Mohamed MBougar Sarr, jeune écrivain sénégalais et finaliste favori du Prix Goncourt 2021, croise les lettres avec Angot, Chalandon et Dalembert. La récompense sera remise ce mercredi.
Prix Ahmadou Kourouma: Mohamed Mbougar Sarr à l’assaut du Goncourt 2021
A seulement 31 ans, Mohamed MBougar Sarr qui a, à son actif, cinq romans et plusieurs nominations à des prix prestigieux, signe une ode merveilleuse au pouvoir des mots, doublée d’une critique acerbe du colonialisme, fasciné par les écrivains maudits.
Son quatrième roman, La plus secrète mémoire des hommes, s’inspire du destin d’un d’entre eux, le Malien Yambo Oulologuem, récompensé par le Prix Renaudot en 1968 avant d’être accusé de plagiat et de tomber dans l’oubli.
De la réalité à la fiction, ce Sénégalais de 31 ans a imaginé Diegane Latyr Faye, un alter ego littéraire qui enquête sur le mystérieux T.C. Elimane, auteur d’un livre qui fit scandale dans la France d’avant-guerre avant de disparaître dans la nature à l’aube de la Seconde Guerre mondiale.
Ce vrai-faux thriller à la fois érudit, drôle, sensuel et engagé, embarque le lecteur de Paris à Amsterdam, de Dakar à Buenos Aires en épousant le point de vue de ses différents protagonistes dans une langue riche, parfois ardue mais toujours captivante. Sur la liste de tous les prix ou presque depuis la rentrée, il n’en a remporté aucun avant la remise du prix Goncourt ce mercredi.
S’il venait à l’emporter face à Christine Angot (Le voyage à l’Est), Louis-Philippe Dalambert (Milwaukee Blues) et Sorj Chalendon (Enfant de salaud), ce serait la consécration d’un prodige dont le parcours ne manquera pas d’être commenté.
Fils de médecin, qui est cet ancien écolier du Lycée militaire de Saint-Louis
Fils de médecin, né à Dakar en 1990, Mohamed Bougar Sarr est l’aîné de sept garçons. Après avoir intégré le lycée militaire de Saint-Louis, qui forme les hauts gradés de l’armée sénégalaise, il obtient en 2009 le titre de meilleur élève des classes de Terminale au Concours général. En France, il suite une prépa littéraire à Compiègne puis effectue un Master en « Arts et Langages » à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales avant de se consacrer pour de bon à l’écriture.
L’amour du récit, de raconter une histoire, il le tire des personnages féminins qui l’entourent durant. enfance.
»J’ai aussi grandi avec beaucoup de femmes autour de moi qui ont assuré une grande partie de mon éducation, et singulièrement de mon éducation littéraire. Ce que je veux dire par là, c’est que les premiers récits que j’ai entendus m’étaient souvent fait par des femmes, ma mère, mes grand-mères, mes cousines, mes tantes, etc. », confie le romancier à TV5monde.
Pour le jeune homme, les prix et autres distinctions ne sont pas une priorité. En dépit de toutes ces nominations dont il a bénéficié dans sa jeune et déjà prolifique carrière, il préfère prendre un certain recul par rapport à l’enthousiasme qu’il suscite.
« Ces histoires de prix, j’ai toujours regardé ça d’un peu loin, tout en m’y intéressant. Je ne savais pas comment ça fonctionnait. Evidemment, ça m’a réjoui, j’ai été très honoré, très touché, mais je comprends que ce ne sont que des premières listes », affirme t-il à l’AFP lors d’une rencontre lors du festival Le Livre sur la place à Nancy.
Terre Ceinte, son premier roman paru en 2015, raconte l’histoire de deux jeunes amants exécutés par la police islamique dans un village imaginaire du Sahel. Suivent Silence du chœur, qui dresse le portrait du quotidien de migrants africains en Sicile, puis De purs hommes, une enquête fictive sur la mort d’un homosexuel à Dakar qui dynamite l’intolérance de la société sénégalaise. Sorti à la fin de l’été, La plus secrète mémoire des hommes est son roman le plus ample, sinon le plus ambitieux à ce jour.
Sous ses faux airs de jeu de piste historique, c’est une ode réjouissante au pouvoir de mots – gardez un dictionnaire à portée de main pendant la lecture – doublée d’une charge acerbe contre le colonialisme et les préjugés raciaux qui perdurent dans la société française. Comme T.C. Elimane, son auteur imaginaire, fou de rage d’être « mal lu » par la critique qui le qualifie de « Rimbaud nègre », Mohamed MBougar Sarr dénonce à l’avance le portrait que les médias pourraient être tenté de faire lui en le réduisant au fait qu’il serait seulement le quatrième « Goncourt noir » depuis René Maran il y a 100 ans tout juste.
« Victor Hugo, Michel Houellebecq et Christine Angot sont tout aussi francophones que moi », explique-t-il dans une interview accordée au Journal du Dimanche. « Toutes les caricatures qu’on est tenté de faire parce qu’on est du centre ou de la périphérie de tel ou tel endroit du monde n’ont aucune pertinence face à la patrie que forment les livres. On peut tout trahir, fuir toutes les nations pour aller dans ce pays-là : il ne nous expulsera jamais. »
Mercredi sera proclamé à 12h45 le prix Goncourt 2021, après une année marquée par une visioconférence et le triomphe de «L’Anomalie» d’Hervé Le Tellier.