Diversement pratiqués partout en Afrique, les jeux d’alliance sont facteurs de rapprochement, d’attente et de paix. Fondés très souvent sur des pactes ancestraux de sang, les jeux d’alliance ne manquent pas d’originalité d’un endroit à un autre. A Blonleu, dans le département de Danané, la partie de divertissement a failli provoquer des affrontements entre autochtones Yacoubas et allogènes de la zone CEDEAO.
Danané: Un jeu d’alliance a failli mettre le feu dans le village de Blonleu
Une banale affaire de chèvre capturée par un jeune allié, originaire du canton Lollé (Zouan-Hounien), a manqué de peu de mettre l’huile sur le feu des relations humaines. Le calme est revenu à Blonleu, village de la sous-préfecture de Zonneu, à 34 km de Danané. Cette localité a connu ces derniers jours de vives tensions entre autochtones et allogènes. Lesdits événements ont débuté dans la mi-journée du vendredi 4 Février pour s’intensifier le lendemain 5 Février. Dépêchés sur les lieux le dimanche 6 février aux environs de 11 heures, nous avons pu recueillir les témoignages des parties prenantes au conflit sur l’origine de la crise, les acteurs et l’issue probable.
« Il n’y a pas eu d’affrontements ici, à Blonleu. La tension était certes vive et de peu nos acquis de Paix et de Cohésion volaient en éclats, mais grâce à la sagesse du patriarche Togbé Gba Etienne, le pire a été évité. Au cœur de la tension, une affaire de chèvre capturée par un jeune étranger, notre allié, venu soigner son enfant. Comme l’exige la tradition, l’allié s’est présenté à nous comme tel. Alors, nous lui avons confié le village qui est sien. Pour sa nourriture, l’allié a capturé une chèvre qu’il a tuée. La bête appartenait à un peul du Mali, le nommé D. Diallo. Les problèmes sont venus de là», a déclaré Deli Ziansieu Nick, chef de village de Blonleu.
La vue du jeune allié présentant des vêtements froissés et déchirés par endroits, a laissé penser qu’il avait été battu par les allogènes. « Faux ! Le jeune homme n’a jamais été battu, rétorque Drissa Diallo, propriétaire de la chèvre enlevée. Nous n’avons fait que le conduire de force chez le chef. Une fois devant le chef, ce dernier a fait la victime, présentant une mine dégueulasse, mimant le mort. Ce n’était que pure comédie ! ». Blimi Michel, président des jeunes, se dit indigné par l’attitude de ceux que leurs parents ont toujours accueillis. « Ils n’ont même pas daigné se plaindre à la notabilité», a-t-il décrié avant d’ajouter : « Ces allogènes n’ont que faire de nos traditions. Pourtant, en leur sein, se trouvent également nos alliés. Les peuls, notamment. Pourquoi se comportent-ils toujours ainsi envers nos alliés des cantons Kalé et Lollé ? », s’interroge-t-il.
« Comment se fait-il qu’un étranger débarque dans un village, y capture des chèvres d’autrui pour sa sauce; et cela, au nom d’une alliance ? »
Au premier jour des heurts, le patriarche TOGBÉ Gba Étienne a invité les uns et les autres à jouer la carte de l’apaisement. Au chef Deli Ziansieu, il fut demandé de soigner l’allié et aux allogènes de rentrer chez eux avec la bête tuée. Et la tension a baissé d’un cran. L’arrivée du sous-préfet de Zonneu, AKE Simon, avec un cargo de l’escadron de la gendarmerie de Danané annihile tout projet d’affrontements intercommunautaires. Ses entretiens avec toutes les couches sociales rassurent plus d’un. Toutefois, le commandant exprime clairement sa méconnaissance desdites pratiques liées au jeu d’alliance entre ses administrés du Canton OUA et ceux du Canton Lollé lointain. A la notabilité, le commandant AKÉ Simon dira que l’acte posé par l’étranger de Zouan-Hounien s’apparente clairement à du vandalisme.
« Comment se fait-il qu’un étranger débarque dans un village, y capture des chèvres d’autrui pour sa sauce et cela au nom d’une alliance ? L’alliance est révolue ! Un tel acte doit être puni par la loi. Et il le sera», dénonce le sous-préfet, fort indigné. Le samedi matin, l’état de santé tel que brandi par la notabilité nécessite de nouveaux soins. La communauté CEDEAO est vite sommée de conduire le jeune allié de Lollé à l’hôpital général de Danané. Cela est fait dare-dare. « Le petit était déjà en route pour la ville quand des jeunes du village se sont laissés gagner par une colère noire. La rumeur de la mort de leur allié s’est vite emparée du village. En moins d’une heure, des groupes de jeunes ont attaqué tous les enclos des allogènes et y ont abattu tous les caprins. Ils sont repartis avec. C’est plus de 140 bêtes que nous avons perdus», a fait savoir D. Diallo, porte-parole des allogènes.
« La solution est toujours négociée pour contenter et l’allié et le propriétaire mécontent »
A la question de savoir pourquoi s’attaquer au bétail, la réponse du jeune G.L est sans équivoque: « A cause d’une chèvre, ils ont mis notre allié dans un mauvais état. Sans élevage, ils feront beaucoup plus attention à notre jeu d’alliance désormais! ». Les autorités coutumières, aidées du détachement de la gendarmerie, parviennent à rétablir l’ordre. La même nuit, un couvre-feu est instauré de 21 heures à l’aube. A Danané, les nouvelles du jeune allié venu de Zouan-Hounien sont plus que rassurantes. Le chef Déli Ziansieu informe la population de sa bonne santé. « Les examens indiquent qu’il n’a rien. Arrêté dès sa sortie de l’hôpital, le député de la même circonscription, KEGBAN Kegban Bernard, fait son effort pour que le jeune allié soit relâché », rassure le chef du village, fort heureux. « Je suis un chef coutumier. A ce titre, il ne m’appartient pas de défaire les liens du sacré. Mais de les protéger», poursuit le chef Deli Ziansieu.
Entre le sous-préfet de Zonneu qui souhaite sévir et punir l’acte de vandalisme des jeunes Yacouba et les notables qui défendent le sacré, via le jeu d’alliances, qui instaurera le climat de paix tant attendu de tous ? Répondant à la question de savoir l’issue d’une telle situation, le chef de tribu, BEH Marcellin est hermétique. « En pareille circonstance, lorsque la bête tuée par l’allié appartient à un étranger dans le village, la solution est toujours négociée pour contenter et l’allié et le propriétaire mécontent. L’administration n’y est jamais invitée ! », a-t-il dit.
Une semaine après les heurts, un calme rassurant se vit à Blonleu. A Danané, le sous-préfet AKE Simon, joint au téléphone, annonce une prochaine consultation populaire afin de quérir une solution définitive à ce type de jeu, susceptible de porter gravement atteinte à la cohésion sociale.
Une Correspondance particulière de Sony WAGONDA