A l’instar de ces grandes figures africaines qui ont marqué l’histoire contemporaine, parlant de maîtres de la Kora (dans le Mandingue) et de des habiles joueuses de l’instrument traditionnel » Ahoko » (Allah Thérèse et Antoinette Konan dans le centre), un nouveau type de musique faite de chants et de sonorités essentiellement traditionnelles, a vu le jour à l’Ouest de la Côte d’Ivoire avec son lot d’esthétique à la villageoise, dépourvue d’instruments classiques mais conçue dans des studios d’enregistrement des villes de l’intérieur. Une crème de professionnels appelés arrangeurs, sont à l’apogée de leur gloire. Ricky à Zouan-hounien, Landry Poho à Danané et Dicarp à Man pour ne citer que de ceux-là. C’est ainsi qu’est née la musique dite tradi-moderne DAN, distillée sur des scènes atypiques pour seulement permettre aux fils et filles du pays DAN, de se récréer où se divertir.
Culture: De l’anonymat à la gloire, sort et essor de la musique tradi-moderne DAN
L’arrangeur Landry Poho, responsable du studio LPprod à Danané, explique : « La musique tradi-moderne DAN est simplement un retour à la tradition qui reste encore mal exploitée. On pourrait l’assimiler à un mouvement culturel suscitant en chacun un certain flash-back sur l’époque glorieuse des chansonniers, ces artistes traditionnels qui égayaient autrefois le village les soirs au clair de lune. Bien de personnes souhaitent aujourd’hui assurer cette relève là en ajoutant aux paroles des sonorités de la musique classique avec l’usage de la guitare et du piano. »
Hormis la chanson, d’autres attributs font distinguer ce joyau musical de bien d’autres sur la planète : les accessoires et la rythmique. Dame Koué, l’une des artistes vedettes du Tonkpi précise : « Notre musique tradi-moderne nous ramène à nos us et coutumes. C’est pourquoi, nous nous distinguons par des accessoires spéciaux, des objets de protection tissés à la main et des pas de danses significatifs. Pour moi, la musique tradi-moderne est plus expressive que la musique moderne. A toutes occasions, elle rappelle à l’homme l’être social qui peut s’atrister, rire ou pleurer. Celle issue des ordinateurs, laisse adultes et vieilles personnes complètement indifférentes».
Le retour aux sources semble être la mission principale des artistes traditionnels de la trempe de Dada de ZDA : « Nous souhaitons promouvoir la richesse du patrimoine culturel DAN. A commencer par la musique faite localement. Il s’agit de montrer au monde entier que ce rythme de chez nous, est pure et unique en son genre. Nous l’avons dans le sang de par nos pères, les maîtres chansonniers de chez nous. Un tel héritage ne peut qu’être protégé».
L’artiste Champy Vetcho, nouvellement élu meilleur artiste DAN de l’année 2023, trouve que la musique tradi-moderne DAN manque de résilience à se régénérer. « C’est vrai que la musique tradi-moderne DAN a vite submergé l’Ouest ivoirien mais je crains qu’elle ne survive pas très longtemps. Cela pour 3 raisons : bon nombre d’entre nous demeurent inconnus du grand public et du Burida (Bureau ivoirien des Droits d’Auteurs). A cela, s’ajoutent le manque de promotion de nos productions et surtout le manque de salles de spectacles pour nous amener à vivre de notre art. Le Tonkpi est très vaste mais malheureusement le politique n’a pas encore compris la nécessité de notre apport dans le développement. Nous souffrons des manipulations de nos leaders politiques».
L’an dernier, le groupe Souly Système de Biankouma, nous accordant une interview, a décrié des conditions de vie misérable des artistes DAN : « Notre art ne nous nourrit pas. Pourtant très estimé du public de Biankouma, le groupe Souly Système n’a pas de soutiens véritables. Fatigués des promesses, nous étions contraints à retourner à la mécanique, notre métier de base. »
Quel sort réserve dame nature à la musique tradi-moderne DAN ? Elle dont l’histoire a commencé dans les années 90 dans les hameaux dans l’ancienne région des 18 montagnes, inspirée des succès de Daplé Stone, Mamadou Djoman et Gonson Pierro; saura-t-elle s’adapter aux réalités du monde en perpétuelles mutations, pour asseoir, enfin, sa suprématie en Afrique de l’ouest ? A écouter les cris de cœur des artistes en vogue dans le Tonkpi, tout porte à croire que la musique tradi-moderne DAN vit un malaise profond qui l’éloigne des succès rencontrés par d’autres artistes sur les grandes chaînes de télévision.
Un dossier réalisé par Sony WAGONDA