Le président de la République, Alassane Ouattara, par ailleurs président du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), a investi, mardi, son commando de 254 candidats pour les élections législatives du 06 mars 2021.
« Le président de la République (Ouattara) ne pourra pas gouverner si… »
La présidentielle du 31 octobre 2020 a vu l’élection du président Alassane Ouattara à un troisième mandat à la tête de la Côte d’Ivoire. Et ce, malgré la contestation de l’opposition dont les ténors Henri Konan Bédié, président du PDCI-RDA; Pascal Affi N’guessan, président du Front populaire ivoirien (FPI); et Guillaume Soro, ancien chef du parlement ivoirien et président du mouvement GPS (Générations et peuples solidaires), dénonçaient une violation de la Constitution ivoirienne qui limite à deux, le nombre des mandats présidentiels.
Le mot d’ordre de désobéissance civile, lancé par les opposants, suivi du boycott du scrutin présidentiel, a fortement entaché la paix et la cohésion sociale dans le pays au regard des violences électorales qui ont entraîné la mort d’au moins 85 personnes, environ 500 blessés et d’importants dégâts matériels partout sur l’étendue du territoire national.
Fort heureusement, le dialogue politique initié par le chef de l’Etat entre son pouvoir RHDP et les partis de l’opposition, peu après sa réélection, a permis de ramener l’accalmie, surtout après la rencontre historique entre Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, le chef de file de l’opposition. Plus de quatre mois après la présidentielle, place désormais aux élections législatives prévues pour le 06 mars 2021.
La bonne note de ce scrutin à venir, c’est la décision de l’opposition d’y prendre part non seulement, mais surtout sa détermination à conquérir le pouvoir législatif en remportant la majorité des sièges à l’Assemblée nationale. Ce qui n’est pas fait pour rassurer le RHDP (parti au pouvoir) qui entend, en plus de l’exécutif, conserver la majorité parlementaire.
Mardi, lors de la cérémonie d’investiture des candidats de son parti, Alassane Ouattara a lancé des menaces à peine voilées contre les candidats indépendants issus de l’ex parti RDR. Le successeur de Laurent Gbagbo à la présidence de la République a appelé ces candidats à renoncer à leur projet ‘’dans l’intérêt du parti et (..) dans votre intérêt’’.
« En vous retirant, vous donnez plus de chance à nos candidats de remporter l’élection dans leur circonscription (…) Je suis sûr que nous allons gagner avec une grande majorité. Vous avez ma bénédiction et mon soutien. Je sais que l’Assemblée Nationale sera aux couleurs du Rhdp », a-t-il espéré. Mais pourquoi l’époux de Dominique Ouattara insiste-il autant pour le retrait des candidatures indépendantes à ces élections législatives auxquelles le PDCI de Bédié, le FPI pro-Affi N’guessan comme le FPI pro-Gbagbo, ont décidé de compétir?
La réponse est donnée par le juriste politologue Geoffroy-Julien KOUAO. Dans une récente tribune sur le rôle du député, l’auteur du livre « Et si la Côte d’Ivoire refusait la démocratie ? La ploutocratie n’est pas la démocratie» a indiqué que ‘’le poste politique le plus important dans un Etat est celui du parlementaire, c’est-à-dire du législateur. Oui, vous avez bien lu, le parlement est plus important que l’exécutif’’. Nous vous proposons de lire de nouveau ces larges extraits de cette tribune.
« Les élections du 6 mars 2021 revêtent une importance capitale »
« (…) Si, par extraordinaire, l’opposition remportait les législatives du 6 mars prochain, le président de la république serait dans une posture politique inconfortable. Il ne pourra pas gouverner. Pourquoi ? La raison est toute simple. Le président de la république est, constitutionnellement, une autorité administrative.
A ce titre, il est le détenteur exclusif du pouvoir réglementaire. Celui-ci s’exerce pour mettre en application la loi. La loi précède le décret. Certes, le président de la république a l’initiative de la loi, c’est vrai. Mais, si la majorité parlementaire est du côté de l’opposition, aucun de ses projets de loi ne pourront prospérer à l’hémicycle. Ils seront purement et simplement rejetés.
Le président de la république serait alors, un roi nu. A l’inverse, on assisterait à la souveraineté parlementaire. Comment ? C’est simple. Les députés ont, eux aussi, l’initiative de la loi. Les propositions de loi seront soumises parlement. Elles auront plus de chance d’être adoptées. Le président de la république peut-il refuser de les promulguer ?
Il peut le vouloir, mais, il n’en aura pas les moyens juridiques. En effet, une loi non promulguée par le président de la république, dans les délais constitutionnellement prévus, est déclarée exécutoire par le conseil constitutionnel saisi soit par le président de l’Assemblée nationale soit par celui du sénat. La constitution permet de contourner l’inertie du chef de l’exécutif.
Dans une telle conjoncture juridico-politique, le président de la république pourrait-il gouverner par ordonnance pour esquiver l’hostilité parlementaire ? Evidemment que non. Située au confluent de la loi et du décret, l’ordonnance commence par l’autorisation du parlement. C’est la fameuse loi d’habilitation. On le devine aisément, le Président de la république n’aura pas cette autorisation d’un parlement majoritairement PDCI, FPI, LIDER et autres. Le chef de l’exécutif peut-il passer outre la résistance du parlement ? Dans l’affirmative, il renoncerait ainsi à l’Etat de droit et s’exposerait, subséquemment, à une responsabilité pénale pour haute trahison.
Rappelons-le à toutes fins utiles, la juridiction compétente pour juger le président de la république, c’est la Haute cour de justice. Celle-ci est constituée de députés et de sénateurs. Longtemps restée une fiction institutionnelle, une victoire de l’opposition aux législatives lui donnerait une existence apodictique. Une opposition triomphante à l’élection des députés n’aura aucune difficulté à rafler les sénatoriales. Les élections du 6 mars 2021 revêtent une importance capitale », prévient Geoffroy-Julien KOUAO.