Une semaine après l’annonce officielle des tarifs du péage de Bassam, les contestations restent fortes. Il ressort de celles-ci que, dans leur grande majorité, les ivoiriens ne sont pas, par principe, opposés au péage. Le point d’achoppement, c’est le tarif, que les usagers, y compris les transporteurs, trouvent excessif. Le décryptage de Jean Bonin KOUADIO, Juriste spécialiste des contrats de PPP, Membre du cabinet international d’avocats, Serres et associés, Paris.
Péage de Bassam – Jean Bonin KOUADIO au Ministre Amedé Kouakou: « Il faut prendre les Ivoiriens au sérieux »
Pour tenter de faire baisser la tension, le ministre de l’Equipement et de l’Entretien Routier a donné des explications qui, loin de rassurer les usagers de la route, en rajoutent à leurs légitimes inquiétudes.
1 – Le ministre déclare que sur le tronçon à péage, il y a un poste de sapeurs pompiers qui garantit la sécurité des conducteurs et explique, en partie, le coût du projet. Cette explication n’est pas convaincante. En effet, il n’appartient pas aux usagers d’une route à péage de financer la construction des ouvrages affectés aux forces de l’ordre et de défense. La construction une caserne de sapeurs pompiers militaires résulte d’un devoir régalien de l’Etat. Elle doit être prise en charge par le budget général de l’Etat. D’ailleurs, c’est de cette façon que toutes les infrastructures d’accueil des sapeurs pompiers ont jusqu’à présent été budgétisés et financés partout dans le pays.
2 – Le ministre déclare que les recettes du péage permettront de développer d’autres tronçons routier et de les entretenir. C’est une erreur d’appréciation. Un péage n’a pas la nature juridique d’un impôt mais d’une redevance. Par exemple, la redevance RTI est payée, en principe, uniquement par ceux qui possèdent un poste téléviseur. Cette redevance, parce qu’elle n’est ni un impôt ni une taxe, devrait exclusivement servir au développement de l’espace audiovisuel et non par exemple à la construction d’écoles ou d’hôpitaux. C’est ce qui différencie, en droit, une redevance pour service rendu d’un impôt.
3 – Le ministre fait valoir qu’il y a une voie alternative que les usagers, qui ne veulent pas emprunter la route à péage, peuvent emprunter. Le ministre a tort de sortir un tel argument. En effet, les deux voies ont été financées par l’impôt et donc par le contribuable. Il n’y a dès lors aucune raison objective pour qu’ils soient exclus d’une que leurs impôts ont financé. Ils veulent simplement payer un juste prix, en rapport direct avec le service rendu. L’argument du ministre, d’un point de vue économique, financier et fiscal n’est pas recevable. Au surplus, la voie alternative qu’il désigne n’est pas compatible avec la fluidité de la circulation que l’Etat doit garantir aux usagers d’une route, surtout lorsque ceux-ci paient l’impôt, la vignette automobile et bien d’autres taxes liées à l’exploitation commerciale ou privée des véhicules terrestres à moteur (moto, tricycle, voiture, car, camion…). Que l’Etat garantisse la fluidité de la circulation sur la voie alternative en la dédoublant par exemple et alors elle sera empruntée car elle ne sera pas un goulot d’étranglement qui les contraindrait à emprunter le péage.
4 – Le ministre affirme que si nos routes sont dégradées, c’est parce qu’elles ne sont pas à péage. Cette affirmation est inexacte. Nos routes, à l’image de nos hôpitaux, écoles, stades et plus généralement nos bâtiments publics se dégradent en raison de l’absence d’un programme pluriannuel périodique d’entretien. Le ministre est un ingénieur de formation et il ne peut ignorer cela. Les couches de roulement des routes bitumées sont conçues et réalisées pour résister à l’usure et à la fatigue sur une durée de vie de 15 ans.
Or, on peut lire sur le site de l’Ageroute que plus de 75% du réseau revêtu a un âge qui varie entre 15 et 35 ans. Ces sections doivent donc nécessairement être renforcées et c’est à l’Etat de budgétiser et de programmer cet entretien périodique, pas aux usagers d’un péage qui eux paient déjà pour le tronçon qu’ils empruntent. Le fait est qu’avec la suppression des dIrections des TP dans les Départements et la privatisation de l’entretien routier, les tâches d’entretien, confiées quelquefois de façon complaisante à des entreprises qui n’en ont pas toujours l’expertise requise, n’ont pas été effectués selon les standards compatibles avec leur parfaite conservation.
« L’Etat libéral n’a pas vocation à être commerçant ou à gérer des infrastructures que le secteur privé pourrait bien mieux exploiter que lui »
5 – Le ministre, probablement pour calmer l’ardeur des transporteurs et des militants du RHDP, annonce que c’est le président de la république, lui-même, qui a fixé les tarifs du péage. Cette argutie n’a pas fonctionné vu qu’un important syndicat de transporteurs menace de rentrer très prochainement en grève si les choses restaient en l’Etat. Il en est de même de milliers de militants du RHDP qui savent être rationnels lorsque l’intérêt général est en jeu.
Par ailleurs, si c’est le président de la république qui doit lui-même fixer les tarifs, alors à quoi servent notamment le ministère de l’Equipement, le ministère de l’économie et des finances, le BNETD ? Il faut prendre les ivoiriens au sérieux. Le chef de l’Etat a bien mieux à faire que de fixer des tarifs autoroutiers.
Mes recommandations :
Une analyse fine de ce dossier révèle qu’un certain nombre d’études élémentaires, nécessaires dans ce type de projet, n’ont pas été faites, dont l’étude de rentabilité et l’étude d’acceptabilité. Cela explique en grande partie les tâtonnements auxquels le ministère est confronté. L’Etat libéral n’a pas vocation à être commerçant ou à gérer des infrastructures que le secteur privé pourrait bien mieux exploiter que lui. Le secteur privé n’aurait évidemment pas fait l’économie d’une étude d’acceptabilité du tarif du péage que manifestement le FER, lui, n’a pas fait réaliser. Je suis pour une privatisation de l’exploitation de certaines routes de grandes affluences, dans le cadre de partenariats public privé (PPP).
Avec ce système, l’Etat peut déléguer au secteur privé la conception, le financement, la construction, l’exploitation et l’entretien des routes concédées. En retour, l’Etat n’a donc plus à supporter le coût d’investissement et de remboursement des emprunts y relatifs. Il peut alors affecter les ressources économisées à des investissements prioritaires tels que des écoles, centres de santé ou l’électrification. Le secteur privé, qui est bien mieux outillé que l’Etat, financera les investissements routiers à péage. En contrepartie, il paiera des redevances, taxes et des impôts à l’Etat qui pourra s’en servir pour développer de nouvelles routes et les entretenir, comme il le souhaite.
Jean Bonin KOUADIO
Juriste, spécialiste des contrats de PPP
Membre du cabinet international d’avocats, Serres et associés, Paris
Président du Think Tank FIER
NB: Les titre et sous titres sont de la rédaction.