Le cumul des postes et des fonctions décrié il y a peu comme une preuve de mauvaise gouvernance a récemment rebondi chez nous et pris une telle proportion qu’il apparait comme la norme qu’on se doit désormais d’intérioriser. La nomination il y a quelques jours de Kandia Camara comme sénatrice achève de convaincre qu’il n’y a plus de limite en la matière.
Cumul des postes : Ministre, député-maire, sénateur…
Ministre des Affaires étrangères, député-maire d’Abobo et aujourd’hui sénatrice, on a réussi à faire d’elle, un être exceptionnel qui va siéger dans les deux chambres du Parlement. Même si certaines personnes affirment qu’elle abandonnera sa charge de député pour être nommée présidente du Sénat. Mais on n’en est pas encore là.
Avec toutes ses occupations de ministre, comment peut-elle être efficace avec les autres charges sur ses frêles épaules ? On comprend dès lors pourquoi on l’a peu vue pendant la crise des « 49 militaires » au Mali, où elle était pratiquement aux abonnés absents.
Apparemment chez nous, il n’y a ni objectif de résultat ni des évaluations pour s’assurer que les tâches sont bien accomplies, le travail bien fait et les résultats atteints. Les préoccupations sont ailleurs. Il faut récompenser la fidélité, le militantisme, voire le fanatisme. Pour ce faire, on s’est arrangé de façon subtile à faire sauter certains verrous des incompatibilités pour arriver à ces cumuls indécents.
Il n’ya pas si longtemps, un ministre ne pouvait pas assurer sa charge de ministre et être président de conseil général. S’il est élu président de conseil général et nommé ministre, la loi lui fait obligation d’abandonner son poste de président du conseil général s’il ne renonce pas à être ministre.
Aujourd’hui, tout cela est de l’histoire ancienne. C’est pourquoi, de nombreux ministres, le Premier ministre et de nombreux présidents d’institution sont concomitamment, députés, maires et présidents de conseils généraux sans que cela ne heurte la conscience de ceux qui nous gouvernent. Même si on s’est arrangé pour que la loi le permette, on doit de temps en temps être mu par l’éthique et la morale.
On a encore en mémoire la candidature du ministre-gouverneur du district d’Abidjan à Songon. Il savait très bien qu’il ne pouvait pas assurer sa charge de ministre-gouverneur et celle de maire de Songon. Mais cela ne l’a pas empêché d’être candidat, et une fois sa liste élue, il se retire pour faire la place à une autre personne. Dans ce cas, pourquoi être candidat, si tant est qu’on est conscient qu’on ne peut être ministre-gouverneur et maire ?
La loi aurait pu et dû faire obligation de démissionner de son poste de ministre-gouverneur avant d’être candidat à la mairie !
Ce qui apparait comme une faille de la loi qui est habilement exploitée n’est qu’une omission volontaire pour que ceci advienne.
Et c’est là que prend tout le sens de l’affirmation de l’Évêque de Daloa, Mgr Marcellin Yao Kouadio : « …les enfants trichent à l’école, les parents trichent en politique… ». Il ne pensait pas si bien dire !
Et ce qu’a fait le ministre-gouverneur est de la triche !
Mais il ne faut pas se leurrer, toutes ces incongruités, tous ses silences et toutes ces omissions de la loi, procèdent d’un calcul politicien qui, savamment mis en œuvre permet de donner une longueur d’avance au parti au pouvoir ou lui permet de consolider sa position dominante.
On se rendra bien compte que les silences et les omissions de la loi, qui permettent de poser de tels actes résultent souvent de modifications de lois qui ne sont pas le fait des députés, mais des ordonnances que prend le chef de l’État.
Ainsi, la création de la deuxième chambre de notre Parlement n’a pas été encadrée par une loi organique votée par l’Assemblée nationale. C’est une ordonnance du chef de l’État qui en a défini la structuration. Il s’est légalement octroyé le pouvoir discrétionnaire de nommer 33 des 99 sénateurs, les autres étant élus au suffrage indirect par les conseillers municipaux, régionaux et de districts.
On se rappelle également qu’au moment où le pays était enclin à la psychose de la pandémie du covid-19, une modification du code électoral est intervenue par une ordonnance en lieu et place d’une loi d’habilitation. « L’urgence du moment » a obligé le chef de l’État à « s’enfermer seul dans son bureau » pour procéder à cette modification qui était certainement une question de vie ou de mort !
Ce qui est constaté et décrié, est le résultat de toutes ces décisions prises dans l’urgence par une seule personne, qui peut ainsi tout moduler selon son bon-vouloir et au gré des intérêts de son groupement politique.
Alors point n’est besoin de s’étonner de voir des choses qui, sous d’autres cieux, relèveraient du « Didiga », l’art de l’impensable.
Mais la Côte d’Ivoire est le pays de tous les possibles, et tous les possibles adviennent toujours.
Toutefois, arrive le jour où l’ivraie sera séparée du vrai.