Dans la première interview qu’il avait accordée à France 24 depuis son retour en Côte d’Ivoire, le président Laurent Gbagbo, répondant à une question du journaliste qui l’interrogeait, avait récusé sa condamnation à 20 ans de prison pour le « braquage » de la Beceao, brandie comme une épée de Damoclès sur sa tête. Il a même qualifié cela comme une plaisanterie (certainement de mauvais goût). Cette réponse avait fait sortir le gouvernement de ses gongs, et le porte-parole avait lu un communiqué affirmant que le président Laurent Gbagbo est toujours poursuivi par la justice ivoirienne.
18 ans après, à quel niveau se trouvent l’enquête des casses des succursales de la BCEAO de Bouaké, Korhogo et de Man?
Pour rappel. Au plus fort de la crise postélectorale, la France, l’Union Européenne et ce qu’il est convenu d’appeler la « communauté internationale », avaient soumis la Côte d’Ivoire à toutes sortes d’embargos, dont un embargo sur les médicaments, à l’effet d’asphyxier le pays, provoquer le soulèvement des ivoiriens et in fine, contraindre le président Laurent Gbagbo à la démission.
Outre ces embargos, les grandes banques, dont la plupart sont des succursales des banques françaises, ont rejoint la danse en fermant leurs portes sans prendre soin d’en avertir leurs clients. La BCEAO n’était pas en reste. L’Etat souverain de la Côte d’Ivoire, qui avait des devoirs vis-à-vis de sa population, a pris une réquisition pour l’ouverture de ces banques, et assisté d’huissiers, a fait des retraits sur son compte à lui, dans les livres de la BCEAO.
Cet argent tiré du compte de l’Etat, a permis à celui-ci de continuer de fonctionner, en faisant face à ses différentes charges. Ainsi les fonctionnaires ont perçu leurs salaires grâce à cet argent, mais également, tous les anciens ministres, les anciens présidents d’institution, les anciens premiers ministres et les anciens présidents de la République ont perçu leurs rentes viagères. La BCEAO, à ce qu’on sache n’a jamais porté une quelconque plainte pour avoir subi des préjudices ou avoir été l’objet de braquage.
La justice ivoirienne a des contorsions dont elle seule, a le secret
Si pour ce fait, la justice ivoirienne a condamné le président Laurent Gbagbo pour braquage, elle devait en toute logique poursuivre les fonctionnaires, dont les juges et procureur de cette affaire, les anciens ministres, les anciens premiers ministres et les anciens présidents de la République pour recel, étant entendu que ceux-ci ont eu droit à leurs émoluments grâce à l’argent du «braquage ». Mais qu’on ne s’y trompe pas.
La justice ivoirienne a des contorsions dont elle seule, a le secret. Et cela est désormais familier. On a en mémoire que c’est pendant le procès de la Haye, lorsqu’une rumeur persistante a fait état d’une libération provisoire des accusés, qu’opportunément, la justice ivoirienne s’est empressée de juger et de condamner le président Gbagbo à 20 ans de prison par contumace selon les uns, par défaut selon les autres.
Donner des arguments juridiques, pour tenir le président Laurent Gbagbo loin des joutes électorales…
Il s’agissait véritablement de se donner des arguments juridiques, pour tenir le président Laurent Gbagbo loin des joutes électorales qui pointaient à l’horizon. C’est le même modus operandi qui fut employé à l’égard du ministre Charles Blé Goudé. En effet, acquitté par la Cour Pénale Internationale, lavé de la souillure qu’on a voulu lui accoler et en attente de sa libération définitive, comme par extraordinaire, la justice ivoirienne a décidé de le poursuivre pour « crimes contre des prisonniers de guerre ».
S’étant certainement rendu compte de la grossièreté et de la vacuité d’une telle accusation, celle-ci fut muée en « crimes contre des civils et viol » par la justice. Avec une célérité qu’on ne lui connaissait pas, la justice ivoirienne jugea et condamna également M. Charles Blé Goudé à 20 ans de prison. Toute cette débauche d’énergie et cette célérité dans l’action ont fini par convaincre les plus sceptiques, que la préoccupation majeure de la justice n’est pas de rendre justice, mais aider à mettre hors service, des adversaires sur qui, on n’a aucune emprise.
Notre pays aspire à la paix et à la réconciliation
Mais la justice ivoirienne n’est pas à une contradiction près. On se souvient qu’en 2004, les succursales de la BCEAO de Bouaké, Korhogo et Man ont subi un casse mémorable, avec un préjudice énorme. C’est le lieu de demander à la justice ivoirienne, si prompte à l’action quand il s’agit de Gbagbo, de nous dire aujourd’hui, 18 ans après, à quel niveau se trouve son enquête. Pourquoi ne fait-elle pas preuve de la même célérité comme celle qui a prévalu au dossier du président Gbagbo ?
Elle s’est emmurée dans un silence de cimetière, alors que pour ce même casse, la justice française a arrêté et jugé 12 soldats français qui se sont emparés de la somme de 220 millions de FCFA issus du casse de la BCEAO Man. On peut certes déplorer la clémence de la justice française à l’égard des soldats français voleurs et receleurs, condamnés à des peines allant de 2 mois à un an ferme, mais le procès a eu le mérite de s’être tenu.
Notre pays aspire à la paix et à la réconciliation. Aucune affaire ne doit certes pas passer par pertes et profits, mais la justice doit nous y aider en étant elle-même mue par un souci de transparence, d’équité et de…justice, cela, pour demain. Demain est certes un autre jour, mais demain arrive toujours et l’ivraie sera séparée vrai. Et s’il y a eu un matin en Eburnie, il y aura assurément un soir.