts, faisait remarquer que de 16 millions d’hectares de forêts au début du 20e siècle, la Côte d’Ivoire se retrouve en 2015 avec environ 3,4 millions d’hectares. Clairement, cela représente un rythme moyen de disparition supérieur à 200 000 ha par an. Mais au fait, quels sont les facteurs de la déforestation en Côte d’Ivoire ?
Les facteurs de la déforestation
Le rapport final de l’Analyse qualitative des facteurs de déforestation et de dégradation des forêts en Côte d’Ivoire (2016), menée par le ministère de l’Environnement et du Développement durable, en collaboration avec REDD+, classe les facteurs de déforestation en deux catégories, notamment les facteurs directs et les facteurs indirects.
Au titre des facteurs indirects, nous remarquons que l’agriculture joue un rôle très important dans le processus de déforestation durant ces 25 dernières années. En effet, l’étude indique que l’expansion de l’agriculture contribue à 62 % dans la disparition de la forêt ivoirienne. Les différentes cultures concernées sont la cacaoculture (38 %), l’hévéaculture (23 %), la culture de palmier (11 %), la plantation d’anacardiers (7 %), les cultures vivrières (6 %), la riziculture (5 %), la caféiculture (5 %) et les autres cultures de rente (4 %).
On note également que les extensions des infrastructures participent à hauteur de 10 % dans la déforestation. Ce qui donne précisément l’habitat (94 %), le transport (6 %).
L’exploitation minière joue également un rôle dans le recul de la couverture forestière de la Côte d’Ivoire avec 8 %. L’orpaillage artisanal et l’orpaillage industriel ont une part respectivement de 80 % et de 20 %. Par ailleurs, la propagation des feux de brousse contribue avec 3 % dans la perte de la forêt.
Source : Global Watch Forest
Concernant les facteurs indirects, nous avons les facteurs économiques (attractivité économique, régularité des revenus, demande du marché national et international…) ; les facteurs politiques et institutionnels (guerre, crise politique, mauvaise application des lois et réglements, corruption, complicité des services de l’Etat, manque de sensibilisation…) ; les facteurs démographiques (accroissement naturel, migration) ; les facteurs technologiques (faible fertilité des sols hors-forêt, difficulté de renouvellement des anciennes plantations, faible performance de la recherche agronomique…) ; les facteurs culturels (habitude culturelle, tradition).
La contribution du charbon de bois dans la déforestation
Il nous apparait important, avant de situer le rôle du charbon de bois dans la déforestation, d’expliquer le circuit de production.
La production du charbon de bois passe par six étapes. La première étape consiste à la production du bois, c’est-à-dire, la plantation du bois, la gestion et l’aménagement durable, confie une étude du Projet Makala.
Ensuite, il y a la récolte du bois (exploitation, éclaircies et récupération du bois abandonné dans la forêt). Après, il faudra passer au séchage et au conditionnement du bois. La prochaine étape est la carbonisation.
Les étapes ultimes sont le désenfournage, le criblage et le transport du charbon de bois.
Dans une étude dénommée « Côte d’Ivoire, utilisation des terres, changements d’affectation des terres et foresterie (UTCATF) », il est révélé que « le charbon de bois est l’une des l’une des principales sources d’énergie domestique en Côte d’Ivoire, en particulier dans les zones urbaines où 47 % des ménages l’utilisent ». Le rapport précise que 35 % des ménages utilisent le bois de chauffe quand 18 % optent pour le gaz butane.
Toujours selon cette étude, en 2003, la production de charbon de bois était de 400 850 tonnes contre 488 128 tonnes en 2012. Par ailleurs, le PNUD a fait savoir qu’en 2015, le charbon de bois était utilisé par 4 % des ménages ruraux. Il précise qu’en 2002, le charbon de bois représentait 20 % de la consommation nationale de combustible et 47 % de la consommation de la population urbaine.
Nous apprenons auprès du MINSEDD (Mise en œuvre de la stratégie nationale REDD+) que « cette consommation du bois énergie, en particulier du charbon de bois, entraine une pression sur les ressources forestières et constitue une menace pour les forêts restantes au vu de la croissance démographique ».
Le MINSEDD va plus loin pour dire que l’exploitation forestière a un impact sur la forêt ivoirienne avec 64 % attribué à la coupe et 38 % à la production de charbon de bois.
Il faut rappeler que même si la contribution de la production de charbon de bois dans la déforestation est faible, elle est en hausse.
« Le taux d’urbanisation étant passé de 44,9 % en 2002 à 52 % en 2012 et les subventions du gaz butane ayant diminué, cela a provoqué une forte demande et l’utilisation du charbon de bois a sensiblement augmentent ces dix dernières années, un phénomène qui contribue de manière importante à la déforestation », mentionne le PNUD dans l’Etude Nama sur le charbon de bois durable en Côte d’Ivoire.
Devant l’impact grandissant de la production du charbon de bois sur la forêt, une association de femmes semble avoir trouvé la solution pour protéger le couvert forestier de la Côte d’Ivoire.
Et si l’association Malebi avait trouvé la solution ?
Malebi (charbon en adioukrou, une langue locale ivoirienne) est une association regroupant 14 femmes exerçant dans la production du charbon de bois. L’ONG a été fondée en 2005, mais existe de façon legale depuis 2009.
“Tout le monde a besoin de charbon pour préparer. Nous-mêmes on vendait du charbon de manière traditionnelle. Chacune va dans sa région et puis elle produit du charbon. Mais après on a constaté qu’il n’y avait plus de bois pour faire le charbon. Donc, c’est pour cela que nous avons mis sur pied une association pour pouvoir travailler avec la SODEFOR (Société de développement des forêts, NDLR)”, nous a confié Mme Kissy, au cours d’une interview.
Malebi mène ses activités de production de charbon de jois dans la forêt classée d’AHUA. “On a une convention de partenariat avec la SODEFOR.C’est pour cela que nous avons créé l’association parce qu’il faut être local d’abord avant de pouvoir travailler avec la SODEFOR. La SODEFOR a des structures de cacia siaméa, dans la forêt classée de Dimbokro. La forêt s’appelle la « forêt classée d’AHUA. C’est nous qui gérons cette forêt. La forêt s’étend sur 4 500 ha”, a déclaré la vice-présidente de l’ONG.
“Au départ, on faisait le charbon avec les fours métalliques. Mais le rendement n’est pas trop élevé parce que le modèle qu’on nous a donné ne prend pas beaucoup. Avec 20 litres de carburant, on peut voir moins de 20 sacs. Quand on produit de manière traditionnelle, avec 20 litres de carburant, on peut avoir entre 80 et 100 sacs de charbon. Pour le moment, avec nos maigres moyens, on ne parle pas de production par an. Et puis, on ne gagne pas les ouvriers pour le faire. Ils ont tous engagés dans l’orpaillage. Mais on peut produire 600 sacs dans l’année”, a-t-elle poursuivi.
Au cours de notre entretien, Mme Kissy nous a dévoilé la strategie de Malebi pour lutter contre la déforestation due à la production du charbon de bois.
“Pour lutter contre la déforestation, nous produisons le charbon avec le cacia siamé. Ce sont des bois plantés qui, une fois coupés, se régénèrent. On n’a plus besoin de planter. Par exemple, si tu as 150 parcelles de cacia et que sur chaque année, tu prends 30 ha, pour faire ton charbon, jusqu’au moment où tu vas arriver sur les 150 ha, les parcelles exploitées ont déjà régénérées. Comme cela, on fait une rotation. C’est la solution qu’il faut pour éviter la déforestation. Que les autorités essaient de faire des concessions pour le producteur du charbon”, n’a pas manqué de dire Mme Kissy.
Par ailleurs, notre interlocutrice a fait savoir que selon une étude du PNUD, plus de 80 % de la population ivoirienne utilise le bois pour cuisiner.
“Même quand on a le gaz, on a toujours besoin d’un sac de charbon à la maison. Il faut penser à faire le reboisement.
Nous appelons l’État à venir soutenir les femmes. Nous travaillons avec les femmes du milieu rural. Tous les 4 500 ha qu’on a en convention avec la SODEFOR ne sont pas exploités. Il y a beaucoup d’espace où il n’y a pas de bois. Avec la SODEFOR, normalement on doit faire le reboisement. On interdit les communautés d’entrer dans les forêts classées. Mais en interdisant les forêts sont infiltrées parce que les gens habitent à côté et ils ont faim. Donc ils sont toujours en train de planter. Mais il faut les encadrer pour que quand ils font leur culture, ils mettent leur culture à l’intérieur des reboisements. Comme cela ils enlèvent leurs vivriers et les arbres restent”, a recommandé Mme Kissy.
La déforestation est une réalité en Côte d’Ivoire. C’est d’ailleurs ce qui a conduit le ministere des Eaux et Forêts à vouloir renforcer le cadre législatif, réglementaire et institutionnel en matière de gestion des ressources forestières au cours de l’année 2023.
Ainsi, le code forestier et ses textes d’application seront vulgarisés et l’Accord de partenariat volontaire pour l’application des réglementations forestières sera mis en œuvre.