Dans une interview accordée à RFI et France 24, des journalistes demandent au président Alassane Ouattara ce qu’il en est du retour de Soro Guillaume et de Charles Blé Goudé. Et il répond : « qu’ils demandent à la justice ». Le Chef de l’Etat insinue que le retour en CI (Côte d’Ivoire) de ces deux personnalités, ne dépend pas de l’administration Ouattara (pouvoir exécutif) dont il est le chef mais de la justice avec laquelle les deux concernés auraient des affaires. Dans le texte ci-dessous, le juriste ivoirien Arsène Touho démontre que cette réponse ne se justifie ni juridiquement ni politiquement. Décryptage!
Alassane Ouattara, Soro Guillaume, Blé Goudé et la justice ivoirienne : Qui poursuit qui au juste ??? (Par Arsène Touho)
AU PLAN JURIDIQUE
D’abord on ne peut trouver nulle part dans l’arsenal juridique ivoirien un texte qui dit que l’administration peut bloquer la délivrance du passeport d’un citoyen au motif que celui-ci serait poursuivi par la justice. Bien au contraire, quand un citoyen doit répondre de ses actes devant la justice, il a l’obligation de justifier son identité avec les documents officiels d’identification délivrés par l’administration dont fait partie le passeport qui arrive en 2e position après la CNI. Ensuite, je vais livrer ici la liste de certains citoyens ivoiriens, poursuivis et/ou condamnés par la justice ivoirienne au moment où ils étaient en EXIL (notez bien le mot EXIL) et à qui l’administration a délivré un passeport afin de rentrer en CI. Je précise que je ne cite pas ces compatriotes pour inviter insidieusement le pouvoir Ouattara à leur appliquer l’intolérance juridico politique qui est réservée à Blé Goudé mais plutôt pour vous exposer la discrimination qui saute aux yeux quand on refuse à Blé Goudé la tolérance juridico politique qui leur est accordée.
CAS 1
Akossi Bendjo Noël, ex maire du Plateau et cadre du PDCI, condamné par contumace à 20 ans de prison ferme, pour détournement de fonds et usage de faux et de blanchiment de capitaux portant sur la somme de 4 milliards. Il est rentré en CI.
CAS 2
Justin Katina KONÉ
2012: mandat d’arrêt international pour crimes économiques et meurtres. 2018: condamnation à 20 ans de prison et mandat d’arrêt dans l’affaire de la BCEAO. Il est rentré en CI et réintégré dans la fonction publique.
CAS 3
M. Assoa Adou, condamné le 13/07/2017 pour trouble à l’ordre public. Il vit en liberté en CI.
CAS 4
2017: Après plusieurs attaques contre des postes de police et de la gendarmerie, M. Stéphane Kipré, et M. Damana Adia Pickass ont été directement mis en cause. Ils sont rentrés en CI. Concernant le Président Stéphane Kipré, je me souviens que suite aux accusations publiques portées par le Ministre Ahmed Bakayoko à la télé, le journal l’Intelligent d’Abidjan avait publié les propos d’un Pasteur qui disait que Stéphane Kipré lui avait donné de l’argent pour exécuter un coup d’Etat. Quand j’ai été voir Stéphane Kipré pour lui exposer la nécessité de saisir le CNCA d’une requête en protestation, il avait douté de l’indépendance de cet organe et je lui avais indiqué que l’enjeu ce n’était pas d’obtenir forcément une décision favorable mais de faire cohabiter dans le temps cette accusation farfelue et notre protestation. J’ai rédigé la requête, je l’ai envoyé à Abidjan et elle a été déposée au CNCA. Résultat ? Suspension du journal + amende.
CAS 5
18/01/2018: Condamnation par contumace du président Laurent Gbagbo à 20 ans de prison et 329 millards fcfa d’amende dans l’affaire de braquage de la BCEAO. Il est rentré à Abidjan.
CAS 6
M. Aké N’GBO condamné à 20 ans de prison. Il vit en liberté à Abidjan.
CAS 7
M. Désiré DALO condamné à 20 ans de prison, toujours dans l’affaire de braquage de la BCEAO. Il vit en liberté à Abidjan. – Même le Docteur Gervais Boga, acteur de la société civile, exilé politique, avait obtenu ses documents administratifs pour rentrer en CI, avant de découvrir sur place que la justice l’attendait. Dans cette liste, notez avec moi que tous les citoyens ivoiriens qui étaient en EXIL ont effectué des démarches auprès des autorités consulaires de CI (Laurent Gbagbo chez l’ambassadeur de CI en Belgique ; Stéphane Kipré et les exilés du Ghana chez l’ambassadeur de CI au Ghana) et ont obtenu les documents leur permettant de rentrer en CI.
« Blé Goudé a eu la malchance de voir son nom figurer dans une question à côté du nom de Soro Guillaume »
Dès lors, comment le Chef de l’Etat peut-il expliquer que le retour de Blé Goudé qui n’est pas en exil (parce que déposé à la CPI par l’Etat de CI pour être jugé), qui n’a aucune procédure en cours contre lui, relève de la justice et non de l’administration comme les autres ? Pourquoi le président peut-il violer ainsi l’article 22 de la Constitution ivoirienne (« aucun ivoirien ne doit être contraint à l’exil ») alors qu’il déclarait récemment : « nul ne connaît la Constitution ivoirienne mieux que moi » ?
AU PLAN POLITIQUE
Sans doute, Blé Goudé a eu la malchance de voir son nom figurer dans une question à côté du nom de Soro Guillaume. Je le dis parce que le Président Ouattara est assez compétent pour savoir que l’argument des poursuites judiciaires vaut peut être pour Soro Guillaume qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt en cours et non pour Blé Goudé qui est libre. Incontestablement, le refus de donner son passeport à Blé Goudé relève d’une volonté politique qui est perdue au milieu de ses propres calculs politiciens. Hier le Ministre Bacongo expliquait que le gouvernement se donnait le temps de réunir les conditions de retour de Blé Goudé. Avant hier le président Ouattara disait lui même que Blé Goudé et Gbagbo pouvaient rentrer quand ils le voulaient et que l’Etat prendrait en charge leurs frais de voyage ainsi que ceux de leurs proches. Aujourd’hui le Président Ouattara dit que si Blé Goudé veut rentrer, qu’il voit avec la justice.
Question : à quelle moment le président Ouattara a-t-il changé d’avis ? Et pendant ce temps, on met dans le même sac quelqu’un qui refuse de rentrer en CI où la justice l’attend et un autre qui est pressé de rentrer en CI où la justice l’attend. En fait, la situation en CI selon Ouattara est la suivante : la justice ivoirienne poursuit Soro Guillaume qui la fuit et Blé Goudé poursuit la justice ivoirienne qui le fuit. Que le Président Ouattara sache qu’il est devenu un modèle de gouvernance pour nous tous : l’éducation et l’avenir politique de la nouvelle génération qu’il souhaite voir émerger se trouve dans les actes qu’il pose aujourd’hui !!!