L’ex-Premier ministre et vice-président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Charles Konan Banny, est sorti de son silence. Dans une déclaration sur la réconciliation nationale en Côte d’Ivoire, l’ancien président de la CDVR (Commission dialogue, vérité, réconciliation), se prononce sur les discours de Bédié, de Gbagbo et d’Adama Bictogo, qui cristallisent l’actualité socio-politique nationale ces derniers jours. Ci-dessous, l’intégralité de la déclaration de Charles Konan Banny.
Charles Konan Banny: « Gardons-nous de considérer la réconciliation comme un outil politicien et opportuniste »
La fin de la semaine dernière a été marquée par plusieurs événements politiques dont les Ivoiriens pouvaient s’attendre à ce qu’ils contribuent à faire avancer le vivre ensemble, la cohésion sociale via la réconciliation nationale.
A cet effet, pour ma part, je voudrais retenir trois discours :
Le premier adressé aux Ivoiriens par Henri Konan Bédié, ancien Président de la République de Côte d’Ivoire, Président du PDCI-RDA à l’occasion de la visite à lui rendue par Laurent Gbagbo, dans son village à Daoukro ; le second discours prononcé par Koudou Laurent Gbagbo, ancien Président de la République, fraîchement sorti de dix années d’éloignement de son pays, parce que emprisonné par la CPI à la prison de Scheveningen (à la Haye –Hollande) en réponse à Henri Konan Bédié ; le troisième discours c’est la conférence de presse prononcée par Adama Bictogo, Vice-président de l’Assemblée nationale et premier responsable du parti au pouvoir dénommé RHDP, en réponse aux deux premiers propos que je viens de citer.
Je retiens du discours de Bédié à Daoukro qu’il nous propose qu’un dialogue national inclusif ait lieu dans notre pays qui nous permettrait, pense-t-il, de sortir de la crise dans laquelle nous nous sommes enfoncés depuis fort et trop longtemps à mon goût. Une telle proposition me paraît raisonnable, réaliste et sage. Dès lors que ce dialogue convoque les ressorts de notre société et que, comme l’a souvent dit le Père fondateur Félix Houphouët-Boigny, le dialogue est l’arme des forts.
Quant à Laurent Gbagbo, il se pose la question légitime de savoir pour quelle raison donc a-t-il dû passer tant d’années en prison puisqu’il a été acquitté par la Cour de Justice internationale. Il poursuit en nous appelant à nous dire toutes les vérités parce que la vérité soigne et guérit. Implicitement et logiquement cela signifie que s’il est déclaré non coupable par la Cour de justice internationale, cette même Cour devrait continuer à rechercher les responsables dans cette crise qui a fait tant de malheureux et a fracturé notre pays.
Oui jeune frère tu as entièrement raison, mais…
Quant à Adama Bictogo, Vice-président de l’Assemblée nationale et premier responsable du Parti au pouvoir dénommé RHDP, je dois dire que sa déclaration m’a étonné. L’objectivité m’amène cependant à lui faire crédit lorsqu’il dit que la réconciliation nationale ne doit pas se limiter aux conversations entre 3 responsables malgré tout le respect qu’on leur doit, Bédié, Ouattara et Gbagbo. Oui jeune frère tu as entièrement raison.
Mais là où le bât blesse dans tes propos c’est que tu refuses de façon catégorique et péremptoire tout dialogue, en d’autres termes tu fermes toute possibilité à nos concitoyens et à nous tous de nous parler pour se dire les vérités, toutes les vérités alors que comme le même Laurent Gbagbo le dit ”la vérité soigne et guérit”.
En effet, nous ne pourrions sortir de cette longue crise et ne pouvons prétendre sérieusement aller à la réconciliation nationale pour une cohésion sociale sans catharsis, nous devrons éviter la simple cautérisation. C’est là le fil rouge et la philosophie qui a guidé la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation pendant trois ans. Cette Commission a travaillé pour savoir que s’est-il passé en Côte d’Ivoire, comment avons-nous pu rompre le consensus houphouétien, comment avons-nous pu abandonner le dialogue, l’arme des forts, qui enrichit pour prendre les armes à feu qui tuent, les armes verbales qui blessent, qui a fait quoi et pourquoi ?
Une fois ce diagnostic établi, nous devrons emprunter la voie de la justice du pardon qui n’est pas synonyme de l’oubli. En effet, ce qui s’est passé fera désormais partie de notre histoire commune et de notre récit national. On n’oublie pas mais on pardonne. Le pardon est une force, la capacité de se dépasser. Pour y arriver, chacun est appelé à reconnaître ce qu’il a fait et qui a participé à créer et alimenter la longue crise que nous traversons.
Chacun est appelé au dépassement, à l’humilité pour se repentir et reconnaître ses erreurs ou ses fautes. En contrepartie la Nation s’est disposée à accorder le pardon qui nous fait avancer. Dès lors que nous prendrons l’engagement de dire :
PLUS JAMAIS CELA DANS NOTRE PAYS
C’est le sens profond des recommandations finales qu’a faites au Chef de l’Etat et au Gouvernement la CDVR. Dans l’intervalle, la Commission a suggéré également un comportement fait de tolérance et d’acceptation des différences. En ce qui concerne les Autorités qui nous gouvernent, la Commission leur a recommandé de poser des actes et de prendre des décisions qui apaisent et ramènent la confiance perdue.
J’ajoute au final que nous avons tenu à ce que notre modèle soit un modèle inculturé à savoir qu’il prenne en compte nos valeurs philosophiques et culturelles par exemple que la terre souillée par le sang de ses enfants soit purifiée, que le ciel époux de la terre où réside notre Père éternel reçoive notre repentance et notre pardon.
Je souhaite une bonne fois pour toutes que les Ivoiriens dans leur entièreté comprennent et s’engagent dans cette voie. Tout autre voie en dehors de ce que nous venons de résumer ne nous permettra pas de retrouver le vivre ensemble, la cohésion nationale tant recherchés par nos compatriotes.
Au total, gardons-nous de considérer la réconciliation comme un outil politicien et opportuniste. C’est un impératif catégorique national à inscrire désormais dans le temps long alimenté par les politiques et les comportements adéquats.
Charles Konan Banny