Son nom est indissociable des promoteurs de la presse privée en Côte d’Ivoire. A 50 ans révolus, Alafé Wakili peut se targuer d’avoir une carrière déjà bien remplie. Et c’est de bonne guerre pour cet ex-étudiant en philosophie, aujourd’hui à la tête du groupe de presse L’intelligent d’Abidjan.
Alafé Wakili: Sa décisive rencontre avec Yao Noël
L’histoire d’Alafé Wakili est toute aussi singulière que la création du journal L’intelligent d’Abidjan qu’il dirige depuis bientôt deux décennies. Alors jeune étudiant en Philosophie, Charles Kouassi, de son nom actuel et dernier d’emprunt, décide d’embrasser le métier de journaliste. À cette époque, l’homme n’a que 24 ans et rêve déjà de devenir ‘’l’un des plus jeunes rédacteurs en chef de Côte d’Ivoire’’, après la génération Fologo.
Le président fondateur de l’UNJCI (Union Nationale des jeunes Journalistes de Côte d’Ivoire) lui permet d’écrire ses premiers papiers. « J’ai fait des études de philosophie, mais très tôt, j’ai voulu être journaliste, faire du journalisme. J’ai donc arrêté mes études de philosophie (…) Je cite souvent le président des Etats-Unis, Thomas Jefferson : ‘’ Notre liberté dépend de la liberté de la presse et elle ne saurait être limitée sans être perdue.‘’ Le journalisme, dans mon esprit, permettait une action immédiate, le journaliste étant un militant du quotidien à proximité avec la vie réelle. Je fais le lien entre trois activités qui sont essentielles pour moi : la philosophie, la littérature et le journalisme», explique-t-il.
Après avoir forgé ses ‘’armes’’ de journaliste au Réveil Hebdo de Yao Noël et au National de feu Tapé Koulou Laurent, l’heure arrive enfin pour Alafé Wakili de voler de ses propres ailes. En 2003, alors que la Côte d’Ivoire vit une crise militaro-politique sans précédent qui a conduit à la partition du pays entre zones gouvernementale et rebelle, le natif d’Agboville (à 76 Km au nord d’Abidjan) lance son propre journal qu’il baptise L’intelligent d’Abidjan. Dans un contexte où la plupart des médias ivoiriens sont adossés à des partis politiques (Le Nouveau Réveil – PDCI ou Le Patriote – RDR), ou dans un moindre cas, à des opérateurs économiques stables et bien structurés comme le groupe Olympe (Soir Info et l’inter), personne ne vend chère sa peau.
«Je suis particulièrement fier d’avoir créé L’Intelligent d’Abidjan »
Pourtant, Alafé Wakili est décidé à donner une nouvelle orientation à la pratique du journalisme dans une Côte d’Ivoire divisée entre Pro-Bédié, pro-Ouattara et pro-Gbagbo. « Dans une période difficile, après les violents soubresauts de 2002 et de la partition du pays, au moment de la création de mon journal en 2003, j’ai voulu réinventer un journalisme de l’intelligence, d’où le nom du journal, refusant tout sectarisme et esprit partisan. Je suis particulièrement fier d’avoir créé L’Intelligent d’Abidjan. On prédisait que je ne tiendrais pas 6 mois. Près de 20 après, L’Intelligent d’Abidjan est toujours là et son image correspond à ce que je voulais qu’elle soit. Dans deux ans, nous aurons deux décennies, et nous comptons marquer cela par la grâce de Dieu», se réjouit-il.
2021-2003, 18 ans que résiste sur le marché, L’Intelligent d’Abidjan. Le calice? Alafé Wakili en a bu jusqu’à la lie. En 2009, il est arrêté et conduit manu militari à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA) où il y passe 45 jours, officiellement pour fraude sur la nationalité ivoirienne. 12 ans après ce triste épisode de sa carrière, le Directeur général de L’intelligent d’Abidjan reconnaît que la montée de l’«ivoirité » a, à un moment donné, joué contre lui parce que n’a jamais voulu endosser les habits de l’activiste partisan, politicien et carriériste. Il était donc, selon lui, la cible de tous les clans, chez Bédié, Gbagbo et Ouattara. Une position jugée inconfortable, résultat de son refus de faire une allégeance absolue à des pouvoirs politiques, malgré des amitiés avec des acteurs politiques et étatiques.
« J’ai (…) essayé, à travers les Unes et les articles du journal, de rester politiquement neutre et professionnel, et d’agir dans l’intérêt des populations et de la paix. Le soir du 4 décembre 2010, au moment où Gbagbo d’un côté et Ouattara de l’autre revendiquaient la victoire, la Une de L’Intelligent d’Abidjan suffit pour inscrire mon journal, par les extrémistes des deux camps, parmi les journaux indésirables. Au bout de toutes ces péripéties faites d’angoisse et de peur, j’ai gagné une forme de respectabilité car je n’ai jamais entravé la liberté de la presse ni empêché un concurrent de travailler », dit-il la main sur le coeur.
Puis il renchérit: « Dans mon esprit, la pluralité de la presse est une nécessité dans une démocratie, y compris lorsqu’il s’agit d’une presse partisane, lorsqu’elle accepte de rester dans un cadre démocratique. Rien n’est plus dangereux pour les libertés démocratiques qu’une presse partisane idéologiquement asservie à un camp. L’Histoire est toujours écrite par les historiens, jamais par les politiciens, ni par les journalistes inféodés à un pouvoir », déclare l’ancien étudiant en Philosophie dont un prix spécial (Prix Alafé Wakili) a été créé au Lycée de Garçons de Bingerville pour récompenser les meilleurs élèves en philosophie de l’année scolaire.
De la presse à la littérature, il n’y a qu’un seul pas…
Auréolé de plusieurs distinctions dont le Prix Panafricain ICS du Meilleur Patron de la Presse Privée écrite de l’Afrique de l’ouest 2007-2008 et le Prix du meilleur Promoteur de la presse privée en Cote d’Ivoire, Alafé Wakili a lancé, depuis février 2021, la web Tv de L’intelligent d’Abidjan. Son ambition : faire de L’intelligent Tv, une vraie chaîne de télé, une télévision qui tourne 24/24 mais qui ne diffuse que sur le net. Mieux, il s’agit, pour lui, de renforcer l’inter action entre l’écrit, l’internet, le papier et l’audiovisuel; consolider cette inter-dépendance. Pour ce faire, l’homme marié à l’animatrice télé Tata Nahomi (Nahomi Alafé) depuis octobre 2010, espère trouver des partenaires pour investir encore plus dans son groupe et impacter davantage l’environnement de la presse mais aussi gagner plus de ressources.
« J’avance avec le bouche à oreille, par la présence sur le terrain en m’équipant petit à petit, tout doucement. Je découvre quelque chose de nouveau. L’information dans une autre dimension. L’audiovisuelle en synergie avec l’écrit et le texte sur papier et sur le site internet classique. Il s’agit d’aller au-delà de la vidéo simple, du multimédia simple, d’une simple télé YouTube, ou des directs d’amateurs sur Facebook et les autres réseaux sociaux », dit-il.
Journaliste pluridimensionnel, patron de presse, Alafé Wakili, appelé « Barbouze » par les intimes, pour être reconnu comme un homme de réseaux, est aussi auteur de trois ouvrages littéraires, à savoir « INSTANTS DE VIE », SOCEF Editions, 2009; « NOTRE HISTOIRE AVEC LAURENT GBAGBO, L’Harmattan, 2013; et CHAMPIONNE L’ENJAILLEUSE », Éditions Maïeutiques, 2016.