Prof. Jean-Francis Alger Ekoungoun, Maître de Conférences et Secrétaire général de l’Université Alassane Ouattara de Bouaké secouée depuis plusieurs jours par une grève, dénonce, chiffres-clés à l’appui, « la traite des jeunes bacheliers » en Côte d’Ivoire.
Près de 25.000 nouveaux bacheliers affectés au public sur 124. 728 admis en 2020
Les universités publiques ivoiriennes qui ont accueilli près de 25.000 sur 124. 728 nouveaux bacheliers admis en 2020, seraient-elles à l’abandon au profit des grandes écoles et autres universités privées ? Tout porte à croire, selon l’enseignant chercheur, de l’existence d’un vrai deal estimé à 40 milliards de FCFA par an entre le gouvernement de Côte d’Ivoire et les patrons de ces établissements d’enseignement supérieur.
Ci-dessous le récit de Jean-Francis Alger Ekoungoun qui juge ‘’scandaleuse’’ la gestion d’un régime qui a promis de construire « 14 nouvelles universités à l’horizon 2025 » en Côte d’Ivoire qui en compte 7 actuellement, dans le cadre du Programme de décentralisation des universités (PDU), élaboré par le Bureau national d’études techniques et de développement (BNETD).
GREVE GÉNÉRALE À L’UNIVERSITÉ DE BOUAKÉ (des chiffres scandaleux)
« Avant la rencontre de l’Intersyndicale, cet après-midi, avec le Président de l’UAO, Prof. POAMÉ LAZARRE et la réunion (de la dernière chance) avec le ministre de l’enseignement supérieur, prévue le lundi 11 janvier prochain, j’ai eu une séance de travail, ce matin (ndlr hier), avec le Secrétaire général adjoint du SYNARES UAO, Pr. Pierre Kramoko. Nous avons échangé sur le mouvement de grève en cours à l’Université de Bouaké et préparé la prochaine réunion du bureau SYNARES UAO.
Le SYNARES UAO est engagé dans l’action de grève en cours pour, entre autres, réclamer le RETOUR DE LA COMMISSION NATIONALE D’ORIENTATION DES BACHELIERS. Pour le SYNARES UAO, UNE SEULE personne, même infuse de toute son ingéniosité en matière informatique, ne saurait se substituer à une commission d’experts de l’orientation seule compétente en la matière.
Les Universités publiques n’ont jamais refusé d’accueillir les bacheliers. Les enseignants-chercheurs et les chercheurs des universités publiques n’ont jamais refusé de dispenser les cours en amphis. D’ailleurs, plusieurs enseignants-chercheurs se tournent aujourd’hui les pouces faute d’étudiants à enseigner. Nous nous plaignons aujourd’hui du manque d’une réelle volonté politique publique de l’État en faveur des universités publiques dont le privé est le plus grand bénéficiaire.
Quelques chiffres pour s’en convaincre : sur 124. 728 bacheliers admis en 2020, le ministère de l’enseignement supérieur a affecté et non « orienté » (étant entendu qu’il n’existe pas de commission d’orientation) près de 80 % de bacheliers dans les Grandes écoles privées, soit 99.782 bacheliers.
En considérant que l’État paye au minimum 400.000 frs/ bacheliers affectés au privé, on arrive à un chiffre avoisinant 39.912.800.000 milliards de nos francs que l’État distribue à des fondateurs d’écoles privées pour former des jeunes ivoiriens dont beaucoup finiront derrière des cabines téléphoniques ou dans des gbêlêdromme.
Voici ainsi comment, par de petits arrangements partisans, près de 40 milliards sont « brûlés », chaque année, pour finalement mettre plusieurs jeunes diplômés de ces grandes écoles dans la rue.
Or, en affectant seulement 20% des bacheliers de 2020 dans les universités publiques, considérant que l’État ne paye que 60.000 frs par bacheliers affectés à l’Université, nous estimons à 2 Milliards la somme dépensée par l’État pour le public.
Entre près de 40 Milliards « distribués » par l’État à des fondateurs de grandes écoles et 2 Milliards payés aux Universités, le constat est net. L’Etat prend le prétexte de l’insuffisance d’infrastructures pour orienter seulement 20% de bacheliers dans les universités publiques. Là où il dépense près de 40 milliards en subventions pour les grandes écoles.
Pourquoi tous ces milliards distribués aux fondateurs de grandes écoles, chaque année, ne serviraient-ils pas à construire des universités publiques dans nos régions et récruter tous ces milliers de jeunes DOCTEURS ayant soutenu leurs thèses mais en situation de chômage depuis plusieurs années, pour beaucoup, faute de postes d’enseignement dans les universités publiques ?
A travers la grève en cours à l’Université de Bouaké, l’Intersyndicale voudrait attirer l’attention de l’opinion nationale sur ce gros scandale de la « traite » des jeunes bacheliers et mettre l’État face à ses devoirs régaliens de formation. Que les fondateurs de grandes écoles ne comptent plus sur l’État pour faire tourner leur « affaire » en sacrifiant l’avenir d’une grande partie de la jeunesse ivoirienne ».
Prof. Jean-Francis Alger Ekoungoun
Maître de Conférences
Président du CNSER
SG de l’UAO.