La Crise en Ukraine montre un visage peu reconnaissable du monde occidental. Alors que la justice contemporaine veut que seuls les responsables de certains actes en assument les conséquences devant la loi, la crise ukrainienne a laissé entrevoir des dérives les plus autoritaires. Nazaire Kadia analyse…
Crise en Ukraine : Est-il acceptable de sanctionner des hommes d’affaires russes, juste pour leur amitié avec Vladimir Poutine ?
La crise en Ukraine, du fait des opérations militaires russes, continue en dépit de la batterie de sanctions qui s’abat sur la Russie. Du gel des avoirs de l’État russe, en passant par l’interdiction d’activités de sportifs russes au plan mondial, on en vient à la sanction des hommes d’affaires jugés proches du président Vladimir Poutine. Toutes ces mesures, censées faire plier le président russe, n’empêchent cependant pas la Russie de poursuivre méthodiquement son objectif et sa marche en avant.
Les spécialistes en géopolitique, de géostratégie, de relations internationales et des hommes politiques, continuent de se relayer sur les plateaux de télévision pour analyser, décrypter cette crise et souvent énoncer des prédictions sur l’avenir et le devenir de la Russie ; d’autres encore pour faire une lecture des effets visibles des sanctions sur les populations russes.
Dans l’entendement de ces spécialistes et autres politiques, ces sanctions vont assurément aboutir à un mal-être et un mal-vivre des populations russes, au point de provoquer en elles une révolte, et déboucher in fine sur une révolution de palais qui fera partir M. Poutine du pouvoir. C’est dans cette veine que des sanctions sont prises à l’encontre de certains hommes d’affaires russes, « affectueusement » appelés oligarques (terme qu’on se garde d’affubler Bolloré ou Bouygues), réputés proches du président Vladimir Poutine.
Des hommes d’affaires sanctionnés pour les détourner de Poutine
La saisie de leurs biens immobiliers en Europe, le gel de leurs avoirs dans les structures financières européennes, devraient, selon l’attente des Européens, les affaiblir au point de se retourner contre celui dont on dit qu’ils sont proches. Mais objectivement, peut-on sanctionner ces hommes d’affaires, juste parce qu’ils sont proches de Vladimir Poutine ? Est-il moralement et juridiquement acceptable de punir des hommes du fait de leur amitié ?
En quoi sont-ils comptables de ce qui se passe en Ukraine ? Il y a quelques années, on a vu des images de M. Nicolas Sarkozy, alors président de la république française, en villégiature sur un bateau de plaisance d’un homme d’affaires français. Cet oligarque français est-il comptable des milliers de morts provoqués par les bombardements en Libye, sous l’instigation du président français ? Est-il également comptable de la mort des centaines de jeunes ivoiriens autour de la résidence du président Laurent Gbagbo, lors du bombardement de sa résidence par l’armée française pendant la crise postélectorale de 2010 ?
Un silence inquiétant de la justice européenne
Mais le plus intrigant, c’est le silence de cimetière qu’observent les éminents juristes européens et les défenseurs des droits de l’homme devant ce cas flagrant de violation des droits de l’homme, si ce n’est un abus de pouvoir. Prompts à faire la leçon à gorge déployée quand il s’agit des autres, surtout des pays d’Afrique, les voilà qui jouent le singe de la gravure qui ne voit rien, ne dit rien et n’entend rien face aux dérives totalitaires des pays de l’Union européenne.
On retient pareillement, que les sanctions à infliger à la Russie à l’effet de lui faire mal, et annoncées dans une jubilation jouissive par les dirigeants européens, font de plus en plus place à des inquiétudes quant aux effets retours. Cela explique les reculades auxquelles on assiste relativement à certaines mesures. Ainsi, l’Allemagne se refuse à inclure dans les sanctions, tout ce qui a trait au gaz russe dont dépend sa survie. Elle marche véritablement sur des œufs, de peur de voir s’effondrer son économie.
Cette situation est à des degrés divers, celle de nombreux pays européens. Dans l’immédiat, il leur est difficile de trouver une alternative au gaz russe. Ni la Norvège ni l’Algérie auxquelles certains pensent n’ont la capacité de combler le gap que provoquerait une suspension de la fourniture du gaz russe, dans le court et le moyen terme. Le recours au charbon est une solution palliative, mais comporte beaucoup de désagréments écologiques. Il ne reste plus qu’à importer du pétrole et du gaz de schiste des États-Unis plus cher, du fait des coûts de production.
Les pays de l’Union européenne, vassaux des États-Unis ?
Au change, les Américains qui poussent les Européens dans le dos sur le dossier ukrainien, s’en frotteraient les mains en engrangeant d’énormes bénéfices, et les Européens, les dindons de la farce, devront faire face à une récession économique, si par mesure de rétorsion, les Russes fermaient le robinet du gaz ici et maintenant. La crise en Ukraine, au-delà de ce qui est présenté, est une véritable lutte pour la survie d’un monde unilatéral qu’on voudrait perpétuer, avec un leader, les États-Unis à la puissance déclinante, et des « vassaux », les pays de l’Union européenne.
C’est également la lutte pour l’émergence d’autres puissances, à même de constituer un contrepoids et faire apparaître un monde équilibré où aucun état ne disposerait du droit de vie ou de mort sur un chef d’État dont la tête ne revient pas.
Ainsi va le monde. Et s’il y a eu un matin, il y aura assurément un soir et l’ivraie sera séparée du vrai.