Assurément, l’onde de choc provoquée par l’homélie du nouveau président de la Conférence Episcopale de Côte d’Ivoire, Mgr Marcellin Yao Kouadio, lors de la messe de clôture de l’assemblée plénière des évêques de Côte d’Ivoire, est loin de s’estomper.
Attaque contre l’Evêque de Daloa : Le ministre Amadou Coulibaly entre le monde réel et celui de la 5ème dimension !
Les réactions à ce discours iconoclaste continuent. Si de nombreux ivoiriens sont parfaitement d’accord avec le prélat dans sa description de la situation que vit le pays, d’autres en revanche, le fustigent et tentent même de le ridiculiser sans toutefois réfuter, preuves à l’appui, ses affirmations. Mais la réaction qui a le plus attiré l’attention de nombre de personnes, est celle du ministre Amadou Coulibaly, porte-parole du gouvernement, une voix des plus autorisée.
A-t-il parlé au nom du gouvernement ? A-t-il parlé au nom du chef de l’Etat ? Ou a-t-il seulement projeté ses propres états-d’âmes ? Difficile à dire. En tout état de cause, son affirmation de ne pas vivre dans le même monde que le prélat, et partant de ne pas avoir les mêmes réalités, appelle des clarifications et des explications pour éclairer la lanterne du peuple ivoirien. Alors, questions ! Dans quel monde vit M. Amadou Coulibaly ? Dans quel monde vit Mgr Marcellin Yao Kouadio ? Le monde réel ? Le monde invisible ? Le monde virtuel ? Ou…« le monde de la 5ème dimension » ?
Pour de nombreux ivoiriens, la situation décrite par l’évêque de Daloa, est leur vécu quotidien et campe bien la réalité qui est la leur. Ce n’est ni invisible, ni virtuel, encore moins ne relève de la « 5ème dimension», mais bien réelle. En revanche, la description idyllique et fantasmagorique qu’a faite le ministre Amadou Coulibaly de son monde, laisse penser que celui-ci nage en plein dans le monde de la « 5ème dimension » qui est loin de ce que ces ivoiriens vivent au quotidien.
Dans la « 5ème dimension » du porte-parole du gouvernement, on trouve un collège de proximité tous les 5km
En nous appuyant sur les déclarations des deux hommes, nous allons faire le parallèle entre ces deux mondes, à l’aune d’exemples cités par chacun d’eux. Ainsi, dans le domaine de l’éducation, le prélat qui vit dans le monde réel, note que la formation dans nos écoles et dans nos universités est au rabais. De nombreux écrits antérieurs, ont abondé dans le même sens, et pour preuve, aucune université ivoirienne ne figure dans le top 10 des universités africaines.
Dans la « 5ème dimension » du porte-parole du gouvernement, on trouve un collège de proximité tous les 5km. Cela représente une belle performance en effet. Faut-il pour autant se contenter du nombre impressionnant de collèges de proximité construits, sans se préoccuper de la formation qui s’y fait ? D’autant plus qu’il est de notoriété publique que la construction de ces nombreux collèges, n’est pas toujours précédée d’une planification rigoureuse des postes budgétaires nécessaires à la Fonction publique pour le recrutement des enseignants, encore moins une planification de la formation de ces enseignants à l’Ecole Normale Supérieure (ENS).
De ce fait, nombre de ces collèges affichent toujours un déficit en professeurs de mathématiques, de Sciences Physiques, de SVT ou d’Allemand. Il n’est pas rare de trouver des élèves finir l’année scolaire, sans avoir eu de professeurs dans les matières susmentionnés. A quel résultat peut-on s’attendre dans ce cas ? Faut-il tomber en extase devant la beauté et le nombre élevé des collèges au mètre-carré, ou faut-il s’inquiéter de la qualité des enseignements qu’on y dispense ?
Le monde de M. Amadou Coulibaly…
Dans le monde du porte-parole du gouvernement, cela importe peu. Le décompte du nombre de collèges construits, qui permet une communication « vuvuzela », suffit au bonheur des ivoiriens. Mais rattrapés par les réalités du terrain, les dirigeants du monde de la 5ème dimension, sont obligés de recruter à tour de bras des diplômés, leur donner des bribes de pédagogie et leur confier la responsabilité d’une classe. Pour quel résultat ?
Toujours dans le monde de M. Amadou Coulibaly, un ivoirien ne fait pas plus de 5 km pour trouver un centre de santé. Ceci est une excellente chose. Mais dans le monde réel de l’évêque de Daloa, une chose est de trouver un centre de santé tous les 5 km, mais une autre est de pouvoir s’y soigner correctement. Dans le monde réel, ces centres de santé ne disposent pas du minimum pour la prise en charge des malades et ont des plateaux techniques obsolètes. Et la gratuité des soins est toujours …un slogan.
Donc l’extase devant ces bâtiments bleu-blancs écarlates, ne fait pas pour autant disparaître la maladie dans le monde réel! Certainement qu’un jour, le monde réel et le monde de la « 5ème dimension » se rencontreront, mais pour l’instant, un vide sidéral les sépare. Les notions, les conceptions, les ressentis n’y ont pas le même sens. Dans le monde réel, on note que «… le développement est effectué en morceau choisi, en reconnaissance aux militants dociles, ou en représailles aux localités insoumises… ». Cela est véritablement anormal et heurte tout bon sens.
Chacun des deux hommes vit assurément dans son monde !
Dans la « 5ème dimension », on affirme sans gêne avec M. Jacques Assahoré, Directeur Général du Trésor et de la Comptabilité que : « …Celui qui fait le bitume, celui qui construit les écoles dit, voici mes soldats, faites-leur confiance, vous dites non…nous avons nos soldats…Mais quand vous avez fini de dire ça, vous allez vous-mêmes chercher les moyens pour construire vos routes ou vos école… ». Voici la norme édictée dans la « 5ème dimension » pour le développement local.
Cette norme théorisée par Mme Kandia Camara depuis quelques années, avec la notion de « bon petit » du premier ministre ou du chef de l’Etat, est ce qui est appliquée dans la gestion de nos communes et de nos régions. Quel développement local peut-on avoir avec une telle pratique ? Avec du recul, on comprend difficilement la fébrilité et la propension du ministre Amadou Coulibaly à toujours vouloir répondre à tous ceux qui expriment une opinion qui va dans les sens opposé de celle du gouvernement.
Cela ressemble fort à une tentative de modeler et d’orienter toutes les opinions vers la pensée unique. La réponse aux propos du prélat s’est cette fois accompagnée d’une maladresse sans nom. Le ton ironique utilisé, et l’affirmation de ne pas vivre dans le même monde, n’avaient pour but que de tourner en dérision l’évêque de Daloa, là où on attendait du ministre, une déconstruction en règle des affirmations du prélat. Mais dans la « 5ème dimension », on n’en a cure… Chacun des deux hommes vit assurément dans son monde ! Toutefois, arrive le jour où, l’ivraie sera séparée du vrai.