Entre Guillaume Soro et son ex-compagnon de lutte Sekongo Félicien, la rupture est définitive depuis quelques mois. Dans l’interview ci-dessous, l’ ex-prisonnier d’opinion, libéré en juin dernier après 18 mois de détention, nous livre les raisons de son divorce avec son ex-mentor. Le président du Mouvement pour la promotion des valeurs nouvelles en Côte d’Ivoire (MVCI), a également saisi l’occasion pour demander pardon au président Alassane Ouattara.
Sekongo Félicien: « Même malade, à l’exception d’Alain Lobognon, de docteur Touré et de madame Kando, je n’ai vu personne d’autre de GPS »
Votre leader Guillaume Soro est en exil. Vous-mêmes sortez de prison. Certains de vos compagnons trouvent que le pouvoir d’Abidjan est ingrat. Regrettez-vous de vous être battu pour l’arrivée de Monsieur Ouattara au pouvoir ?
Moi, je suis dans une posture toute autre. Tout combat auquel je participe est fondé sur une vision, un idéal. Aux Forces nouvelles, c’était l’idéal de démocratie, de cohésion sociale et de la construction d’un État-nation. Sur cette base, je ne peux affirmer que je me suis battu pour une reconnaissance personnelle quelconque.
Sur plusieurs médias et les réseaux sociaux, Guillaume Soro ne manque pas d’affirmer qu’il s’est battu pour qu’Alassane Ouattara vienne au pouvoir…
J’ai du mal à croire qu’il ait pu dire cela. Parce qu’au fondement de la légitimité du combattant des forces nouvelles comme dit plus haut, il était question de démocratie, de cohésion sociale et de vivre ensemble. À partir de cela, affirmer que l’on a mené bataille pour l’avènement d’une personne au pouvoir n’est ni plus, ni moins qu’une tentative de dénaturation de la lutte des Forces nouvelles. S’il l’a effectivement dit, je trouve que c’est un abus de langage.
Est-ce parce qu’aujourd’hui, Guillaume Soro est en exil ou bien dans le creux de la vague, que vous dites que l’objectif n’était pas de mettre Alassane Ouattara au pouvoir ?
Je ne crois pas. Il suffit de visiter les différentes déclarations des Forces nouvelles depuis le déclenchement de la rébellion en septembre 2002 pour reconnaitre que les motifs se trouvent être concentrés dans mes propos tenus plus haut.
Pour vous donc, beaucoup n’avaient pas bien compris le sens du combat? Est-ce cela qui vous a amèné à créer MVCI (Mouvement pour la promotion des valeurs nouvelles en Côte d’Ivoire) qui est aujourd’hui un parti politique ?
Le MVCI est né d’abord comme organisation de la société civile avec pour objet de promouvoir et de défendre les minorités, participer à rééduquer le peuple ivoirien pour le débarrasser des habitudes acquises de la crise que le pays a connue. Nous avons pensé qu’il était important de réapprendre aux Ivoiriens à vivre ensemble en harmonie. Il était donc question d’estomper les séquelles de la décennie de guerre.
Et parmi ses valeurs, n’y a-t-il pas la reconnaissance ?
Qu’est-ce que la reconnaissance en politique ? Je veux bien qu’on la définisse. Parmi les valeurs que nous défendons, se trouvent la démocratie la liberté, la justice, l’égalité, la cohésion, la fraternité, etc. Quant à la reconnaissance, je veux bien savoir ; il s’agit de la reconnaissance de qui envers qui ?
« Il n’y a plus de rapports entre Guillaume Soro et moi »
La reconnaissance de votre combat qui a amené le RDR (Rassemblement des républicains) au pouvoir…
À ce niveau, il faut dire les choses clairement. Les Ivoiriens ont manifesté leur reconnaissance vis-à-vis des Forces nouvelles. Vous êtes contemporains. Vous avez pu observer que les Forces nouvelles ont été applaudies, adulées et félicitées. Le régime qui s’est installé en 2011 a nommé des responsables des FN dans les plus hautes instances. Les militaires ont été promus et responsabilisés. À partir de ces éléments factuels, où peut-on trouver le délit de non-reconnaissance. Très honnêtement, ce débat sur la reconnaissance est sans fondement réellement.
Pourtant, vous étiez avec Guillaume Soro et beaucoup dans son entourage disaient cela ….
Ceux qui m’ont pratiqué savent que je n’ai jamais été dans cette logique qui me parait dégradante. On ne peut pas réclamer la chambre principale à quelqu’un parce qu’on l’a aidé à construire sa maison. J’aurais voulu que les désaccords soient idéologiques
Aujourd’hui, concrètement, après un an et un peu plus de six mois en prison pour la cause de Guillaume Soro, quel est l’état de vos rapports ?
Il n’y a plus de rapports entre Guillaume Soro et moi. Les rapports n’existent plus
Pas même par téléphone. Il ne vous a pas appelé depuis votre sortie de prison en juin 2021 ?
Non
Comment vous expliquez cela ?
Nous sommes des adultes et avons la liberté de tisser les relations ou de les défaire. Et donc, j’estime que c’est un choix qu’il a opéré. Je le respecte. Et mieux, je ne m’en plains guère.
Pourquoi vous ne faites pas le premier pas ?
Je n’ai pas été à la base de la rupture.
Comment est-elle intervenue ?
Je crois qu’il y a eu un désaccord politique lié au refus du MVCI de fusionner avec GPS. Personnellement, j’ai pris acte de la décision de mon parti. Cette décision m’a conforté parce qu’à un moment donné, j’ai désapprouvé l’orientation politique de GPS.
Quelle orientation politique ?
J’ai vu GPS s’échiner à tisser une alliance contre-productive. J’ai vu des camarades s’humilier pour séduire des farouches adversaires politiques d’hier qui, chaque jour, démontraient qu’ils ne pouvaient accepter de s’accommoder d’eux. En outre, après plus d’un an d’existence, GPS ne proposait aucun système social. Je découvre des camarades avec pour unique arme argumentaire l’insolence, les injures. Des camarades en train de remettre sur la table des questions de la nationalité du président de la République. Je suis de ceux qui pensent qu’on peut avoir des oppositions politiques, mais que les liens fraternels ne devaient pas en pâtir.
« J’ai fauté par procuration »
Malgré tout, vous étiez en décembre 2019, à l’accueil de Guillaume Soro où vous avez été arrêté…
En ce moment-là, même s’il y avait quelques écueils dans nos rapports, nous n’étions pas encore en situation de rupture. Je précise, pour autant, que j’étais opposé à un accueil triomphal. J’avais estimé qu’il fallait attendre l’instant d’un meeting pour démontrer l’attachement de nombre d’Ivoiriens à nos idéaux. J’ai été incompris comme d’habitude. Le résultat est là. Aujourd’hui encore, je pense être incompris. Mais, j’espère que la situation va évoluer.
Selon des sources, Guillaume Soro vous a fait couper les vivres en prison…
Oui. Quand nous étions en prison, tous les prisonniers bénéficiaient d’un appui de sa part de façon mensuelle. À un moment donné, effectivement, je n’en recevais plus. Après que le MVCI a refusé de se fondre dans GPS. Mais, bon, je n’en fais pas un problème. J’ai juste pris acte.
Si on vous demandait de choisir aujourd’hui entre Alassane Ouattara et Guillaume Soro…
Il ne s’agit pas d’une question de personne. Mais plutôt de système social et d’offre politique. Vous demandez de choisir entre l’existant et le non inexistant. Entre l’inconnu et le connu. Raisonnablement, je préfère le connu.
Le connu serait Alassane Ouattara ?
Dites-moi si vous avez déjà vu ou lu l’offre de Guillaume Soro. Feu mon père était un cultivateur. Il nous a nourris avec la force de ses muscles, avec la daba. Aujourd’hui, grâce à Dieu je suis fonctionnaire. J’ai les aptitudes acquises de mes origines. La faim ou la recherche de l’opulence ne peuvent aucunement guider mes pensées. Cependant, vous devez le savoir, pour les hommes de gauche, au centre de la politique se trouve l’humain ; on parle d’humanisme.
Alassane Ouattara serait donc plus humain que Guillaume Soro?
Je vous laisse tirer les conclusions vous-même. Pour un désaccord politique, l’on a voulu que je meurs de faim en prison. Même malade, à l’exception d’Alain Lobognon, de docteur Touré et de madame Kando, je n’ai vu personne d’autre de GPS. Pourtant, j’ai été soigné par la présidence de la République. Des personnes comme Amadou Coulibaly, actuel ministre de la communication, sont passés me voir au nom de notre amitié. Que dire de ce que le collectif des avocats qui nous défendait avait décidé de ne pas me défendre sur ordre, cela s’entend.
À vous écouter, vous estimez que le président Alassane Ouattara a été plus humain. Pensez-vous avoir fauté à son encontre ? Et êtes-vous prêt à lui demander pardon ?
Oui. J’ai fauté par procuration.