L’actualité en Afrique bruit toujours avec la guéguerre entre le Mali et la France. Le dernier développement revêt une symbolique qui n’a pas échappé aux observateurs. En effet, le ministre français des Affaires étrangères, M. Jean-Yves le Drian, est convoqué par la justice malienne dans le cadre d’une enquête portant sur « une atteinte aux bien publics et autres infractions ».
Jean-Yves le Drian et son fils Thomas doivent répondre à la convocation de la justice malienne pour les besoins de l’enquête
Cette convocation qui fait suite à une plainte déposée par un mouvement de la société civile malienne, « Maliko », est relative à l’attribution du marché de confection de passeports malien, à une société française. La justice malienne soupçonne le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian et son fils Thomas le Drian, d’avoir en 2015, favorisé l’entreprise bretonne, Oberthur à obtenir ce juteux marché, par une pression sur les autorités maliennes de cette époque, alors qu’une entreprise canadienne proposait des conditions plus avantageuses. Selon le mouvement Maliko, le plaignant, « …ce marché a été attribué de gré à gré à la société Idemia (autrefois Oberthur), sans appel d’offres, ni appel à candidature à la concurrence. Ainsi, les procédures et règles du code des marchés publics ont été allègrement violées…».
Mais qu’on ne se leurre pas. Il y a très peu de chance que M. Jean-Yves le Drian et son fils Thomas se présentent le 20 juin prochain, devant la justice malienne. Le ministère français des Affaires étrangères, a indiqué n’avoir reçu aucune notification, ni information par les canaux appropriés. L’action de la justice malienne est symbolique et importante à double titre. Elle met en lumière des pratiques peu orthodoxes qui ont cours dans les pays africains francophones, et auxquelles tout le monde a fini par s’habituer et à croire que c’est la norme. Dans les pays du pré-carré français, les entreprises françaises obtiennent de gros marchés d’Etat, sans appel d’offres ni de concurrence, après un lobbying ou une intimidation exercés par les autorités françaises sur les dirigeants africains.
Les exemples sont légion, sans oublier leur corollaire de surfacturation. On a en mémoire, le projet de construction du train urbain ou « métro » à Abidjan. Dans l’étude initiale effectuée par le Bureau National d’Etudes Techniques et de Développement (BNETD), le coût de cet ouvrage, s’élevait à 100 milliards de FCFA. Mais le marché attribué à Bouygues Travaux Publics, Alstom, et Keolis du groupe SNCF, est monté à 1044 milliards de FCFA pour 37 km de rail ! Soit plus de 10 fois le coût initial. Le deuxième symbole à retenir, c’est bien la première fois qu’une autorité française, de surcroit un ministre, est convoqué devant une juridiction africaine, pour répondre de présumés actes délictueux à lui reproché. C’est une grande première qui certainement fera tâche d’huile en Afrique francophone dans les années à venir.
Il n’y a aucune raison que des personnalités françaises échappent à la justice africaine
On était plutôt habitué à voir des personnalités africaines convoquées devant la justice française, mais jamais l’inverse. Il va sans dire que cet acte ouvre désormais la voie de la réciprocité, qui régira les relations entre la France et ses anciennes colonies. C’est une décision courageuse qui doit être saluée à sa juste valeur. Elle est le signe annonciateur de l’exigence du respect que le Mali, et partant l’Afrique attend recevoir, en retour de ce qu’il donne aux autres pays. On se souvient que des Ong françaises, ont maintes fois assigné des personnalités africaines devant la justice française, dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler « les biens mal acquis ». Ainsi, Théodorin Obiang, Vice-président de la Guinée Equatoriale et fils du président de ce pays, Denis Christel Sassou N’guesso, fils du président congolais, Grâce, Betty, Arthur et Hermine Bongo, les enfants de l’ex-président du Gabon, Omar Bongo Odimba, ont été soit mis en examen, soit jugés et condamnés par la justice française.
Si des personnalités africaines peuvent subir la rigueur de la justice française pour des délits non commis en France, il n’y a aucune raison que des personnalités françaises échappent à la justice africaine, pour des faits qui se sont déroulés en Afrique. Jean-Yves le Drian et son fils Thomas doivent répondre à la convocation de la justice malienne pour les besoins de l’enquête. A défaut, ils devront être jugés par contumace ou par défaut. Il faut en finir avec cette impunité dont bénéficient les autorités françaises en Afrique. Il ne faudrait pas passer par pertes et profits ces actes, comme le fut la tuerie de jeunes ivoiriens devant l’Hôtel Ivoire en 2004, par les soldats français.
Aucune Ong en Côte d’Ivoire, ou dans la diaspora, aucun parti politique, n’a eu le courage de porter plainte contre l’armée française pour ces crimes, aucun procureur ivoirien ne s’est autosaisi pour que des comptes soient demandés aux autorités françaises. C’est en cela que la démarche de Maliko et la prompte réaction de la justice malienne, constituent une grande première à suivre. Cela pour demain. Demain est certes un autre jour, mais demain arrive toujours. Et s’il y a eu un soir au Mali, il y aura assurément un matin et l’ivraie sera séparée du vrai.