Assurément, l’opération spéciale russe en Ukraine focalise encore les débats, 10 mois après son début. Ces débats sont toujours passionnés entre ceux qui la condamnent avec la dernière énergie, acte qu’ils qualifient d’agression, et ceux qui l’applaudissent et considèrent que c’est un acte de légitime défense.
À qui profite la guerre en Ukraine ?
Les spécialistes de géopolitique, de géostratégie et autres relations internationales de tous niveaux, s’adonnent à cœur-joie. Nous avons droit à des analyses tout aussi de tous niveaux, à donner le tournis. Chacun y va de sa science, de ses certitudes mais aussi de ses émotions.
Les chaînes de télévision françaises qui, à notre corps défendant, s’imposent à nous, ne désemplissent pas de spécialistes et de sachants qui chaque jour que Dieu fait, assènent leurs vérités.
Certains sur le plateau télé s’érigent en psychologues, psychanalystes ou en psychiatres, et font l’analyse de la santé mentale du président russe. Ainsi on apprend qu’il devient fou, qu’il traine un cancer qui manifestement affecte son cerveau et qui a déformé son visage.
Cerise sur le gâteau, l’un de ces spécialistes a eu à faire le parallèle entre le cheminement politique d’Adolphe Hitler et celui de Vladmir Poutine : d’hommes insignifiants à leurs débuts, ils sont parvenus au sommet de leurs états et sont gagnés par la folie des grandeurs. Il ne manqua pas de voir l’invasion de l’Ukraine comme la blitzkrieg, et l’annexion des Sudètes comme le Donbass et Louhansk.
Mais peu sont ceux qui prennent du recul pour analyser sereinement les motivations profondes de Poutine, exprimées à maintes occasions. Sacrés français !
Nous avons également eu à suivre avec délectation, le débat à l’allure de symphonie inachevée entre l’ancien premier ministre français, Dominique de Villepin et son compatriote, le philosophe Bernard Henry-Levy. Ce débat fut très instructif.
Quand M. Bernard Henry-Levy s’apitoie sur le sort des femmes et des enfants ukrainiens massacrés par les bombardements russes, et demande par conséquent l’intervention militaire des occidentaux, M. Dominique de Villepin lui rappelle bien le martyr et la souffrance du peuple irakien, le martyr et la souffrance du peuple libyen, bombardé par les avions de l’Otan sous l’instigation de la France de Sarkozy avec un lobbying de M. Bernard Henry-Levy. Il ne manqua pas d’ajouter que ce fut également le sort des afghans et on pourrait compléter …des ivoiriens. Et au final, la guerre n’a rien réglé.
Cette passe d’arme et la position de M. Bernard Henry-Levy sur la guerre en Ukraine sont le symbole achevé de l’hypocrisie qui préside aux relations internationales. Tout le monde a tendance à voir la paille qui se trouve dans l’œil du voisin, en ignorant royalement la poutre qui se trouve dans le sien.
On comprend dès lors que, dans ces relations, la morale et le droit n’ont pas droit de cité. On s’en sert seulement pour se donner bonne conscience ou comme un leurre. Seuls comptent les intérêts et la force dont on dispose pour les protéger ou pour se les offrir.
Mais 10 mois après le début de ce conflit, plusieurs intérêts s’entrechoquent dans cette guerre en Ukraine. Si certains pays s’activent mollement pour que le conflit prenne fin, d’autres, au regard des gains qu’ils accumulent, s’activent pour le prolonger.
Quel résumé de la situation peut-on faire ?
Dans ce poker menteur, la population d’Ukraine livrée à elle-même, paye le prix fort. Au nombre de morts, vient s’ajouter la destruction de ses infrastructures électriques qui l’oblige à supporter l’hiver sans électricité. Cela n’empêche pas ses alliés de lui faire croire qu’elle est en train de gagner la guerre.
L’Europe monte sur ses grands chevaux, prétendant défendre « ses valeurs ». Ainsi, elle peut sanctionner le gaz russe, en achetant le gaz de schiste aux États-Unis, 4 fois plus cher, sans mentionner les conséquences désastreuses que son extraction a sur l’environnement. Cependant, elle viendra menacer de sanctions les pays africains producteurs de cacao, au motif que cette culture est à l’origine d’une vaste déforestation.
Mais que les Polonais soient obligés de se chauffer en brulant des immondices, que la lumière clignote dans les entreprises allemandes (selon une députée européenne), que des pays européens soient obligés de rationner l’électricité, que les entreprises européennes délocalisent et se relocalisent aux Etats-Unis, peu importe, pourvu que « les valeurs européennes » soient défendues, et que le grand frère américain soit content de l’engagement de l’Europe à ses côtés dans cette guerre en Ukraine.
Comme le diraient les Ivoiriens : « on peut être masochiste comme ça ? ».
Le grand gagnant dans cette opération reste les Etats-Unis. Ils ont obtenu, sans coup férir, un débouché pour fourguer au prix fort, leur gaz de schiste qui en temps normal ne trouvait pas de preneur. Leur industrie de l’armement tourne en plein régime, et les commandes ne manquent pas. Ils attirent de nombreuses entreprises européennes en leur offrant un environnement propice que celles-ci ne trouvent plus en Europe. À cet égard, quel intérêt ont-ils à ce que le conflit prenne fin ?
Ainsi va le monde dans ce poker menteur.
Mais arrive le jour où l’ivraie sera séparée du vrai.