Depuis quelques semaines, la Côte d’Ivoire découvre avec effroi que l’électricité est désormais un luxe. Dans le texte ci-dessous, Ahipeaud Martial Joseph, Enseignant-Chercheur à l’Université de Bouaké et PCA de l’ONG Un Arbre=Une Vie, fait un diagnostic de la situation énergétique de la Côte d’Ivoire depuis les indépendances à nos jours. Il dévoile les vraies raisons de la crise d’électricité et propose des solutions pour y remédier.
Délestages, l’économie de plantation et l’urgence du changement de paradigme en Côte d’Ivoire! (Par Ahipeaud Martial Joseph)
Depuis quelques semaines, la Côte d’Ivoire découvre avec effroi que l’électricité est désormais un luxe. Le rationnement de la consommation, se faisant par intermittence, impacte l’ensemble de la société et devient, du coup, un enjeu politique que les » apprentis-sorciers », pour dire les hommes politiques et autres influenceurs de réseaux sociaux, y trouvent matière à, une fois encore, distraire les ivoiriens pour les tromper comme c’est le cas depuis belle lurette. Car, si pour certains il faut en effet implorer les Dieux de la pluie pour nous sauver de cette mauvaise passe, pour d’autres, il faut piquer dans la plaie béante des tenants actuels du pouvoir pour démontrer leur incapacité à gouverner! Sacrés politiciens ivoiriens !
Malheureusement pour eux, ceux de ma génération reconnaissent ici le paradigme que nous avons vu se dérouler, s’enrailler pour se discréditer. On ne va pas être «Gaou » en aller-retour et devenir des « Gnonmi avec lait » tout de même! L’Apôtre Paul dirait « Tous ayant péchés » et je complète, car tous ayant eu le gouvernail, tous devraient au moins reconnaitre, en ces délestages, l’échec de leur vision et stratégies en lieu et place de faire porter le chapeau aux uns et se dédouaner sans gêne ! Du point de vue éthique, cela serait plus juste puisque cela rendrait force au vécu de ces dernières trois décennies. Et cela, pour une toute raison que je voudrais clairement souligner comme la cause objective des délestages.
En effet, les gouvernants ne peuvent et ne veulent aucunement nous dire que la cause des délestages est le Cacao et le Café et leur impact sur la forêt parce qu’ils se nourrissent de la manne de l’économie de plantation et qu’ils n’ont, à ce jour, pas donner des pistes pour un changement de paradigme en la matière. Ainsi, très rapidement, il est dit que la « faute revient au manque de pluie ». Mais personne ne veut expliquer pourquoi ? La vérité est cruelle et simple: commencée en 1920, l’économie de plantation est à sa fin, détruisant entièrement le couvert végétal de notre pays. A la vérité, notre pays fait face à une crise de la déforestation.
Ahipeaud Martial: « La Côte d’Ivoire se tire elle-même dans les pieds »
Nous sommes passés ainsi de 16 millions d’hectares de forêts en 1960 à moins de 1.5 millions en 2015. En même temps, le recensement général de la population de 2014, donne 51% de citadins contre 49% pour les ruraux, dénonçant ainsi une urbanisation horizontale galopante. Celle-ci contre les forêts. Les effets de la destruction de la forêt sur la pluviométrie sont attestés désormais par les spécialistes qui nous annoncent une baisse tendancielle en dessous des 1500mm de pluie par an, seuil stratégique en dessous duquel l’économie de plantation telle que pratiquée dans notre pays depuis 1920 est en danger.
D’ailleurs, avec une production annuelle qui dépasse les 2 millions de tonnes de cacao, la Côte d’Ivoire se tire elle-même dans les pieds puisqu’elle n’a pas encore d’offre de transformation industrielle de ce produit, faisant ainsi craindre une surproduction, donc, une pression vers le bas des prix sur le marché. A qui dira-t-on merci ? Aux mêmes élites dirigeantes qui refusent de reconnaitre l’urgence de la situation de notre économie et optent, depuis 1990, pour la stratégie de la belligérance permanente, leur meilleure tactique du maintien du statu quo politique, donc social et économique.
En somme, le délestage a une dimension structurelle liée au type de développement que nous avons choisi mais qui, désormais, est une menace stratégique pour l’existence, sinon, la survie même de ce pays. Si rien n’est fait pour rattraper ce qui a été détruit ces 60 dernières années, d’ici 2030-2040, ce ne seront plus les délestages mais aussi, les effets collatéraux de l’effondrement de notre économie, notamment, le dynamitage de notre propre existence. Alors, nous voilà à la lancinante question du QUE FAIRE? Trois solutions possibles se présentent au pays.
Les solutions d’ Ahipeaud Martial contre les délestages
La première est de décréter la reconquête de notre forêt comme question de sécurité nationale et d’amplifier les divers programmes de reforestation. Notre initiative, L’ONG Un Arbre= Une Vie, entend justement amplifier d’une part la communication sur cette situation pour conduire à une prise de conscience des dirigeants et de la population pour que nous puissions planter 20 millions d’hectares sur les trente prochaines années. C’est une question de sécurité nationale ! Notre ONG a aussi un projet de reboisement combiné à deux autres projets. Le premier est créer « DES ILOTS VERTS DANS LES VILLES » en impliquant la jeunesse et leurs parents en ville pour suppléer à la destruction de la forêt par les villes.
Le deuxième est tout aussi spécial puisqu’il s’agit, par le biais de notre spécialiste en la matière, de créer un Laboratorium dans chaque région. Ce jardin botanique de la région devrait avoir toutes les essences présentes dans la région pour les préserver. Toutes ces initiatives individuelles ou étatiques, alliées à celles de la lutte contre le réchauffement de la planète, ne peuvent avoir d’impact que si et seulement si la classe politique ivoirienne n’entraîne pas le pays dans la violence politique pour la prise et le maintien au pouvoir. La réconciliation nationale autour de la démocratie et de l’état de droit, est donc une exigence structurelle non négociable et non pas un arrangement pour le bien-être de quelques individus ou de leurs clans.
La deuxième solution est donc l’anticipation sur la fin de l’économie de plantation. Si l’avenir de notre pays ne sera plus désormais le cacao ou le café, ainsi que toutes les formes de plantation, quelle économie devrions-nous repenser ? Les propositions faites pour le secteur de l’électricité par certains groupes politiques, notamment la mise en place de projet pour un nucléaire ouest-africain, méritent des interrogations plurielles, pour ne pas dire simplement que ce sont des effets d’annonce. Car le caractère extrêmement sérieux de la situation nationale nous impose au minima, un changement de paradigme pour que les solutions ne tiennent pas compte des jeux politiciens mais soient fonction des besoins et des capacités réelles de notre pays.
« Ce n’est pas le spectacle de cette veuve capable de « travailler » sur un autre artiste, en millions »
Qui ne se rappelle pas que la privatisation de L’EECI, notre fleuron national, fut pour ne plus que les délestages que nous avions vécus dans les années 80, n’arrivent plus. 30 années plus tard, les choses se sont empirées. Voilà la réalité. Est-ce alors l’échec des privatisations qui, en dernière analyse, n’ont créé que des bénéfices pour les actionnaires des multinationales et une caste d’élites dirigeantes parasitaires et génétiquement corrompues. La dynamique économique internationale depuis 2008 atteste clairement qu’en cas d’urgence nationale ou internationale, seul l’état, puissance publique, reste une alternative crédible et rassurante. La crise du Covid-19 nous confirme cette tendance lourde de l’évolution de l’économie mondiale.
En d’autres termes, il ne faut rien écarter dans les solutions économiques à apporter à notre pays. Cela ne se fera pas par un état autoritariste, anti-démocratique, mais bien par un système politique et social participatif, démocratique et apaisé. Et c’est à ce niveau que nous avons la troisième solution qui est le rattrapage éthique et moral dont nous avons réellement besoin. Car, dans un pays où les infirmières peuvent assister les mères en couche pour les conduire à la mort au lieu de leur donner la possibilité de donner la vie, il y a de quoi vraiment mener notre introspection pour trouver des solutions idoines.
Quand toute une société s’oriente vers la course vers le Dieu argent et que la corruption devient la marque déposée de toute une société, alors pourquoi peut-on s’étonner de l’état de délabrement des infrastructures. Le seul perdant, dans ce « coupé-décalé » national, reste le pays, donc tous autant que nous sommes. Et ce n’est pas le spectacle de cette veuve capable de « travailler » sur un autre artiste, en millions de nos francs, sans que personne ne sache quelle est sa source de revenue, qui nous apaisera. Au finish, ivoiriens étant ivoiriens, ils s’habitueront au délestage et attendront, hélas, que le ciel nous tombe sur la tête. Mais, au moins, personne en dira qu’il ne savait pas. Je passais !!!
AHIPEAUD Martial Joseph
Enseignant-Chercheur, Université de Bouaké
PCA ONG Un Arbre=Une Vie