La crise Mali-Côte d’Ivoire née de l’affaire des 49 soldats ivoiriens monte en pression. Bamako rejette la saisie de la CEDEAO par Abidjan et met en garde.
Mali-Côte d’Ivoire : grosse mise en garde de Bamako pour les 49 soldats ivoiriens
Le 10 juillet passé, 49 soldats ivoiriens débarqués à l’Aéroport international Modibo-Keïta avaient été appréhendés par les autorités maliennes. Celles-ci, après de rapides contacts avec leurs homologues de Côte d’Ivoire, ont qualifié les militaires ivoiriens de mercenaires qui ont par la suite été inculpés par la justice malienne.
Réaction de l’armée de Côte d’Ivoire après l’arrestation des 49 militaires ivoiriens
La réaction de la Côte d’Ivoire par une conférence de presse de l’État-Major de l’armée « exigeant la libération immédiate » des 49 soldats ivoiriens avait été perçue comme une provocation par le Mali. Depuis, une médiation du Togo afin de rabibocher les deux pays voisins avait été entamée, jusque-là sans succès.
L’armée de Côte d’Ivoire assure que ces soldats étaient en mission pour l’ONU. Ils seraient arrivés à Bamako dans le cadre d’opérations de soutien logistique à la Mission des Nations unies au Mali (Minusma), ce que conteste le Mali.
La Côte d’Ivoire, par une déclaration de Fidèle Sarassoro, Ministre, Directeur de cabinet du président Alassane Ouattara, regrettant des erreurs commises dans la procédure d’envoi des 49 militaires ivoiriens au Mali, semblait reconnaitre ses erreurs dans le dossier. Récemment, 3 femmes des 49 militaires ivoiriens avaient été libérées et plusieurs sources annonçaient la poursuite de ce mouvement pour décrisper la relation Mali-Côte d’Ivoire.
Alors qu’on attendait la libération prochaine des 46 soldats ivoiriens restant, suite à un accord intervenu entre le Président Alassane Ouattara et le Colonel Assimi Goïta, une demande de contrepartie introduite par le régime malien a bloqué le dossier.
En effet, le Mali demande à la Côte d’Ivoire de s’abstenir de tous actes concourant à la déstabilisation du régime de la Transition, un point rapidement validé par Abidjan. Pour Bamako, l’exécution des nombreux mandats d’arrêt émis par la justice malienne contre des personnalités maliennes, d’anciens dignitaires du régime de feu le Président Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, pourrait représenter un gage de bonne volonté de la part de la partie ivoirienne.
Certains sur la liste de ces personnalités recherchées au Mali sont accusés d’atteinte à la sûreté de l’État malien quand d’autres sont poursuivis pour détournement de deniers publics. La Junte au pouvoir aimerait surtout que la Côte d’Ivoire lui livre Karim Keita, fils de l’ancien Président malien, considéré comme une menace pour le régime de Bamako. Karim Keita est réfugié en Côte d’Ivoire depuis le coup d’État qui a renversé le régime de son père.
Pour plusieurs analystes, c’est la présence de ce dernier à Abidjan qui constitue la partie importante de la crise Mali-Côte d’Ivoire.
Crise Mali contre la Côte d’Ivoire, ce qui coince
Seulement, la Côte d’Ivoire, dans sa politique, n’extrade pratiquement jamais de politiciens étrangers réfugiés sur son sol. Abidjan semble donc réfractaire à l’exigence du Mali, ce qui compromet la libération des 46 soldats ivoiriens. Les autorités ivoiriennes considèrent comme du chantage les exigences introduites par la partie malienne lors des négociations au Togo.
Face à l’impasse, la Côte d’Ivoire a récemment saisi la CEDEAO afin qu’elle pèse de tout son poids pour la libération des 46 militaires ivoiriens. Les autorités ivoiriennes veulent ainsi éviter la dégénérescence de la crise Mali-Côte d’Ivoire qui pourrait avoir de grave repercutions sur l’ensemble de la région. Cette démarche est mal perçue par les autorités maliennes qui viennent de lui donner une suite pour le mois virulente.
Communiqué du gouvernement malien lu par Abdoulaye Maïga
Le ministre Abdoulaye Maïga, Porte-parole du gouvernement malien et Premier ministre par intérim depuis le 21 août 2022, a lu à la télévision malienne un communiqué le soir du 15 septembre 2022. Abdoulaye Maïga
: « Le gouvernement du Mali a suivi avec une grande préoccupation, une profonde stupéfaction, le communiqué du Conseil National de Sécurité de la Côte d’Ivoire tenue le mercredi 14 septembre 2022 au sujet des 49 soldats ivoiriens arrêtés à l’Aéroport international Président Modibo-Keïta Sénou le 10 juillet 2022 et contre lesquels la justice malienne a ouvert une procédure d’information judiciaire pour des faits graves, entre autres touchant à la sécurité nationale et à la sureté extérieure de l’État.
Le gouvernement de la Transition rappelle à l’opinion publique nationale et internationale que par communiqué numéro 034 du 11 juillet 2022, les conditions illégales dans lesquelles ses forces étrangères, dont une trentaine de forces spéciales, sont arrivées au Mali en possession d’armes et de munitions de guerre, sans ordre de mission ni autorisation – tout en dissimulant leur identité et leur profession réelle de militaire, ainsi que l’objet précis de leur présence sur le sol malien (avait été dénoncé, ndlr).
En outre, contrairement à la déclaration des autorités ivoiriennes, la MUNUSMA (Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali), officiellement saisie du statut de ces militaires par le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, avait clairement indiqué dans sa note verbale référencée MUNUSMA/brot/el/2026/2022 du 27 juillet 2022, que ces soldats ne faisaient pas partie des éléments nationaux de soutien. Par conséquent, aucune base légale ne saurait à présent justifier ni leur présence encore moins leur mission au Mali.
De même, le directeur en charge des questions africaines du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale a reçu en audience le dimanche 7 août 2022 le directeur en charge des questions africaines du ministère des Affaires étrangères de la République Fédérale d’Allemagne. Ce dernier avait clairement affirmé qu’aucune agence allemande, et encore moins le gouvernement, n’avaient de liens contractuels avec les éléments ivoiriens arrêtés à l’aéroport. Par conséquent, son pays n’avait rien à voir, ni de près ni de loin avec ces personnes arrêtées.
Malgré la gravité des faits qui entoure cette affaire, le Mali a bien voulu accompagner les efforts de médiation de la République togolaise, unique cadre de règlement du dossier des 49 mercenaires ivoiriens. Dans le communiqué du Conseil national de sécurité du 14 septembre 2022, le gouvernement ivoirien insiste sur son innocence et celle des 49 militaires arrêtés. En conséquence, le gouvernement de transition note avec une profonde stupéfaction que le gouvernement ivoirien vient de se dédire en l’espace de 11 jours.
En effet, il a reconnu sa responsabilité dans sa déclaration officielle lue par le Ministre, Directeur de Cabinet du Président de la République de Côte d’Ivoire, M. Fidèle Sarassoro, le 3 septembre 2022, à Lomé, en ces termes, je cite : « La Côte d’Ivoire déplore que des manquements et des incompréhensions aient été à l’origine de ces évènements fortement regrettables. La Côte d’Ivoire, soucieuse de maintenir des relations de bon voisinage avec le Mali s’engage à respecter les procédures des Nations Unis ainsi que les nouvelles règles édictées et dispositions maliennes relatives au déploiement de forces militaires au Mali ».
« De tels revirements graves de la part d’autorités étatiques visent à manipuler et entraver la manifestation de la vérité » (répété 3 fois).
Animé d’une volonté d’adversité, le gouvernement ivoirien accuse le Mali d’avoir pris en otage les militaires ivoiriens en faisant fi des conditions obscures et des manquements ayant entraîné l’inculpation par la justice malienne des 49 soldats mercenaires.
Le Gouvernement de la Transition souligne que c’est exclusivement en sa qualité de Président du Conseil Supérieur de la magistrature que le Colonel Assimi Goïta, Président de la transition, chef de l’État, a indiqué à la partie ivoirienne la nécessité de considérer la situation de certains Maliens, objet de mandats d’arrêt internationaux. C’est cette attitude responsable du Président de la transition qui a été malheureusement perçue par les autorités ivoiriennes comme une prise d’otage.
À la décision du gouvernement ivoirien d’avoir transformé un dossier judiciaire en une crise diplomatique, par conséquent de saisir la CEDEAO, le gouvernement de la transition souligne qu’il n’est nullement concerné par cette procédure devant l’instance communautaire. Aussi, il indique à la CEDEAO que l’affaire des 49 mercenaires ivoiriens est purement judiciaire, bilatérale et met en garde contre toute instrumentalisation de la CEDEAO par les autorités ivoiriennes pour se soustraire de leurs responsabilités vis-à-vis du Mali.
Le gouvernement de la transition, tout en réitérant son attachement à la paix, à la sécurité et aux relations séculaires de bon voisinage, précise que pour le respect de sa souveraineté, sa sécurité nationale, aux intérêts vitaux de son peuple, ne cédera à aucun chantage et intimidation. Que Dieu bénisse le Mali et préserve les Maliens.
Fait à Bamako le 15 septembre 2022″
Pendant plusieurs décennies, la relation Mali-Côte d’Ivoire était bonne à un point que plusieurs millions de Maliens ont immigré en Côte d’Ivoire. La diplomatie africaine devra redoubler d’effort pour empêcher l’aggravation de cette crise Mali-Côte d’Ivoire qui pourrait fortement bouleverser la région ouest-africaine.