Une semaine après son offensive contre l’Ukraine, la Russie fait l’objet de sanctions de tous ordres : économiques, financières et aujourd’hui, elle doit faire face à des sanctions sportives. Pour l’analyste politique ivoirien, Nazaire Kadia, si les sanctions économiques et financières peuvent se comprendre parce qu’émanant plus ou moins de pays antagonistes, les sanctions sportives le sont moins, du fait que les organisations qui dirigent le sport, sont l’émanation de tous les pays du monde y compris la Russie. Décryptage!
Nazaire Kadia: « D’où vient qu’aujourd’hui, le sport s’invite à la politique, au point où toutes les organisations sportives du monde sanctionnent la Russie ? »
Depuis toujours, les instances dirigeantes du sport clament que le sport doit rester en dehors des divergences politiques entre les pays. De ce fait, de nombreux sportifs qui ont voulu profiter des manifestations sportives pour véhiculer des messages politiques, ont été ramenés à l’ordre, au nom du principe que sport et politique sont deux entités à part. D’où vient qu’aujourd’hui, toutes les instances des organisations sportives clouent la Russie au pilori et font pleuvoir sur elle des sanctions ?
Pour mémoire, lorsqu’en 2018, l’Arabie Saoudite avait refusé d’envoyer ses équipes de football en Iran dans le cadre de la Ligue des champions d’Asie, à la suite d’une rupture diplomatique intervenue en 2016, le président de la Fifa, M. Gianni Infantino a eu ces mots : « … Les divergences politiques entre l’Iran et l’Arabie Saoudite ne doivent pas avoir des conséquences sur le football…C’est très clair que la politique doit rester en dehors du football et le football en dehors de la politique…Il y a bien sûr des problèmes politiques entre les pays partout dans le monde, mais cela ne doit pas avoir un impact sur le football… ». Belle, cette profession de foi qui est le leitmotiv de toutes les organisations sportives du monde.
Mais alors, d’où vient qu’aujourd’hui, en dépit de la belle profession de foi susmentionnée, le sport s’invite à la politique, au point où toutes les organisations sportives du monde sanctionnent la Russie ? Quelle est la part de responsabilité des athlètes russes dans le conflit qui oppose leur pays à l’Ukraine, au point d’en faire les frais? Qu’est-ce qui a changé pour qu’on en arrive là ? Mais en écoutant les spécialistes de géopolitique, de géostratégie et autres relations internationales qui écument les chaînes de télévision françaises, on apprend beaucoup ! Pour certains de ces spécialistes, les sanctions économiques et financières auxquelles viennent s’adjoindre les sanctions sportives, ont pour objectif d’isoler et d’affaiblir la Russie, mais surtout d’exaspérer la population russe au point que celle-ci se retourne contre ses dirigeants et in fine, les fasse partir par des manifestations violentes de rue.
« Que pensent-ils du chaos qu’ils y ont laissé en désintégrant l’Etat libyen ? »
Si tel est l’objectif qu’endossent les dirigeants des organisations sportives, on en viendrait à désespérer de ce monde ! Les uns peuvent se permettre des atrocités sans rien craindre, et même se lever pour donner des leçons, et les autres doivent être systématiquement accablés pour avoir fait la même action ! Hier, sans mandat de l’Onu, et après avoir manipulé l’opinion en présentant de fausses preuves, les Etats-Unis ont mis l’Irak à feu et à sang, défait Saddam Hussein qui fut pendu sous le regard du monde entier. Aucune organisation sportive n’a pris de sanctions contre les Etats-Unis, ni n’a interdit les sportifs américains d’activités sportives au plan mondial. Et que dire de l’épopée américaine en Afghanistan, de l’invasion de Panama pour aller « cueillir » un président de la République ?
De quelles sanctions ont-ils écopées ? Qui peut oublier la saga de la France de Sarkozy et de ses alliés de l’Otan, qui ont mis la Libye, pays alors prospère, en lambeaux, exécuté Kadhafi, au nom de la démocratie ? Ont-ils été interpellés et sanctionnés ? Que pensent-ils du chaos qu’ils y ont laissé en désintégrant l’Etat libyen ? Qui peut également oublier ces jeunes ivoiriens, tirés comme des lapins devant l’Hôtel Ivoire par les soldats français, le bombardement de la résidence du chef de l’Etat ivoirien ? Quelle a été la réaction des moralisateurs de ce monde ? A quoi riment ces sanctions à géométrie variable ? Existe-t-il de bons envahisseurs et de mauvais, qu’il faut nécessairement punir ?
Au sortir de la bipolarisation qui a vu se désintégrer l’Union Soviétique, les occidentaux, les Etats-Unis en tête, au sommet de leur gloire et de leur toute puissance, ont pensé que le temps s’était figé et qu’ils allaient impunément régenter le monde au gré de leurs désirs et de leurs intérêts, sans qu’il n’y ait la moindre protestation. L’acte que pose la Russie aujourd’hui, quelque condamnable qu’il soit, est la réponse de cette dernière. La sagesse africaine enseigne que : « quand on danse avec un aveugle, il faut de temps en temps lui marcher sur le pied, pour qu’il sache qu’il n’est pas seul sur la piste de danse ». Mais nous ne sommes pas naïfs. Tous les singes ont la paume noire. Seulement, on abhorre ceux des singes qui demandent à leurs congénères de blanchir la leur ! En attendant, on peut se demander avec l’artiste : est-ce que ce monde est sérieux ? Assurément, l’ivraie sera séparée du vrai.
*NAZAIRE KADIA, ANALYSTE POLITIQUE*