L’histoire de la démocratie en Côte d’Ivoire connait « une trajectoire sinusoïdale », avec des avancées et des reculs dignes de la danse du crabe. Pendant l’ère coloniale, sous l’œil bienveillant du colonisateur, plusieurs partis s’affrontaient pour gagner la sympathie et le suffrage des populations et apparaître comme celui qui porte un projet à même de faire le bonheur de ces populations.
Côte d’Ivoire: Force est de constater que depuis 2011, tous les acquis obtenus se sont effrités et sont partis à vau-l’eau
Il reste entendu que nombre de ces partis étaient suscités par ces colons et ont par conséquent une fusion charnelle avec ces derniers à l’effet de permettre à ceux-ci de garder la main dans l’évolution des colonies. Puis advint l’ère des indépendances où les partis d’opposition ont disparu ou ont rejoint le parti dominant, devenu de ce fait un parti unique. C’était l’heure de gloire du parti unique avec un chef charismatique, omniscient, omnipotent, par qui tout fut, tout a été et tout sera. Un chef dont les humeurs et les décisions étaient insusceptibles de discussion. Il lui revient à lui seul de nommer les députés qui seront par la suite adoubés par un simulacre d’élection. Puis au début des années 80 advint ce qu’il était convenu d’appeler la démocratie à l’ivoirienne, la plus grande avancée démocratique jamais observée dans le monde selon les laudateurs. Il s’agit de la multiplicité de candidatures aux élections législatives à l’intérieur du même parti.
Mais pour la multiplicité de candidatures à l’élection présidentielle ? Repassez plus tard ! L’espoir fut grand quand en 1990, la naissance de partis politiques autre que celui déjà au pouvoir fut une réalité. Les ivoiriens l’avaient rêvée, les ivoiriens l’avaient souhaitée, les aînés se sont battus pour l’obtenir, certains y ont laissés la vie, d’autres en gardent encore des stigmates. Cette ouverture fut saluée à sa juste valeur et à la dimension de l’espoir qu’elle suscitait. Mais les actes, les réflexes et le comportement des tenants du pouvoir n’ont guère varié. Toutes les demandes des partis de l’opposition pour raffermir la démocratie, et avoir des scrutins garantissant les mêmes chances à tous les candidats, sont rejetées du revers de la main, avec des arguments à faire sourire un bouc ! Morceaux choisis :
– L’urne transparente : La Côte d’Ivoire est grande productrice de bois et ce serait des dépenses inutiles d’en acheter dans d’autres matières qu’elle ne produit pas.
– Le vote à 18 ans : à cet âge, le jeune n’est pas assez mâture pour comprendre les enjeux et faire des choix.
– La mise en place d’une commission indépendante en charge des élections : Le ministère de l’intérieur est mieux outillé et a l’expérience requise pour organiser les élections.
– Le bulletin unique : pas question, la population analphabète ne s’en sortira pas dans le choix de celui pour qui elle veut voter.
– Etc.
Tous ces refus participent en réalité du souci du parti au pouvoir de conserver toutes les cartes en main et imprimer la cadence de la marche du pays. Tout se fait par calcul avec pour inavouable la conservation du pouvoir à tout prix. Puis vint le coup d’état du 24 décembre 1999. Sous la transition militaire, une nouvelle constitution est adoptée après le référendum des 23 et 24 juillet 2000 qui a vu le oui l’emporter à 86,58% ; la Commission Nationale Électorale Indépendante (CENI) mise en place, et toutes les demandes de l’opposition pour que les élections soient justes pour tous, adoptées : bulletin unique, vote à 18 ans, urne transparente, etc. Qui ne se souvient pas de M. Honoré Guié, le courageux et intrépide premier président de la structure chargée des élections ? Structure, véritablement indépendante et à équidistance de tous les partis politiques, qui a organisé les élections de 2000.
A l’épreuve du terrain, nous nous rendons compte que nous sommes manifestement tombés de Charybde en Scylla…du mauvais au pire !
C’est ce qui sera appliqué sous la deuxième République sans que le ciel ne tombe sur la tête. La liberté d’expression est consacrée. Les Ivoiriens mécontents pouvaient s’exprimer sans être enlevés pour des destinations inconnues. Les journaux de l’opposition pouvaient à longueur de journée « brocarder » le Chef de l’Etat sans être inquiétés. Des journaux pouvaient se permettre de mettre à la Une, une carte du pays divisé en deux, prélude à la déstabilisation en cours et continuer de paraître. Ce fut la consécration de la liberté d’expression, de la liberté de pensée et de la liberté d’opinion dans la droite ligne de notre quête de liberté. Sous la troisième République, nombre d’Ivoiriens ont cru que non seulement les acquis démocratiques seraient consolidés mais bien plus, d’autres espaces seraient conquis. Hélas !
Force est de constater que depuis 2011, tous les acquis obtenus se sont effrités et sont partis à vau-l’eau. Il faut désormais tourner sept fois la langue avant d’émettre un avis ou exprimer une opinion. Toutes les élections organisées depuis cette date, sont émaillées de violences et de morts d’hommes avec un faible taux de participation. Des contentieux électoraux aux issues extraordinaires sont notés, et les journaux de l’opposition marchent sur des œufs quant aux contenus de leurs parutions. Tout se fait par de petits calculs mesquins pour piéger les interlocuteurs et les écraser, afin de conserver une position dominante ou avoir une longueur d’avance.
Ces actes montrent combien de fois que nous avons fait des pas en arrière par rapport à nos acquis démocratiques. Nombre de nos concitoyens avaient affirmé qu’avec la chute du « dictateur » Laurent GBAGBO, la Côte d’Ivoire entrait pleinement à l’ère de la véritable démocratie. Mais à l’épreuve du terrain, nous nous rendons compte que nous sommes manifestement tombés de Charybde en Scylla…du mauvais au pire ! Ainsi va le pays… Mais arrive le jour où l’ivraie sera séparée du vrai, Dieu voulant !