La semaine dernière a assurément été riche en événements : le coup d’état au Niger, l’arrestation de l’opposant sénégalais Ousmane Sonko, et le sommet Russie-Afrique, avec en prime, la passe d’armes entre le président du gouvernement de transition du Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré et le président sénégalais, Malick Sall. Ce dernier sujet intéressant à plus d’un titre, mérite qu’on s’y arrête.
Sommet Russie-Afrique : Une coopération alimentaire renforcée
En effet, en marge de son opération spéciale en Ukraine, la Russie a organisé le deuxième sommet Russie-Afrique les 27 et 28 juillet 2023 à Saint-Pétersbourg.
Ce sommet qui a réuni autour du président russe Vladimir Poutine 49 délégations africaines dont 17 chefs d’Etat, s’est achevé par l’adoption d’une déclaration commune, avec en ligne de mire une coopération renforcée dans les domaines de l’approvisionnement alimentaire, de l’énergie et de l’aide au développement. Il est également fait état de la création « d’un monde multipolaire plus juste, équilibré et durable, s’opposant fermement à toute forme de confrontation internationale sur le continent africain ».
Moscou a, en outre, promis d’aider les pays africains à « obtenir réparation pour les dégâts économiques et humanitaires causés par les politiques coloniales, y compris la restitution des biens culturels pillés ».
D’autres sujets non moins importants ont été abordés comme les monnaies. On ne saurait passer sous silence, la promesse de livraison gratuite de céréales à six pays africains, au moment où le retrait de Moscou de l’accord sur les exportations agricoles de l’Ukraine commence à donner des sueurs froides au monde entier. Le sommet Russie-Afrique est prévu se tenir désormais tous les trois ans.
A la fin du sommet, des chefs d’Etat comme Macky Sall, Umaru Sissoco Embalo, Denis Sassou Nguesso ou le chef de la commission de l’Union Africaine(UA) Moussa Faki Mahamat, ont brillé par leur absence lors de la traditionnelle photo de famille.
Si cette rencontre a offert l’opportunité aux pays africains d’exprimer leurs désirs ardents de renforcer leur coopération avec Moscou dans de nombreux domaines, il a également donné de voir « l’empoignade » entre le capitaine Ibrahim Traoré du Burkina Faso et le président Macky Sall du Sénégal.
En effet, lors d’une table ronde réunissant tous les partenaires, le président du gouvernement de transition du Faso n’a pas fait dans la dentelle. Dans une position audacieuse et dans une posture « à la Sankara », Ibrahim Traoré a exprimé ses profondes convictions et a quasiment remis en question le rapport de l’Afrique avec les grandes puissances.
Morceaux choisis :
« …Les questions que nos générations se posent sont les suivantes : il s’agit de comprendre comment, avec tant de richesses sur notre sol, l’Afrique est le continent le plus pauvre. Et comment se fait-il que nos chefs d’Etat traversent le monde à mendier ? Il faut que nous, chefs d’Etat africains, arrêtions de nous comporter en marionnettes qui dansent à chaque fois que les impérialistes tirent les ficelles… ».
De violentes questions et un véritable pavé jeté dans la mare des chefs d’Etat africains.
Il n’a pas fallu longtemps pour que Macky Sall, le président sénégalais, certainement piqué au vif, apportât une réplique à « l’outrecuidance » du jeune capitaine burkinabé. Il a alors déclaré :
« …Pour répondre à notre jeune frère, notre cadet : les chefs d’Etat ne sont pas venus ici pour mendier. Nous n’allons pas ailleurs pour tendre la main. Nous travaillons pour un partenariat d’égale dignité entre les peuples. C’est le même discours qu’on tient à Dakar, ici à Saint Pétersbourg, ou à Washington. Et ce combat transcende les générations… ».
Cette passe d’arme entre deux générations de chef d’Etat suscite encore beaucoup de passions et donne lieu à de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux.
Pour les uns, Ibrahim Traoré fait preuve de naïveté et se fait beaucoup d’illusions, car la Russie, malgré sa bonne volonté, n’a pas les moyens d’égaler les occidentaux dans l’aide au développement à l’Afrique. En outre, le capitaine Traoré ne peut pas dénoncer la pratique impérialiste des occidentaux pour se jeter pieds et mains liés dans les bras de la Russie. Il ne peut désirer quitter un « maître » qui l’opprime, pour un autre qui ne l’opprimera pas moins ; ou quitter un assujettissement à la France pour un assujettissement à la Russie et parler de liberté.
Pour les autres, l’aide au développement à l’Afrique, l’arme de chantage des occidentaux, n’a nullement permis aux pays africains de sortir la tête de l’eau. A titre d’exemple, plusieurs siècles d’exploration, de conquête, de colonisation, de décolonisation et de coopération avec la France, n’ont permis à aucun pays de la sphère francophone de figurer aujourd’hui parmi les économies les plus puissantes d’Afrique . C’est tout dire !
Mais objectivement peut-on en vouloir au capitaine Ibrahim Traoré lorsqu’il parle de marionnettes et de tireurs de ficelles dans les relations entre chefs d’Etat africains et occidentaux ? Assurément non.
On se souvient qu’au début de l’opération spéciale russe en Ukraine, les ports ukrainiens ont été l’objet de blocus, empêchant ainsi l’exportation du blé ukrainien. L’Onu a tiré la sonnette d’alarme sur la famine qui menacerait le monde, et particulièrement l’Afrique. La presse occidentale a abondamment relayé l’information avec de nombreuses éditions sur la famine qui était sur le point d’exterminer les pauvres africains !
Sans perdre le temps, Macky Sall, alors président en exercice de l’Union Africaine (UA), a pris son bâton de pèlerin pour se rendre à Moscou et plaider auprès du président russe, la levée du blocus et empêcher ainsi l’Afrique entière de mourir de faim. Le président Poutine accéda à la demande à lui faite.
Mais aussi paradoxal que cela puisse paraître, les premiers bateaux qui ont quitté les ports ukrainiens chargés de blé, et tous les autres qui suivront, n’ont pas pris la direction des ports africains pour voler au secours des pauvres africains affamés. Au final, à peine 3 % du blé sorti d’Ukraine est parvenu à l’Afrique.
Comme on le voit, la famine qui était sur le point de décimer l’Afrique, clamée par les occidentaux, n’était qu’un prétexte pour trouver des solutions à leurs propres problèmes, problèmes créés par eux-mêmes. Et Macky Sall a été utilisé à cet effet.
Ne s’est-il pas mis à danser comme une marionnette lorsque les occidentaux ont tiré les ficelles ? Ibrahim Traoré n’a-t-il pas raison de dénoncer ce genre de comportement ?
Ainsi va l’Afrique.
Mais arrive le jour où, l’ivraie sera séparée du vrai.