Le charismatique « général de la rue », Charles Blé Goudé, ex-leader des jeunes patriotes de Côte d’Ivoire, signe son grand retour sur la scène politique ivoirienne.
Côte d’Ivoire: Charles Blé Goudé, le Malcolm X d’Afrique?
Charles Blé Goudé, l’ancien ministre de Laurent Gbagbo, est rentré en Côte d’Ivoire samedi 26 novembre 2022 après plusieurs années à la Cour pénale internationale. Depuis son acquittement de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI) en janvier 2021, l’ex-ministre de la Jeunesse et compagnon d’infortune de Laurent Gbagbo a savouré sa victoire avec ses fidèles soutiens à son retour des Pays-Bas. Toujours avec la même verve.
Héros pour certains, diable pour les autres, qui est donc ce leader ivoirien qui harangue et électrise la foule lors des meetings à travers la Côte d’Ivoire? Malgré sept ans d’enfermement à la CPI, le Malcolm X d’Abidjan, concepteur de l’anaphore « Si vous dormez, réveillez-vous » , des années 2000, n’a pas perdu son aura. Charles Blé Goudé a, comme la majorité des responsables politiques de la nouvelle génération ivoirienne, fait ses classes au sein de la fameuse Fesci, la Fédération studiantine et scolaire de Côte d’Ivoire, à laquelle il adhère en 1990. Un engagement qui lui vaut d’être emprisonné à huit reprises entre 1994 et 1999.
La Fesci luttant, à l’époque, aux côtés du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo pour la démocratisation d’un pays verrouillé par les régimes de Félix Houphouët-Boigny et d’Henri Konan Bédié. De simple militant, il devient secrétaire général de l’organisation en 1998, succédant à Guillaume Soro, appelé à devenir le leader des Forces nouvelles quand une rébellion éclate en 2002. Les hommes de Guillaume Soro occupent la moitié nord du pays durant dix ans jusqu’à la crise postélectorale de 2011 entre Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo.
À l’issue de la guerre ouverte, dite « des machettes », qui éclate en 2000 au sein du syndicat, l’amitié qui lie Guillaume Soro à Charles Blé Goudé vole en éclats. Les deux camarades du département d’anglais deviennent rivaux politiques. Mais ses liens avec Laurent Gbagbo, auprès duquel il s’engage lors des « années de braise », se renforcent. En 2001, Charles Blé Goudé, présenté par la rue comme le ‘bon petit’ de Laurent Gbagbo », crée le Congrès panafricain des jeunes et des patriotes (Cojep), mouvement de lutte contre l’impérialisme et le néocolonialisme.
Licence d’anglais en poche, il s’inscrit d’abord en master de gestion et prévention des conflits à Manchester, en Angleterre, avant de tout plaquer pour regagner Abidjan lors du début de la guerre civile en Côte d’Ivoire en septembre 2002 et apporter son soutien au président Laurent Gbagbo. Il fonde cette même année l’Alliance des jeunes patriotes pour le sursaut national, qui organise plusieurs manifestations, violentes pour certaines, pour obtenir le départ des forces armées non ivoiriennes et « l’indépendance économique » du pays. Ce mouvement, couramment appelé Jeunes patriotes, joue un rôle important et controversé durant toute la durée de cette crise.
“Le général de la rue”
Le 6 novembre 2004, alors que Paris a détruit l’aviation militaire ivoirienne en représailles à l’assassinat de neuf soldats français, le charismatique leader politique lance à la télévision un appel à la population : « Si vous êtes en train de manger, arrêtez-vous. Si vous dormez, réveillez-vous. L’heure est venue de choisir entre mourir dans la honte ou dans la dignité ». Des dizaines de milliers de personnes répondent à son ultimatum et de violents affrontements éclatent dans les rues. Les belligérants, furibonds, s‘en prennent à des Occidentaux et à leurs propriétés.
Dès 2005, sentant le vent changer, l’orateur cherche désormais à pacifier les foules. N’hésitant pas à se comparer à Nelson Mandela ou Martin Luther King, il concède quelques « dérapages », présente des excuses et appelle les Ivoiriens à la concorde. Des exercices de repentances quelque peu tardifs pour la justice internationale : il est condamné par l’ONU le 7 février 2006. Il n’a plus le droit de voyager et ses avoirs sont gelés.
Cela ne l’empêche pas de devenir ministre de la Jeunesse, de la Formation professionnelle et de l’Emploi sous la présidence contestée de Laurent Gbagbo, que l’opposition ivoirienne et la communauté internationale ne reconnaissent pas. Mais après de nouveaux affrontements en avril 2011 et l’assaut des forces armées d’Alassane Ouattara contre le palais présidentiel d’Abidjan, Charles Blé Goudé s’enfuit en exil. Sous le coup d’un mandat d’arrêt international, il est arrêté le 17 janvier 2013 à Accra, détenu par la police ghanéenne, puis extradé vers la Côte d’Ivoire le lendemain. La Cour pénale internationale annonce avoir émis un mandat d’arrêt à son encontre le 21 décembre 2011, le poursuivant pour crimes contre l’humanité commis en 2010-2011 (meurtres, viols, persécutions…).
Le 20 mars 2014, le conseil des ministres de Côte d’Ivoire accepte de remettre Blé Goudé à la CPI. Près de deux ans après son acquittement par la justice internationale, l’ancien ministre de Laurent Gbagbo est rentré en Côte d’Ivoire. Il affirme que le temps de la confrontation est terminée, mais pas la politique. Risque-t-il la prison ? Rentre-t-il comme un allié ou comme un adversaire de Laurent Gbagbo ? Va-t-il se rapprocher de du régime d’Alassane Ouattara comme de nombreux autres leaders de l’opposition à l’instar de Mabri Toikeusse de l’UDPCI, Pascal Affi N’Guessan et bien d’autres? L’avenir nous le situera.