Inauguré par le Président François Hollande le 10 mai 2015 (date officielle de commémoration de l’abolition de l’esclavage depuis 2006), le Mémorial ACTe, communément appelé « le MACTe », est le Centre caribéen d’expressions et de mémoire de la traite et de l’esclavage à l’architecture unique dans les Caraïbes.
Mémorial ACTe : Un édifice technique et stratégique
L’édifice de 240 mètres de long est composé de deux bâtiments formant un gigantesque serpent tapissé de granit noir. Ses façades sont recouvertes d’éclats de quartz noirs, dont la constellation représente les millions d’âmes victimes de la traite négrière et de l’esclavage. Pensé comme un « phare » rayonnant sur la Guadeloupe et les Caraïbes, ce bâtiment long de 240 mètres est la première chose visible par l’homme à l’arrivée en bateau dans la baie de Pointe-à-Pitre.
Les concepteurs du Mémorial ACTe espèrent donc par cet emplacement stratégique, attirer trois cent mille visiteurs par an, dont de nombreux croisiéristes qui feront escale en Guadeloupe. Selon la direction, avant la pandémie de Covid19, le lieu avait accueilli 140 000 personnes, dont 90% de touristes.
Un enjeu pour la mémoire
Lieu symbolique fort, l’enjeu majeur de ce monument est de donner naissance à un espace régional dédié à la mémoire, l’information, la connaissance et à la recherche historique sur la traite négrière et l’esclavage, à destination de la population, des touristes, des étudiants et des chercheurs. Le lieu de construction n’est également pas anodin puisqu’il s’agit du site de l’ancienne usine sucrière Darboussier, où l’on pratiquait encore le travail forcé au XIXe siècle.
Bien que centrée sur l’archipel guadeloupéen et son environnement caribéen, la problématique de la traite négrière et de l’esclavage y est présentée dans son contexte mondial et plurimillénaire en un aller-retour didactique entre l’universel et le particulier.
L’exposition permanente, sous forme d’un parcours didactique, sensitif et immersif est structurée autour d’une quarantaine d’îles ou modules regroupés en six archipels déclinant les temps forts de l’histoire longue de l’Esclavage allant de l’Antiquité à nos jours en passant par l’invention des Amériques, les ségrégations et les colonisations post-abolitionnistes.
Également conçu comme un centre d’expression culturelle et artistique, à travers les expositions et œuvres présentées, ce lieu invite les visiteurs à s’interroger sur les origines de l’esclavage, sur ses rituels, sur les rôles de maîtres et d’esclaves, sur l’héritage laissé par les résistants, mais aussi sur la brutalité des peuples.
2. L’histoire abordée dans sa globalité
Pédagogique et accessible, le Mémorial ACTe offre plusieurs espaces de découvertes : une exposition permanente se développe sur 1700 m²
un espace dédié à la création artistique contemporaine lors d’expositions temporaires
un jardin panoramique, le Morne Mémoire, rappelant la seule distraction offerte parfois le dimanche aux esclaves
Une passerelle monumentale (12 m de hauteur, 275 m de long) relie le Morne Mémoire au reste de la structure.
L’exposition permanente du Mémorial ACTe ne se contente pas d’étudier les mécanismes de la traite négrière, elle met l’accent sur l’histoire des esclaves en proposant de suivre leurs itinéraires depuis l’Afrique.
Pour ne pas exclure de son champ d’étude le rôle de l’Afrique dans l’histoire de la traite transatlantique, l’exposition évoque le rôle des marchands négriers africains, sans qui les Européens n’auraient rien pu faire.
S’inscrivant dans la continuité de l’historiographie des vingt dernières années, le Mémorial ACTe propose de sortir des logiques victimaires, en ne cherchant pas à établir de hiérarchie entre les différentes sociétés esclavagistes.
Pour attirer le grand public, le conseil scientifique et culturel a fait le pari de l’émotion. Le souvenir douloureux de la traite négrière et de l’esclavage est davantage raconté et mis en scène qu’expliqué.
À noter donc que les panneaux explicatifs et pédagogiques sont rares. Pour approfondir, mesurer, peser les mécanismes et les résistances à l’œuvre dans les différentes sociétés esclavagistes, le visiteur devra se reporter aux livres d’histoire disponibles à la médiathèque du Mémorial ACTe.
Enfin, une gigantesque base de données centralisant une quantité d’arbres généalogiques de l’île permet aux descendants d’esclaves de la Guadeloupe de faire des recherches sur leurs ancêtres.
5. Un monument qui suscite des controverses
Résultat de l’immense investissement des différents acteurs politiques, scientifiques et culturels, projet pharaonique est censé participer, aussi, au désenclavement de la Guadeloupe. D’un coût total de 83 millions d’euros, dans cette île en grande difficulté économique et sociale, où le salaire moyen est inférieur à 1.200 euros par mois, ce projet suscite des attentes, des frustrations et des interrogations.
À la création du projet, Mélina Seymour, fondatrice du parti Ambition Guadeloupe, jugeait ce coût exorbitant : « Cette somme aurait dû être investie pour créer des emplois, notamment pour les jeunes Guadeloupéens, dont plus de la moitié sont frappés par le chômage », avance-t-elle.
Un projet qui laissait également perplexe Maryse Condé (journaliste, professeur de littérature et écrivaine guadeloupéenne) : « Bien sûr, si ce Mémorial, au travers des souffrances, érige un récit de la créativité antillaise, je dis oui! Mais attention, le respect des ancêtres ne doit pas l’emporter sur la pauvreté des vivants. »
Victorin Lurel, président du conseil régional en Guadeloupe (au moment de la création) et grand artisan du projet, reconnaissait une part de risque, mais l’assumait. Selon lui, le Mémorial ACTe est appelé à devenir « l’âme de la Guadeloupe », un instrument de réconciliation sociale. Son appropriation par les Guadeloupéens qui ne disposent pas d’espace de création de cette envergure devra permettre d’attirer le plus grand nombre.
La direction du musée indique qu’un travail de fond a été entamé, en collaboration avec un conseil scientifique et la population locale pour permettre aux Guadeloupéens de mieux s’approprier le lieu, à travers les expositions, évènements culturels proposés, ainsi que la scénographie mise en place pour l’exposition principale.
Mais, Le MACTe, ou un musée d’une manière générale, a-t-il pour vocation de transmettre le passé, de réconcilier des groupes socioculturels aux histoires diverses et aux mémoires singulières, sans risquer de devenir une « vitrine », tels que fonctionnaient les « cabinets de curiosité » ?
Où ? Darboussier, 97110 Point-à-Pitre, Guadeloupe
Quand ? Ouvert tous les jours de 9h à 18h, fermé le lundi.